Chevènement et l'Islam: un malentendu selon Joseph Confavreux. (Médiapart, 30/08/2016) https://www.mediapart.fr/journal/france/300816/chevenement-et-lislam-plus-quun-malentendu
Mon ami Joseph Confavreux écrit dans son billet (Médiapart, 30/08/2016) : « Entre ses (de Chevènement) propos sur la « nationalitédisparue » àSaint- Denis et ceux appelant les musulmans à la « discrétion »,« le choix de Jean-Pierre Chevènement pour prendre la tête de la Fondation pour l’Islam de France s’avère de plus en plus inquiétant. Et sa trajectoire politique et idéologique antérieure n’a rien pour rassurer ».
Que M. Hanotin, député PS, se formalise de la déclaration selon laquelle « le processus d’intégration n’est plus possible puisqu’il y a à Saint-Denis, par exemple, 135 nationalités, mais il y en a une qui a quasiment disparu », c’est son job. A l’évidence, le trait ne lui était pas destiné et visait surtout la ghettoïsation et les politiques qui en sont à l’origine. C’est appeler un chat un chat, en quoi est-ce choquant ? En quoi formuler le souhait de brasser Ies habitants de ce pays dans un même creuset peut-il être sujet à réprobation ? Les seuls perdants, si un tel brassage devenait effectif, seraient ceux qui jusqu’ici ont tiré arguments de la ghettoïsation au service de leurs intérêts particularistes et électoralistes.
Quant à la « discrétion » à laquelle M. Chevènement invite les musulmans, elle est inscrite dans leur Coran (Sourate 5, la Table, verset 3) : « Aidez-vous mutuellement dans l’exercice de la vertu et de la piété et non dans celui de la vexation et de la vindicte ».Ne vaut-il pas mieuxdonner dans la retenue , la mesure - donc dans la «discrétion »- quand le verbe ambiant est à l’inflation et que vos arguments sont inaudibles quand ils ne sont pas , au contraire, repris, détournés, biaisés , amplifiés et utilisés contre vous ?
Vous écrivez par ailleurs « le choix de Jean-Pierre Chevènement pour prendre la tête de la Fondation pour l’Islam de France s’avère de plus en plus inquiétant. Et sa trajectoire politique et idéologique antérieure n’a rien pour rassurer ».
Quel est notre problème, à tous, aujourd’hui ? Donner à l’Islam de France une représentation comparable aux consistoires Juif et Protestant, rendue indispensable par le contexte politique et social du moment. La difficulté naît de la spécificité de cet Islam de France, à majorité de rite malékite et dans lequel il n’y a pas de hiérarchie cléricale.
A ce propos, notons l’amère ironie du sort : l’absence de clergé, en toute logique, interdit la constitution d’un quelconque pouvoir spirituel face au pouvoir temporel de l’Etat – à l’instar du catholicisme par exemple - c’est pourtant cette qualité qui, du fait des manipulations et des extrapolations- vertigineuses de bêtises- devient un défaut majeur.
Dans un tel contexte, tenant du nœud de vipères, la prudence est de mise .Ecarter de l’Islam de France la sempiternelle suspicion de favoriser l’ingérence de pays étrangers le libérerait du rôle de méchant, de cette tragi-comédie, auquel il est assigné à son corps défendant. Vu sous cet angle solide, M. Chevènement est la personnalité idoine. Il est non musulman, mais connaît cependant l’Islam, son passif que vous estimez être une « trajectoire politique et idéologique antérieure(qui) n’a rien pour rassurer », s’avère, pour la circonstance, un atout formidable .La nomination de M. Chevènement à ce poste annihile d’un coup, un seul, les soupçons chroniques pesant sur les épaules de l’Islam de France et prive, en même temps, les manipulateurs de leur fonds de commerce : exit le clou de Djeha.
Quant à ceux qui mettent en avant la laïcité et déclarent « L’État est-il vis-à-vis des citoyens musulmans comme face à une puissance étrangère avec laquelle il signe un traité ? » qu’ils n’oublient pas que la loi du 9 décembre 1905 stipule que la police des cultes reste à l’Etat.
Par ailleurs, il n’est aucunement question d’un quelconque traité .Notons bien que, dans cette affaire, le but recherché est la création d’un organe administratif- une simple courroie de transmission- et non l’érection d’une représentativité spirituelle. Du reste, dans le rite malékite proprement dit, la question de pouvoir spirituel est d’emblée écartée : le croyant est en lien direct avec son Dieu, sans intermédiaire ni intercesseur. Ceux qui transposent linéairement le fonctionnement de l’Eglise Catholique Apostolique et Romaine à celui de l’Islam sunnite de rite malékite se trompent lourdement : Imams, Muftis et autres Oulémas sont des titres honorifiques.
Enfin, n’oublions pas que le Concordat, en vigueur aujourd’hui encore en Alsace, est un traité. Ce dernier relie bien le catholicisme, le judaïsme et le protestantisme à l’Etat, n’est-ce pas ? Il n’a jamais gêné nos contemporains, que je sache.
Par ailleurs, M. Chevènement, à ce poste, sera aux yeux de l’Etat et des citoyens le garant de la loyauté de l’Islam de France dont, pour ma part, je ne doute aucunement. Enfin, ni M. Chevènement, ni ses collègues n’auront vocation à traiter du Fiqh : la neutralité de l’Etat en matière du Spirituel sera donc sauve.
Pour ce qui est des spéculations sur « des relents tout à fait malvenus de serment d’allégeance », ils sont inévitables et légitimes. Un sarcophage de plomb légal (la loi n° 2005-158 du 23 février 2005, en est le scellé) préserve le colonialisme français d’un travail de fond scientifique et salvateur. En 2016 encore, les historiens – qui, au train où vont les choses, passeront, directement, la main aux archéologues- ne parviennent toujours pas à accéder à tous les dossiers : c’est dire combien il y a à cacher ! Ceux à qui on « jette des miettes » d’informations doivent faire montre d’un trésor de minutie aussi bien dans le polissage des « aspérités » factuelles que dans la prudence rédactionnelle .Cela confère à nos historiens , me suis-je laissé dire, un talent que bien des diplomates du Quai d’Orsay leur envient.
Pour l’instant il faut faire avec et avancer car il y a urgence et il y va de la paix civile.
C’est l’unique solution à même de priver les manipulateurs effrénés de leurs attributs de démiurges ; ceux qui, croyant déjà posséder Marianne, ont fait leur cri de ralliement de ces vers de Polyeucte, qu’ils ne connaissent que phonétiquement :
vous me connaissez mal, la même ardeur me brûle
Et le plaisir s’accroît quand les faits se reculent.