Belab

Abonné·e de Mediapart

Billet publié dans

Édition

L'escarbille

Suivi par 66 abonnés

Billet de blog 7 janvier 2024

Belab

Abonné·e de Mediapart

Histoire d’une mutilation nationale. N° 4

Afin d’illustrer une aberration, comparons à la lumière de l'Histoire , dans l’odyssée  de la  laïcité, l’anticléricalisme ( combat contre le clergé de l’Eglise Catholique , né au 17ième siècle, recyclé sous la Révolution, puis sous la troisième République ) et les luttes contre l’islam de France

Belab

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Histoire d’une mutilation nationale. N° 4

  1. B) Le laïcisme. Une tradition française

Le laïcisme est à la laïcité ce qu’est le gauchisme au communisme (une « maladie puérile» ajouterait, cruellement pour notre époque, un dédaigneux Lénine, de passage).

Puérile, en effet, est cette campagne de nos laïcistes contemporains prenant en otage l’Ecole de la République depuis 1989, pointant un doigt accusateur sur ce danger, qualifié d’existentiel- pas moins- qui menacerait nos coutumes, notre laïcité, le fondement même de notre République: le foulard de Malika, le burkini de Soraya, la abaya de Fatima.  Autant d’adolescentes qui donnent dans la provocation manifeste pour « faire les pieds aux emmerdeurs ».

Ceux qui ont élevé 2 à 3 adolescentes ,en même temps, savent que la provocation, arme de prédilection de cette période de la vie, génère  des sommets d’exaspération sinon  de rage .Ils savent également que vouloir sévir contre, c’est aggraver la situation. La suppression d’argent de poche est bien le bout du monde en terme de punition ;  aller plus loin , quand il s’agit de filles , c’est prendre le risque de se retrouver en terre étrangère,  en butte à l’ensemble  du gynécée familial, proximal et distal : le plus téméraire des  pères , pour le bien de sa famille,  y réfléchirait à  deux fois et dirait immanquablement à la mère : « occupe-toi de « tes » filles »,  puis il  se mettrait en retrait  , en « rongeant son frein », attendant la fin de  l’adolescence pour retrouver « les siennes » et le sourire qu’il ne leur a plus revu depuis des mois, sinon des années.

Quoi qu’il en soit, les  adolescents musulmans doivent impérativement ancrer dans leur esprit la retenue : il y va de leur avenir, pas moins. Ce qui se passe est certes injuste mais la colère est mauvaise conseillère : elle  donne, tout au plus, des arguments à la propagande de leurs détracteurs.

L’instrumentalisation de ces problèmes (depuis 1989, tout de même), à y regarder de plus près, tient du ridicule. Notre lobby des intérêts particularistes y trouve néanmoins son intérêt car les problèmes à l’école  sont « porteurs ».

Mais, dans notre cas de figure, contrairement à son habitude, le ridicule tue.  

À l’évidence, dans cette campagne laïciste prenant en otage l’Ecole et la « laïcité à l’Ecole », de 1989 à 2023, sous notre 5ième République, il y a plus de morts  que durant les 35 ans de la soi-disant « guerre  de religion » 3ième République contre l’Eglise Catholique qui accoucha de la laïcité le 09 décembre 1905.

Afin d’illustrer cette  aberration, comparons, dans l’odyssée  de la  laïcité, l’anticléricalisme ( combat contre le clergé de l’Eglise Catholique , né au 17ième siècle, recyclé sous la Révolution, puis sous la troisième République ) et les luttes contre l’islam de France ,(  religion sans clergé, elle ,  mais pourvue d’une légion de demoiselles enfoulardées, burkinisées, abayatisées ,  celles-là même qui nous occupent, et nous préoccupent depuis 1989 et l’affaire du foulard du collège de Creil) .

Observez combien est mesquin et peu flatteur, pour notre époque, le portrait  qui résulte de la comparaison : Il y a matière à pleurer de rire, si on ne pleurait déjà de chagrin. C’est positivement   grotesque : une histoire de  ‘’cloche-merde’’ perlée de contre-vérités grossières qui, de vexation gratuite en vexation gratuite, a viré au scandale international et, pour finir,  au drame. Quelle dérision !

Des « exégètes du Yakafaukeu » et de leur soi-disant loi islamique

L’Islam de France est une religion héritée de notre passé colonial.  Essentiellement  malékite, sunnite donc, elle embrasse, minoritairement, un syncrétisme  maraboutique  et confrérique  (relatif aux  Zaouïates).

Cette religion se caractérise par un manque de représentation auprès de l’Etat, qui ne facilite pas son intégration et la livre à la malveillance des uns et des autres. C’est la seule religion au nom de laquelle on s’autorise à discourir, sinon à pérorer, à longueur de longueur d’ondes.  Outre ses propres « imams » autoproclamés, elle compte d’innombrables « exégètes », également autoproclamés, ces  « oulémas du yakafaukeu  », que nous connaissons tous, détachés du CRIF, du Café du commerce, de LCI, de BFM TV et d’ailleurs   . Même ses «  élites », (qui doivent normalement être élues par les fidèles)  sont imposées à l’islam : le cas de l’imam Chelghoumi en est l’illustration idoine: bombardé par le CRIF et  le lobby des intérêts particularistes « imam modéré », ce triste sire, méprisé par sa communauté, est imposé dans les médias à chaque fois que ceux-ci ont besoin d’une voix musulmane discordante : c’est un béni oui-oui de notre époque. (Rappelons que le jugement de l’Histoire est sans appel : les béni oui-oui n’ont aucunement facilité le dialogue de l’Algérie française avec ses sujets musulmans, bien au contraire).

Contrairement au Christianisme, en Islam malékite, le croyant est directement connecté à son Dieu : il n’y a pas d’intermédiaires : la baraka et le culte des marabouts - hâtivement traduits par culte des saints- relèvent d’un syncrétisme. De même, il n’y  pas de consécrations à caractère obligatoire (pas même pour le mariage) ; Mahomet était un homme parmi les hommes ;  la mosquée est un lieu de prière et aucunement la demeure d’Allah, et, de ce fait,  aucune cérémonie de consécration ne participe à son inauguration. L’idée de paroisse  et de diocèse est inconnue : donc il n’y a ni évêques, ni archevêques, ni cardinaux, ni papes, ni d’équivalents.

La hiérarchie du culte malékite se résume à sa plus simple expression : Mufti, primus inter pares dans une Djamaa des Oulémas (ouléma = savant , titre purement honorifique)  ; Imam, il dirige la prière et est élu par les fidèles de sa mosquée (dont il est responsable auprès de l’Etat ) ; H’azzab , il est le lecteur du coran ; Muezzin , il appelle à la prière ; Moudares , il est chargé de l’enseignement du coran , « équivalent de la catéchèse ».

En Islam, le temporel (l’Etat) prime sur le spirituel : c’est le cas partout dans le monde (y compris en Arabie Saoudite), à l’exception toutefois de l’Iran, depuis la révolution khomeyniste.

Il n’y a pas  de rites de passage particuliers ; la circoncision matérialise l’attachement à la lignée d’Abraham  (c’est exactement  le même pacte qui lie les juifs à Abraham). Bien que la conception de l’Etat ne soit pas laïque, ce n’est pas l’Etat qui s’occupe de l’organisation du culte : traditionnellement,  les fidèles s’organisent entre eux dans le cadre de la Djamaa, un groupement bénévole sans contours juridiques particuliers. Dans un souci de contrôle, le colonialisme français avait institué une manière de concordat entre le pouvoir central et les chefferies locales (que les Algériens, entre eux, surnommaient péjorativement béni oui-oui, tant leur propension à la servilité était grande) établissant ainsi le rapport de domination élémentaire : celui qui paye commande. La police des cultes est une des prérogatives du Ministre de l’Intérieur, Ministre des cultes. L’Etat algérien a, semble-t-il, repris cette formule.

b1) Le Laïcisme  dans l’histoire.

L’anticléricalisme : un héritage du 17ième siècle.

La question n’est pas de savoir qui, de la morale et de la Religion, a engendré l’autre (autant se casser la tête à chercher qui, de l’œuf ou de la poule, est à l’origine de  l’autre). Cependant, nul besoin d’être grand clerc pour se rendre compte qu’elles s’interpénètrent et que l’une étaye l’autre. La destruction de l’une  détruit l’autre. De même,  fondre d’autorité la morale dans la religion ou la religion dans la morale, jusqu’à n’en faire qu’une et une seule entité, revient également à détruire les deux. Ce qui est une lourde erreur, car la religion participe à l’assise de la morale et la morale  à celle de la société.

La destruction de la religion catholique durant la période sans-culottière, de 1791 à 1795, avait abouti à la mort de la morale et à la désinhibition des hommes.  Cela s’était traduit par les cyniques massacres à  Lyon et sa région, en Vendée et ailleurs. Eu égard à l’épouvantable situation qui en résulta,  Le Comité de Salut Public fut obligé de promouvoir derechef la liberté religieuse et à  en appeler à  «  l’Etre Suprême ». Soyons juste ,  ce faisant ,  il a réutilisé  quelque chose qui  marche ( une combine , dirait un athée de mes amis ) . Mais, n’est-ce pas là ce que les Pouvoirs, depuis la nuit des temps,  ont fait pour imposer leur légitimité - et ce, pour leur bien propre et celui de leur peuple?

Seulement voilà, l’Etat, qui répugnait à partager derechef le pouvoir avec l’Eglise catholique, reconnaissait, certes, par sa loi  de 1795,  la liberté de conscience et donc la liberté religieuse, mais  déclarait, en même temps, cesser de reconnaître et de salarier le culte : ce qui de facto coupait court à un éventuel retour du rôle de Religion d’Etat assigné à l’Eglise catholique avant 1789. Cette dernière  devait rentrer dans le rang et devenir une association cultuelle comme les autres. Ce à quoi les libres penseurs, les protestants et les juifs ont applaudi.

L’Eglise catholique est devenue, du fait de cette loi de 1795, totalement indépendante de l’Etat.  Forte de l’autorité de son pouvoir spirituel, du nombre de ses fidèles, de son  clergé assermenté, de celui non assermenté passé dans la clandestinité,  mais aussi de l’aura de martyre, fraîchement lustrée  par les massacres de masse, de la période de la terreur (dont 1793 en fut le zénith) l’Eglise Catholique redevint une puissance.

Le Directoire s’en alarma et s’autorisa à reprendre la persécution contre elle. Dès 1796, il fit voter une loi, suffisamment vague pour épouser les contours d’un maximum de situations et réagir à : «  toute provocation à la dissolution du gouvernement républicain et tout crime attentatoire à la sûreté publique ». La guillotine, désœuvrée l’espace de quelques semaines,   reprit du service  (mais à une échelle moindre), contre les prêtres clandestins (non assermentés) soupçonnés d’entretenir l’agitation contre le pouvoir, dans l’ouest du pays.

Dès le lendemain du coup d’Etat du 18 fructidor de l’an V (4 septembre 1797),  le gouvernement, d’extraction jacobine, afin de contrer la montée des modérés, vota une nouvelle loi qui l’autorisait à déchoir de la nationalité française les clercs récalcitrants «  qui troubleraient la tranquillité publique ». La déportation débuta  aussitôt.  L’anticléricalisme atteignit une nouvelle acmé. La guerre civile ne s’arrêta qu’en 1800.           

 Des intégrismes  religieux et politiques                                                                                   

Tant que la morale et la religion demeurent individualisées, tout va bien pour la société. Le problème survient quand les adeptes zélés, exaltés, d’une religion donnée oublient les hommes que cette  dernière est censée relier,  pour ne s’en tenir qu’à Dieu et à lui seul : la religion devient aussi la morale et se suffit à elle-même : c’est une fin en soi. C’est ce que nous constatons chez certains intégristes, et de tous les bords.

Nous avons ainsi jeté la pierre dans le jardin de la Religion.

Jetons cette même pierre, pour ne pas faire de jaloux, dans celui du laïcisme, somme toute une manière de religion temporelle, un credo politique.

Ce lobby a pour champ de bataille l’Ecole de la République et la laïcité ; l’hubris aidant, son laïcisme devient la morale et entend s’imposer à la République et à sa laïcité pourtant protégée par la loi du 09 décembre 1905, elle-même directement protégée par  la Constitution.

Quelle est la différence entre ces deux intégrismes ?  À mes yeux, il n’y en a aucune : dans les deux,  la morale est phagocytée par le credo.  Ces deux intégrismes, le laïciste et le religieux, oublient la finalité de leur mission qui est de relier les hommes. Par leurs excès, ils ôtent toute sensibilité, toute humanité à leurs adeptes; lesquels rendus insensibles et méchants par un matraquage médiatique ajoutent  la haine à la haine.

Pour en imposer à la laïcité républicaine, qui fait barrière entre eux et le pouvoir qu’ils convoitent,  les laïcistes en viennent à mépriser le peuple qu’ils prétendent  représenter, ses lois, sa constitution et même son « passé des lumières ».

En effet, dans une monumentale escroquerie intellectuelle, ils annexent à leur combat les grands  esprits « des lumières ». C’est ainsi que Voltaire, Rousseaux, Montesquieu et Diderot  se retrouvent supplétifs de notre laïcisme contemporain - malgré eux, et par-delà les âges -  embourbés  dans une entreprise de désinformation et de formatage psychologique.

Voltaire, Rousseau, Montesquieu, Diderot et les autres étaient certes anticléricaux mais aucunement des activistes notoires contre la religion.

Au 17ième siècle, une  nouvelle classe apparut dans le spectre social. Des hommes et des femmes de lettres, bourgeois, nobles et princes de l’Eglise,  réunis par libre choix,  égaux par-delà leur extraction, fusionnèrent  dans un même creuset : l’Académie Française. Cette nouvelle classe  en était à jouer des coudes pour s’imposer auprès des seigneurs d’alors, au détriment du clergé  (la force de frappe de la Religion d’Etat, le Catholicisme) qui occupait la place et n’entendait pas la céder : Il a donc fallu le harceler, le décrier, le circonscrire puis le contourner,   faute de pouvoir le déloger.

Mais chacun de ces grands hommes voyait « midi à sa porte ».

Voltaire estimait la religion nécessaire (pour le peuple uniquement) car elle préservait la morale (et partant, protégeait les biens de M. De Voltaire  contre l’envie de la populace), il la voulait  dans l’Etat, salariée par l’Etat, gouvernée par une Eglise de France par délégation de l’Etat français.

Pour Jean-Jacques Rousseau, un libre penseur dans la cité était une abomination,  le cléricalisme catholique triomphant l’était encore plus. Mais curieusement, Il ne concevait pas la cité sans religion, à condition qu’elle fût nationale d’abord – il aurait accepté n’importe quelle religion, sauf la catholique à laquelle il vouait une antipathie féroce,  à cause de sa position de religion d’Etat et de son clergé omniprésent, pléthorique et  sondeur des âmes. Il avait néanmoins le sentiment religieux et ne concevait pas la citoyenneté dénuée de ce sentiment qui implique morale et civisme .Sous cette approche, transparaît  le Rousseaux, ex-citoyen de la République de Genève, nostalgique des traditions de son pays natal.

Il semblerait que le jacobin Robespierre (qui s’inspira, pour son malheur,  de  Rousseau)  fut victime, entre autres, de s’être rangé, in fine, avec les modérés,  après avoir ressuscité  «l’Etre suprême » –  un péché véniel contre révolutionnaire, aux yeux de beaucoup.

Montesquieu, lui,  voyait la religion chrétienne comme «  anti despotique » car elle  déclare que l’âme de tout individu n’appartient pas à l’Etat : c’est là, selon lui, le fondement même des « Droits de l’Homme ». De par cette qualité, la religion constituerait une barrière, parmi d’autres, indispensable à un Etat démocratique : Montesquieu était donc pour une religion indépendante de l’Etat, à même de jouer le rôle d’opposition et de contribuer à l’érection de la démocratie.

Diderot, lui, était athée, « naturiste » : il croyait en la nature, (laquelle, dans son panthéon,  remplace Dieu), et à l’homme vierge de toute pollution spirituelle qui résulte de la civilisation; il était « immoraliste » (en ce sens qu’il estimait que  la morale,  la religion et Dieu sont des inventions des dominants, maîtres des cités, pour canaliser les énergies des hommes et accessoirement les asservir).

Nous sommes bien loin de la « lumière polarisée » dispensée par nos phares du laïcisme du moment, n’est-ce pas ?  Mais Fresnel nous a déjà mis en garde : l’obscurité est partie intégrante de la lumière. Derrière le voile de cette usurpation, nos maîtres à penser du moment, inconséquents, sécrètent l’obscurantisme qui nourrit l’obscurantisme à longueur de longueurs d’ondes…

Notre démocratie agonisante a un besoin urgent  de circonspection alliée à la modération.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.