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Les Assises du roman ont lieu, comme chaque année, à Lyon du 28 mai au 3 juin 2013. Et comme chaque année depuis 2007, les éditions Christian Bourgois publient leur Lexique nomade, tour du monde linguistique qui, mot à mot, abolit les frontières pour construire un monde autre, un ailleurs, celui du langage.
Cette année nous voyageons de A comme « absence » à V comme « vocable », de la Slovénie au Salvador, en passant par la France, le Royaume-Uni, l’Algérie, le Mozambique ou l’Australie. Les définitions s’offrent comme des récits, des textes personnels, des arts poétiques en creux ou des impératifs (« Allume »). Parfois les mots choisis sont impossibles à traduire, comme « be seder », mot phare pour Ronit Matalon, mot hébreu « sans pathos », « cette chose vers laquelle j’écris ». Certains sont presque trop pleins : « Home », « chez moi / maison / pays / patrie ». D’autres ne sont pas beaux mais l’idée qu’ils véhiculent l’est (« Disponibilité » pour Mia Couto). Certains parlent d’enfance, d’autres de fiction, beaucoup abordent les frontières et limites de la langue, ces choses qui nous hantent — les « Fantômes » de Keith Scribner qui menacent ses personnages, « refusent de les laisser dormir », une « Mémoire » (Tzvetan Todorov), l’« incohérence » (Tristan Garcia), l’« Opération » qu’est la littérature (Jakuta Alikavazovic).
La langue cerne, butte, creuse, déploie. Comme le demande Jean-Philippe Arrou-Vignod, « pourquoi les écrivains font-ils tant d’histoires ? ». Le Lexique nomade répond à sa manière à cette question : parce que la langue est — et doit demeurer — intranquille, parce qu’il est impossible d’accepter le monde tel qu’il est, qu’on ne peut se passer des livres et de leur manière de déranger sens et significations. Tel est le sens du mot « Home » qu’explore Hugo Hamilton : le terme pourrait sembler sédentaire, pointer un être là. Il est, au contraire, figure du mouvement : ce mot est « un vestige, un endroit qui bouge tout le temps, qui ne reste jamais tranquille ». Son seul ancrage est « l’écriture », demeure commune des écrivains invités aux Assises Internationales du roman, venus d’un même ailleurs, pleinement chez eux dans la fiction.

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En témoignent ces définitions différentes d’un même mot, d’une année sur l’autre : Être « disponible » disait Lyonel Trouillot en 2008 — « disparaître pour mieux voir ». « Disponibilité », « mettre le cap loin de nos certitudes », « être autre et aux autres », répond Mia Couto en 2013.
« Absence » (Vincent Delecroix, 2010) : « Toujours, j’écrirai ce qui n’est pas là — C’est ma manière d’être présent » — « Absence » (Goldie Goldblum, 2013) : « force d’attraction », « la présence de l’absence demeure à mes yeux exquise et terrifiante ».
« On y va, ça passe, c’est ouvert », écrit Jean-Christophe Bailly du « Passage ». Une définition qui sied aussi à ce Lexique nomade, ouvert aux lieux, aux mots, au temps qui est « trace » au sens où Christine Montalbetti déplie ce mot, « trace, oui, allons-y pour trace, parce que c’est de ça avant tout qu’il s’agit, de cette pulsion éperdue de retenir ce qui s’enfuit ».
Lexique nomade, éd. Christian Bourgois, 77 p., 7 €
Auteurs : Gilles Abier, Jakuta Alikavazovic, Philippe Arrou-Vignod, Audren, Jean-Christophe Bailly, Hoda Barakat, Pierre Bergounioux, Craig Bourne, Horacio Castellanos Moya, Gilles Cohen Tannoudji, Mia Couto, Tristan Garcia, Sylvie Germain, Goldie Goldbloom, Hugo Hamilton, Drago Jancar, Bruno Latour, Claudio Magris, Ronit Matalon, Christine Montalbetti, Kate O'Riordan, Antonin Potoski, Keith Scribner, Jon Kalman Stefansson, Alain Claude Sulzer, Tzvetan Todorov, David Vann, Sandro Veronesi, Helena Villovitch, Matthias Zschokke.
Pour retrouver les précédents articles du Bookclub sur les Lexiques nomades, cliquez sur les dates : 2009, 2010, 2011, 2012

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