Histoire d’une mutilation nationale. N° 5
- c) 3ième République. La longue marche de la laïcité
Pour les laïcistes, républicains ultras de cette époque, le Vatican, puissance étrangère, avait trop d’influence sur la société française en particulier grâce à son « armée de clercs », ses ordres, ses congrégations. Il constituait ainsi un contre-pouvoir intolérable qui, selon eux, menaçait les prérogatives de l’Etat. En réaction, ils développèrent un anticléricalisme féroce.
Le laïcisme, sous la houlette d’Henri Brisson, Président du Conseil de la 3ième République, était devenu synonyme d’anticléricalisme sans frein. L’homme avait des jugements flétrissants, définitifs, à l’endroit de l’Eglise Catholique : il en était encore à agiter, en 1885, cinquante ans après la disparition de « la Congrégation » (association catholique, particulièrement virulente qui avait causé bien des torts à Charles X, et somme toute à l’Eglise elle-même, avant de disparaître en 1830) le spectre de cette défunte devant les auditoires acquis à ce qui était devenu pour lui doctrinal : l’anticléricalisme. Fressinet, Sadi Carnot, Cavaignac ne l’entendaient pas tout à fait de cette oreille et réussirent à modérer ses ardeurs.
Monseigneur de la Vigerie, homme lige du pape Léon XIII, avait bien essayé, en 1872, de ranimer la restauration de la Monarchie légitime et, partant, de distribuer des cartes plus favorables au jeu de l’Eglise catholique. Mais Henri V aurait décliné l’offre, sous, nous dit-on, le bien léger prétexte de couleur de drapeau. Monseigneur de la Vigerie se força à rechercher un nouvel équilibre favorable à l’Eglise. Le jeu de « je te tiens, tu me tiens par la barbichette » aurait pu se prolonger longtemps ; car il devenait évident pour tous que l’intérêt du parti républicain était d’attiédir les ardeurs anticléricales de ses troupes. Mais, à la mort de Victor Hugo, « un impondérable » se produisit, forçant Brisson à céder à la pression : en mars 1884 l’Eglise Sainte-Geneviève fut désaffectée du culte catholique pour devenir temple de la religion laïque des Grands Hommes et c’est ainsi qu’elle fut «baptisée » le Panthéon.
Cette retentissante conquête des laïcistes fit craindre au président du conseil le pire : les élections approchant, il estima plus prudent de rétropédaler.
Monseigneur de la Vigerie n’éprouvait aucune sympathie particulière pour la République ; sa propension à l’entrisme était notoire : il tenait le goupillon et convoitait le sabre et, pour ce faire, poussait ses « pions » jusque dans l’Armée. C’est ainsi qu’il invita l’escadre , de passage à Alger, pour une « diffa » (pourquoi pas ! son propre journal algérois s’appelait bien « El Khabar », qu’on peut traduire par « le crieur public », ou l’informateur , en langue arabe ) pour un méchoui à la « bonne franquette de là-bas », donc, touchant l’épaule des uns, le dos des autres, dans une manière de bénédiction : la tortueuse politique de « ralliement à la République » était en marche et valait bien « cette messe ». (De toute façon, une assurance, c’est toujours bon à prendre).
Néanmoins, Monseigneur de la Vigerie craignait suffisamment la République pour se forcer à faire de la politique. Dans une espèce de donnant donnant, l’Eglise usait de son influence pour garder à la France le protectorat sur les catholiques du Levant et, de son côté, la République s’engageait à alléger les persécutions contre le clergé.
Léon XIII fut un pape diplomate. Du reste, Il avait été élu pour ses talents de diplomate afin de compenser les dégâts causés par son prédécesseur, Pie IX. Ce dernier, homme psychorigide et vindicatif, tour à tour, avait mis l’Eglise en butte aux tracasseries de l’Italie naissante, lui avait fait perdre son pouvoir temporel (c’est ainsi que la papauté fut confinée dans le Vatican), avait déclaré la personne du pape infaillible, promu l’immaculée conception au rang de credo, scandalisé les philosophes du moment…
Malgré tous les efforts de Monseigneur de la Vigerie, la déception fut au rendez-vous. A travers la Franc-maçonnerie, le Pape Léon XIII finit par lancer ses foudres contre « les ennemis irréductibles de la religion sur le sol français » : « Le but de cette secte est de réduire à rien le pouvoir et l’autorité de l’Eglise et (…) de constituer l’Etat en dehors des institutions et des préceptes de l’Eglise … ».
Il se trouva qu’à ce moment le clergé catholique était en proie à des luttes intestines : deux factions, l’une dirigée par l’abbé Meynard, l’autre par l’abbé Lagrange, s’entre-déchiraient à l’occasion de la parution de la biographie de monseigneur Dupanloup, laquelle soulignait le caractère « trop libéral » de feu l’Evêque d’Orléans …
Un examen attentif des positions des uns et des autres montre une instrumentalisation de l’actualité (qui n’est que familière à notre France contemporaine, addicte « au jeu de billard à bandes ») pour biaiser l’opinion et la forcer à prendre position contre les tenants de la politique dite « libérale » de Léon XIII (impulsée par l’estimé « trop libéral » Monseigneur de la Vigerie) et pas encore appelée politique de ralliement à la République.
Le ralliement à la République avait ses journaux : Le Monde et la Défense à Paris et le Moniteur à Rome. Ses détracteurs avaient également leurs journaux : l’Univers à Paris, et le journal de Rome à Rome).Leurs désaccords homériques laissèrent des traces indélébiles. Les opposants à la politique d’ouverture de Léon XIII désobéirent et « jouant » ouvertement contre leur propre camp, ils créèrent en 1906 - malgré l’interdiction expresse du tout nouveau Pape, Pie X – les associations cultuelles prévues par la loi du 9 décembre 1905, portant sur la laïcité.
L’Eglise, par sa « timidité au dernier moment », laissa les conservateurs sur leur faim.
La République, elle, y perdit « des plumes » : son anticléricalisme lui fit perdre beaucoup de terrain ; elle obtint une victoire toute mitigée mais ne gagna qu’une série de scandales politico-financiers et l’avènement de l’autoritarisme doublé de populisme du général Boulanger, que d’aucuns appelaient de tout cœur « contre le parlementarisme et son irresponsabilité » (sic !).
Le Laïcisme contemporain
La laïcité ! Objet de toutes les passions et, partant, de toutes les dérives, ce principe est inscrit, aussi volontairement que tendancieusement, dans l’équivoque et le dilatoire par ses faux amis, les laïcistes. Les contingences historiques aidant, ce terme est devenu, par la force des choses, polysémique, revêtant ainsi des significations diverses, voire contradictoires. Ne soyons pas dupes : un tel « miracle » sémantique ne peut advenir que si la mauvaise foi y met beaucoup du sien. Un «chtimi » de mes amis, philosophe sans s’en donner l’air, affirme que « quand il y du flou, il y a un loup ». Ce loup, c’est le lobby des intérêts particularistes ; il entretient une agitation constante nuisible à l’unité nationale - et aujourd’hui plus que jamais.
Nota : Pendant plus d’un siècle, les laïcistes ont entretenu la confusion cléricalisme = religion catholique, pour faciliter l’équivoque et, partant, la tâche de la rhétorique et donc la propagande laïciste, but ultime.
Nos laïcistes contemporains, de vulgaires plagiaires pour le coup, ne font pas autre chose au service de leur propagande laïciste : ils entretiennent la confusion islamisme/religion musulmane.
Ce bonneteau lexical permet de faire semblant d’ignorer que l’islamisme, c’est de la politique et l’islam une religion. Or, jusqu’à preuve du contraire, une politique qui instrumentalise une religion demeure une politique ; et on combat la politique avec les armes de la politique.
Voilà 40 ans que le laïcisme, ce crime contre la laïcité, dure. Ni les Présidents de la République successifs, ni le Conseil Constitutionnel, garants de l’intégrité de la Constitution, ni M. le président du Sénat n’ont levé le petit doigt pour que cesse cette ignominie particulièrement dangereuse pour la paix civile et la sécurité de nos institutions.
Mieux que quiconque, ces trois-là savent que, la «laïcité de l’Etat » est un principe fondamental républicain, sous-tendu par une loi, qui elle-même est sous la protection directe de la Constitution. La «laïcité de l’Etat » est donc d’interprétation stricte et ne saurait donner, encore et toujours, matière aux divagations « diarrhéiques », désormais quadragénaires, des laïcistes.