Lettre ouverte à M. le Président de la République.
(Original, sous nom personnel de l’auteur, Adressée le 03 octobre 2016 par L.R.A.R à son destinataire)
Le CNESCO http://www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2016/09/160927Dossier_synthese_inegalites.pdf vient de rendre son rapport. Classiquement ,l’échec était attribué au fait que « les parents issus de l’immigration étaient de faibles catégories socio-professionnelles », mais aujourd’hui, même les enfants, français, de parents diplômés et socialement insérés sont en échec parce que connotés immigrés : « nouvelles formes de discrimination négatives », lit-on dans ce rapport.
Où en sommes-nous arrivés ? Les blessures d’orgueil ,savamment entretenues, résultant de la guerre d’Algérie, le sentiment de déclassement social et la peur de l’avenir, 30 ans de propagande anti Islam, les échos des guerres de prédation pétrolière et de remodelage du monde post URSS , les irruptions périodiques du conflit israélo-palestinien , la montée en puissance des extrêmes droites , et pour finir les attentats sur notre propre sol :quel mélange terrifiant aux mains des apprentis sorciers qui nous agitent les uns contre les autres .
Le bouc émissaire n’est pas loin. Il est là, désigné d’avance : hier nous l’appelions le Nord-Af, le crouille, le melon, et, aujourd’hui, le musulman, mais c’est le même. L’Islam de France macère depuis 30 ans dans ce jus de haine. Jour après jour, à la télévision, à la radio, sur les journaux, pire encore, sur internet, l’enfant musulman est livré à la propagande des uns et des autres et reçoit de plein fouet les insultes à la religion de ses parents –parents qu’il aime et respecte, naturellement, comme les nôtres aiment et respectent les leurs.
Au nom de quoi ? Au nom de la « laïcité à la Française » répondent, en chœur, Valls, Sarkozy, Le Pen et leurs suppôts. Mais qu’est-ce donc que cette « laïcité à la Française » qui contrevient aux propres lois et Constitution de la République ?
Observez l’arrogance des zélotes du moment. L’autre jour, à la radio, j’ai entendu M. Castro, l’architecte, venu vendre son dernier livre , annoncer, benoîtement que « la France est un pays athée(…) la religion doit se maintenir dans la sphère privée (…) ce n’est pas négociable ». Ainsi donc, parce qu’ils ne font pas partie de l’ « aristocratie » athée - une secte comme une autre, au regard du fanatisme qui la caractérise désormais - tant pis pour les citoyens chrétiens, juifs, protestants, musulmans, ou seulement agnostiques.
Comment un homme, d’une intelligence notoire, en arrive-t-il à oublier que seules les lois et la Constitution de la République ne sont pas négociables ? Comment en arrive-t-il à se compromettre ainsi ? La faute revient à 30 ans de contrevérités assénées par les medias ; Pavlov a très bien décrit ce dont M. Castro est perclus.
Dans une tribune publiée sur le site du Huffington Post. M. Valls, véhément, comme toujours, déclare «Je tenais à répondre à l’article(de LILLIE DREMEAUXS) “Regards changés et langues déliées”, paru dans les colonnes du “New York Times” le (3) septembre2016 ( http://www.nytimes.com/2016/09/03/world/europe/burkini-musulmans-france-belgique.html qui donne une image insupportable, car fausse, de la France, pays des Lumières et pays des libertés»(…) « elle (la journaliste) n’explique pas ce que sont les principes républicains : liberté, égalité, fraternité, et la laïcité à la française.»
Un observateur impartial ne peut qu’être étonné devant la dichotomie infligée au concept laïcité. C’est aujourd’hui carrément Janus aux deux visages.
Comment avons-nous pu abdiquer notre citoyenneté au point de livrer la paix civile -donc notre sécurité et celle de nos enfants – aux mains d’ambitieux sans vergogne ? Observez le mépris mis dans l’insulte au quotidien à notre intelligence. Mépris facilement détectable par un simple examen attentif des propos tenus par les uns et les autres, à la lumière de la loi de décembre 1905.
Puisque M. Valls y invite, soyons explicite ; montrons cela in situ.
Considérons d’abord les arguments de ceux qui prônent une soi-disant « laïcité à la Française », renvoyant l’Islam de France à la sphère privée. Ils soutiennent que l’Etat ne loge aucun culte, les signes religieux sont interdits dans les entreprises et à l’université, la religion doit être confinée dans la sphère privée, pas de foulard, pas de burkini etc…
En suivant le fil de l’Histoire, nous apprenons que ces arguments proviennent des revendications de la mouvance anticléricale, de la 3ième République, menée par Emile Combes et Paul Bert entre autres , et que la dite mouvance les a puisés dans le décret du 21 février 1795https://blogs.mediapart.fr/280128/blog/110219/decret-de-fevrier-1795-2 ( in Jean Tulard/ les Thermidoriens , fayard, 2005, p.107 et 108 .
Ce décret, du 21 février 1795, stipule :(les arguments des adversaires de l’Islam de France sont en gras)
Article 1 : Conformément à l’art.122 de la Constitution, l’exercice d’aucun culte ne peut être troublé.
Article 2 : La République n’en salarie aucun
Article 3 : Elle ne fournit aucun local ni pour l’exercice du culte ni pour le logement des ministres :
Article4 : Les cérémonies de tout culte sont interdites hors de l’enceinte choisie pour leur exercice
Article5 : La loi ne reconnait aucun ministre du culte .Nul ne peut paraître en public avec les habits, ornements ou costumes affectés à des cérémonies religieuses.
Article 6 : Tout rassemblement de citoyens pour l’exercice d’un culte quelconque est soumis à la surveillance des autorités constituées .Cette surveillance se renferme dans les mesures de police et de sûreté publique.
Article 7 : Aucun signe particulier à un culte ne peut être placé dans un lieu public ni extérieurement de quelque manière que ce soit .Aucune inscription ne peut désigner le lieu qui lui est affecté. Aucune proclamation ni convocation publique ne peut être faite pour y inviter les citoyens.
Article 8 : Les communes ou section de communes ou sections de commune, en nom collectif, ne pourront acquérir ni louer de local pour l’exercice des cultes
Article 9 : Il ne peut être formé aucune dotation perpétuelle ou viagère, ni établi aucune taxe pour en acquitter les dépenses
Article 10 : Quiconque troublerait par violence les cérémonies d’un culte quelconque ou en outragerait les objets, sera puni selon suivant la loi 19-22 juillet 1791, sur la police correctionnelle.
Un observateur impartial pourrait se demander, en toute légitimité, pourquoi vouloir imposer en lieu et place de la loi de décembre 1905, toujours en vigueur, elle, le contenu d’un décret abrogé il y a 200 ans ? Pourquoi vouloir imposer la thèse d’Emile Combes qui pourtant avait été battu, il y a 100 ans, par les républicains modérés, auteurs, justement, de la loi de décembre 1905?
Notons la malignité mise dans la sélection des arguments développés par nos contemporains, successeurs d’Emile Combes .Ils ne prélèvent dans ce décret de février 1795, obsolète, que ce qui peut leur servir pour isoler l’Islam de France( voir ci- dessus , en gras) et le confiner, lui et lui seul, dans la sphère privée.
Constatons , en toute équité , qu’ils éludent, soigneusement, les arguments susceptibles de nuire aux intérêts des cultes chrétien, protestant et juif, matérialisés par les articles 8 et 9 qui stipulent : «Les communes ne pourraient acquérir ni louer de local pour le culte » et qu’« il ne pourrait être formé aucune dotation perpétuelle ou viagère, ni établi aucune taxe pour en acquitter les dépenses ».
En effet, si on devait forcer l’application de ces articles 8 et 9 de ce décret de février 1795, les conséquences seraient que :
1) l’Etat devrait revenir sur les concessions de bâtiments religieux qu’il met gracieusement à la disposition de L’Eglise Catholique Apostolique et Romaine, et des cultes protestant et juif.
2) I ’Etat devrait également supprimer le budget perpétuel consenti pour la réparation, la rénovation des églises, des temples, des synagogues, monuments religieux en tous genres – budget puisé dans nos impôts à tous, donc dans ceux de nos concitoyens musulmans aussi.
3) l’Etat devrait aussi supprimer les subventions octroyées aux écoles et lycées appartenant aux congrégations religieuses et autres diocèses et consistoires, que le Conseil d’Etat a votées- subventions réglées avec nos impôts à tous, donc avec ceux de nos concitoyens musulmans aussi.
4) L’Etat devrait également harmoniser, sur tout le territoire national, l’application de la loi de 1905 et donc supprimer le statut particulier de l’Alsace – statut qu’il entretient, avec nos impôts à tous, donc avec ceux de nos concitoyens musulmans aussi.
Il serait plus facile de refaire la révolution. Burkini et autres fanfreluches sont plus à notre portée.
Les adversaires de l’Islam de France, dans un vertigineux jeu de bonneteau lexical, font croire que les restrictions, édictées en 1795, ont été reprises par la loi de décembre 1905.Constatons que cette dernière ne reprend que cinq mots,« l’Etat ne salarie aucun culte » et uniquement cela (cf.article1). Dans une loi, tous les mots comptent : ajouter ou retirer un mot revient à la dénaturer.
Afin d’en révéler le mépris, passons, maintenant, ces affirmations sous la lumière de la loi de décembre 1905.
La loi de décembre 1905, ci-jointe, https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000508749 s’inscrit dans le cadre strict de la Constitution de la République Française. A elles deux , elles délimitent le champ d’application de la laïcité : tout ce qui s’inscrit dans ce champ d’application relève de la laïcité, tout ce qui est en dehors n’est pas la laïcité.
Dans son article 1, la loi de 1905 proclame la liberté de conscience, garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées dans l’intérêt de l’ordre public. Font état de ces restrictions les articles 25,26,27,28,30, 34et 35 relevant ,tous ,du titre V, « Police des cultes ».
Dans son article 2, la loi de décembre 1905 stipule que « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte » certes, mais elle ajoute aussitôt que « pourront toutefois être inscrites aux budgets de l’Etat, des Départements et des Communes, les dépenses relatives à des services d’aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, hospices, asiles et prisons ».
Contrairement à ce qu’on veut lui faire dire, cet article 2 ne tourne aucunement le dos aux croyances des citoyens, bien au contraire, il va jusqu’à faciliter « le libre exercice des cultes dans les établissements publics » en mettant à contribution l’Etat, les Départements et les Communes.
Par ailleurs, la tentative d’interpolation de la clause visant à interdire la sphère publique à la religion est illégale et contrevient aux articles 25 et 27, de cette loi de décembre 1905.
En effet, l’article 25 stipule « les réunions pour la célébration d’un culte, tenues dans les locaux appartenant à une association cultuelle ou mis à sa disposition sont publiques. ». Donc, si le chœur d’une église est public et que la messe l’est aussi, la religion est, d’évidence, publique, et, avec tous ses attributs.
Le principe de publicité - qui s’applique à la Justice également- implique que les portes du lieu de culte (ou du tribunal) doivent rester, impérativement, ouvertes durant l’office (ou l’audience) et l’accès de la salle doit demeurer libre à tous : fidèles, police des cultes, citoyens et justiciables.
L’article 27, lui, sans équivoque, stipule que les cérémonies, processions et autres manifestations extérieures d’un culte sont licites (dans un cadre légal imposé) et que les sonneries des cloches des églises, réglées par arrêté municipal, sont non moins licites : ce que nous avons tous constaté.
Ainsi donc, il ressort, clairement, de la loi de décembre 1905 - dogme fondamental de la laïcité - que la religion a sa place dans la sphère publique, dans la société, sous le regard sinon la surveillance de tous.
Les déclarations des adversaires de l’Islam de France- dont Mme Le Pen, M. Valls et M. Sarkozy- aussi ostentatoires que mensongères, relèvent de la discrimination et donc de l’article 225-1 du Code Pénal.
Par ailleurs, assigner l’Islam de France - et lui seul- à la sphère privée viole la Constitution française, et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée le 4 novembre 1950 à Rome et ratifiée par la France le 3 mai 1974.
M. le Président, ces manœuvriers, sans vergogne, tout à leurs ambitions sans frein, ont terni l’image de la France durablement .On commente leurs éclats du Canada à l’Argentine , en Afrique ,en Asie jusqu’en Indonésie, en Malaisie et dans le sultanat de Brunei ; partout la presse fait étalage du traitement infligé à la fraction la plus faible de notre société - comme l’écrit justement Emmanuel Todd- et font des gorges chaudes de notre prétention au titre du « pays des Droits de l’Homme » .
Respectueusement, civiquement et laïquement vôtre.