Histoire d’une mutilation nationale. N° 1
Faute d’un général Boulanger, notre lobby des intérêts particularistes, laïciste, dont le champ de bataille, depuis 40 ans, est la laïcité et l’Ecole de la République, au détriment de l’unité nationale, en appelle à l’extrême-droite et désigne à la vindicte populaire un bouc émissaire. Certains juifs français se piquent au jeu : oublieux de leur passé, ils s’enfoncent aussitôt dans cette brèche au flanc de notre démocratie et se rangent résolument derrière leurs bourreaux d’hier. Où va la France ?
Un pari sur la peur
Le moindre fait divers, sans même attendre le résultat des enquêtes légitimes, encore moins la décision de justice, est jeté en pâture aux tenants du « yakafaukeu» et c’est aussitôt la déraison qui éructe sa colère et vomit sa haine.
Cultiver la peur est devenu l’occupation de beaucoup. Le lobby des intérêts particularistes en a fait la source d’énergie qui entretient son action ; il l’exploite pour garder captive l’opinion publique qu’il travaille au quotidien par ses médias affidés. Cet ascendant fait sa force et lui permet d’avoir barre sur tout ce qui compte dans le monde de la politique, de la culture ou des médias : c’est ainsi qu’il demeure l’intermédiaire incontournable.
Beaucoup parient sur la peur et la captation de l’attention de l’opinion pour conquérir le pouvoir et d’autres pour s’y maintenir ; d’autres encore pour promouvoir les intérêts politiques d’un pays tiers, au détriment d’une de nos minorités. Quelles que soient les motivations des uns et des autres, les intérêts de la France et de tous les Français doivent primer.
Le RN fait peur à une partie de la France. Mais beaucoup de femmes et d’hommes politiques le voudraient « ogre de papier » d’un conte pour grands enfants : il serait tout juste bon à faire « voter dans les clous » : « On a tout prévu, on ne peut pas perdre ; la France insoumise ,engluée dans de faux problèmes, est déjà éliminée ; le parti socialiste , lui, est laminé ; les écolos, c’est du petit bois et le RN n’est que le sherpa de notre premier tour. M. Dupont marcherait-il ? ’’T’inquiète… ‘’ On le connaît va ! Nous te le travaillerons jusqu’à la peur panique salutaire ; idem pour les électeurs musulmans, tu verras : la trouille au ventre, ces derniers en citoyenneté, seront les premiers devant les urnes, tête baissée, les clefs de leurs ghettos autour du cou : c’est les Bourgeois de Calais de nos temps modernes, je te dis … ».
Cela tient de l’onirisme et rappelle les projections de Pierrette sur son pot au lait ; à ceci près : en fin de cycle de cette mécanique, voulue de précision, notre démocratie court un grand danger.
Quoi qu’il en soit, le RN n’a jamais été aussi près du pouvoir - seul ou dans le cadre d’une alliance qui lui serait favorable.
Beaucoup de juifs français, qui ont pourtant tété la circonspection aux seins de leur mères, se découvrent des talents « de Machiavel en herbe » et se rangent résolument derrière l’extrême-droite ; ils lui apportent même un concours inespéré : l’exploitation du martyrologe juif ; ils en viennent à interposer la Shoa (pas moins !) entre les boucs émissaires de service ( leur doublure, somme toute) et la droite extrême qui, ainsi adoubée, « monte aux créneaux » au nom de l’antisémitisme. Un comble!
Pour les besoins de la rhétorique (très utile à la propagande), l’islam, une religion, est souvent confondu avec l’islamisme, une politique. Cela permet des saltos sémantiques époustouflants. Au terme d’une greffe islam/islamisme, le mutant résultant campe le rôle du nazisme d’hier ; le rôle des juifs d’hier est assigné aux Français musulmans d’aujourd’hui ; du « judéo-bolchevisme »d’hier et de ses tares supposées on nous bidouille vaille que vaille l’« islamo-gauchisme ».
Ce faisant, on obtient une manière de pompe cybernétique perpétuelle (péristaltique intestinale, pour le coup, eu égard à ce qu’elle charrie) qui se réamorce automatiquement au gré des besoins de la propagande du moment.
La peur se nourrit du factuel, du présumé, du présupposé et du préjugé puisés dans notre présent, dans notre inconscient, et beaucoup dans notre passé colonial mal assumé- en particulier l’algérien : un fantasmagorique tandem de culpabilité et d’orgueil meurtri qui agitent une conscience endolorie, réflexive et récursive à l’envi.
La peur a pour terreau l’inquiétude, le sentiment de déclassement, d’insécurité, de menace pesant sur le travail, sur le présent et sur l’avenir de la famille ; elle souligne notre fragilité et induit le sentiment de ne pas pouvoir nous en sortir quoi que nous fassions. La peur s’insinue partout, tétanise la réflexion, libère les mauvais instincts, explose les liens sociaux et les limites naturelles de la morale - elle bloque même le sentiment de culpabilité qui, bien souvent, nous évite l’ignoble.
Cultiver la peur commence par un ou des mensonges que l’on interpole dans une narration amplifiée par une volubilité médiatique de chaque instant. Plus le mensonge est gros, mieux il passe, disait déjà Goebbels, profès en la matière. Mais trop d’informations tuent l’information : la confusion s’installe alors et, in fine, de la turbidité résultante, ne décante que l’impression de ne rien savoir ou très peu. Nous finissons aigris, velléitaires, infantilisés, l’estime de soi bien écornée car, instinctivement, malgré notre écholalie compulsive et nos « yakafaukeus », nous soupçonnons la duperie - bien que nous ne cernions pas toute la dynamique coupable qui la sous-tend.
En réalité, il n’y a rien de nouveau : l’Histoire de France repasse les plats.
La France d’aujourd’hui retrouve une situation qu’elle a vécue, en gros, entre l’époque de la construction du Paris Haussmannien (2ième empire) et la première guerre mondiale. La situation s’illustrait par des désordres politiques sur fond de rivalité européenne, une guerre éclair, la Commune et ses combats fratricides, une agitation religieuse entretenue entre pouvoir temporel/pouvoir spirituel, des médias, mercenaires de la plume, oublieux de la charte du journalisme, des scandales financiers, une citoyenneté à deux vitesses, au « deux poids et deux mesures » lancinant d’injustice. Grâce aux deux révolutions industrielles qui nous sont arrivées d’Angleterre (via l’Allemagne en partie), la France était alors prospère et avait besoin de bras : une migration en provenance de l’intérieur et de l’extérieur du pays s’est installée dans la durée. La classe moyenne est devenue plus importante ; des réussites spectaculaires se sont fait jour, la classe ouvrière a grossi grâce notamment à l’exode rural et est devenue pléthorique. Le libéralisme triomphant a instauré, sans heurt, des journées de travail de 10 heures et, pour encourager les salaires dans leur cure d’amaigrissement, a invité femmes et enfants à donner un « coup de petites mains » dans les ateliers du textile, l’industrie mécanique et les mines. Une partie de la population, pauvre, a été repoussée vers la périphérie, une autre, plus pauvre encore, a été reléguée, comme assignée à résidence, dans les bidonvilles de la ceinture de la faim, «des fortifs, entre autres ». Tous ceux dont Zola a plaidé l’humanité illustrent cette France : Nana, Gervaise, Etienne, Catherine, et les autres, mais également, le capitaine Dreyfus, happé par l’antisémitisme, alors le défouloir de beaucoup [1]. La migration internationale poussait vers l’Amérique et les pays dits neufs (l’Algérie, l’Australie, l’Afrique du Sud, le Brésil, le Canada) la marée de misère de l’Europe. 50% de ce flot humain se dirigeait vers les USA ; le restant se divisait en trois sur le sol français : une partie poursuivait sa route vers l’étranger, une autre s’établissait avec succès en France et la troisième larguait les plus faibles, les moins chanceux, ceux qui avaient fini par lâcher prise, en périphérie parisienne, à Marseille, à Port-Vendres, à Cherbourg, au Havre, autant de lieux devenus des échouages obligés.
Cette situation s’illustre aujourd’hui aussi par des réussites (rarement des richesses se sont constituées en aussi peu de temps) et des échecs ; une classe moyenne, même en régression, compte, à côté de ses populations mélangées traditionnelles, des transfuges de nos banlieues. Il y a également une classe ouvrière appauvrie, des déclassés au chômage à perpétuité et les ultra pauvres, déjetés «l’assise entre deux chaises », montrés du doigt, décriés, refoulés dans ces ghettos banlieusards, abcès purulents de toutes les peurs, les nôtres et les leurs.
Les échouages contemporains concentrent, au sein d’une population en survie, les gueules cassées de la vie, en une classe dite dangereuse : la religion et la couleur de peau exceptées, c’est la même qui a accouché tour à tour des apaches, des blousons noirs, et de nos dits ensauvagés, ces « rin-à-bat’ », gavroches du moment. Bref, la banlieue s’illustre par ses ghettos où aboutissent les coulées des mal-aimés que des paracentèses régulières transforment (l’espace d’un refus d’obtempérer ou d’une rixe entre adolescents découplés de la réalité) en catharsis, un exutoire de nos penchants morbides.
La peur s’en sort consolidée et devient un formidable générateur d’énergie qui alimente la machine à diviser la société. Il est difficile de haïr une personne donnée avec ses qualités et ses défauts qui font d’elle un être humain. Ce n’est qu’une fois déshumanisé, inscrit dans une masse indistincte, donc une menace potentielle, que les contours de l’individu s’estompent ; il devient l’autre fantasmé. La concentration sur son dos de la peur, la haine, le mépris gratuit, le bombarde bouc émissaire. Proclamé inférieur, il est diffamé, humilié, maltraité ; mais c’est toujours son groupe qu’on voit en lui : les noirs, les juifs, les arabes, les musulmans, les homosexuels, les femmes …
Le passage obligé , c’est l’inscription , dans une narration continue dont l’argumentaire est sans cesse renouvelé par touches impressionnistes, d’un bouc émissaire sur le dos duquel on projette, en strates d’amalgame, un mélange de considérations parfois vraies, parfois fausses, mais le plus souvent des spéculations floues et approximatives. Ces dernières ont l’avantage de stimuler notre imagination et d’entretenir notre peur en attendant le déclic médiatique indispensable à leur maturation : le déclic qui fixe leur finalité et canalise leur carrière à venir dans un répertoire paradigmatique que la nécessité du moment dicte.
Ce bouc émissaire idoine avait, hier, le visage du juif ; il a, aujourd’hui, celui du musulman. Aussitôt mis à l’index, il est chargé de tous les maux. La mise en scène de ce « théâtre d’ombres chinoises », jalonnée de caricatures, relève de la mission du lobby des intérêts particularistes faiseur d’opinions.
Au tournant du 19ième et du 20ième siècle, ce lobby relevait d’une alliance composite d’anticléricaux mais aussi de cléricaux (ces derniers, en rupture de ban, chassaient sur de nouvelles terres et ne répugnaient pas à donner dans la cabale antidreyfusarde), d’antisémites notoires surfant sur la vague pseudo-racialiste (née en Allemagne) et déjà de la vague laïciste, une résurgence des « bouffeurs de curés » de la période sans-culottière de 1791 à 1795.
La vague laïciste fut portée alors par la doctrine Waldeck-Rousseau selon laquelle « les congréganistes n’ont pas droit à la liberté parce que, en prêtant les trois vœux de pauvreté, d’obéissance et de chasteté, ils ont mutilé en eux-mêmes les droits de l’homme.».
Rappelons que, ce faisant, Waldeck-Rousseau (ancien élève des Jésuites), contrait la proposition Dufaure qui accordait une égale liberté aux associations civiles et religieuses. En 1883, les congrégations se virent placées sous la menace d’une législation qui les sortait, de fait, du droit commun.
Les forces laïques, groupées autour des modérés, Aristide Briand et Jean Jaurès, (les deux parrains de la loi du 09 décembre 1905, dogme fondamental républicain de la laïcité) étaient, elles aussi, déjà là et naviguaient prudemment entre les naufrageurs d’alors : les laïcistes, républicains certes, mais outrancièrement anticléricaux (à l’image d’un Emile Combes) et L’Eglise catholique sur le déclin et donc dangereuse car sur la défensive.