2) Attelons-nous à décortiquer les derniers mensonges.
À la traîne de Monsieur Éric Zemmour - lui suçant la roue, comme disent les cyclistes, avec ou sans dégoût - arrive une palanquée d’hommes et de femmes politiques qui nous déclarent : « l’Algérie, c’est la France qui l’a faite… à preuve, son nom a été forgé par la France, ses frontières ont été façonnées par la France, et la France prit le relais du colonialisme turc pour le plus grand bien des indigènes ».
Quant à ce dernier point, qui émaillait déjà les discours du lobby « coloniste », en 1830, les historiens, tels que Ch. A. Julien, Louis Massignon, Stéphane Gsell et les autres, ont montré l’ineptie de cette comparaison. Le régime impulsé par les frères Barberousse et adoubé de loin par la Sublime Porte, exploitait l’Algérie par le biais des tribus du Makhzen. C’était donc une gouvernance informelle. Aussi, les Turcs n’ont eu, à aucun moment, à saccager les structures tribales, socio-culturelles et religieuses du pays (3 millions d’habitants environ). Leur dominance ressemblait plus à celle de Lyautey sur le Maroc ; avec cependant une différence de taille : le tribalisme marocain était mu par une force centripète centrée sur le Roi (auquel revenait le dernier mot), alors que le tribalisme algérien, lui, ne parlait pas d’une seule voix. En effet, seules les tribus dites du Makhzen gravitaient autour du pouvoir turc ; les autres essayaient de s’en éloigner. En 1830, du fait des difficultés économiques, le mouvement général était clairement centrifuge.
L’Algérie française était, elle, une colonie de peuplement. Bon gré, mal gré, les indigènes devaient se plier et céder la place aux colons. Les révoltes et les répressions s’étaient succédé dans une interminable litanie de sanglots et de plaintes. Les tribus récalcitrantes étaient décimées ; ce fut, par exemple, le cas des Kroumirs (après leur défaite à la bataille d’Ichiredenne). La spoliation des terres ne s’arrêta que sous le gouvernorat général du socialiste Maurice Violette, à la fin des années 20.
Dans leur élan, galvanisés par l’exploit de M. Macron à l’assaut du « moulin-à-vent » Téboune, nos maîtres-à-penser du moment ont fait feu de tout bois. En véritables bonimenteurs de la foire d’empoigne cathodique, on les a vus hanter les plateaux de télévision et les studios des radios, délivrant, à qui veut les entendre, leurs « trouvailles » du moment. Surjouant l’indignation, ils ont martelé que l’hymne algérien, dans son troisième couplet, insulte et menace la France. C’est là un procédé mesquin étayé par des mensonges puérils.
J’en tremble pour l’hymne français : Rouget de L’Isle, lui aussi, vous a de ces idées pour irriguer nos sillons (du sang impur des Anglais, des Prussiens, des Autrichiens etc…)
- Thierry Mariani, M. Hervouët (journaliste) et bien d’autres, ont déclaré récemment que l’hymne algérien est le seul hymne au monde qui attaque directement un autre état.
Soit. Démontrons que l’hymne algérien, d’une part n’est pas le seul hymne à interpeller le colonisateur et, d’autre part qu’il n’insulte aucunement la France ni ne la menace.
Regardons autour de nous. L’hymne italien ne se propose-t-il pas de « plumer » l’Aigle autrichien ?
Remettons chaque chose à sa place afin d’exposer l’obscénité et la bassesse d’une entreprise de sape ,qui, en réalité, vise les boucs émissaires de nos banlieues. Nous sommes en présence d’une affaire franco-française, une affaire intérieure donc, qui, montée en épingle, tourne au pseudo-contentieux international : « c’est, encore une fois, l’arabe qui vient cacher la forêt » dirait le « Gone du chaaba » [1].
Sur le fond. L’hymne français, l’hymne italien et l’hymne algérien ont débuté leur carrière respective comme chants de guerre.
L’hymne français fut écrit, paroles et musique, en 1792, par Rouget de l’Isle qui le baptisa « chant de guerre de l’Armée du Rhin ». Il fut adopté aussitôt par les sans-culottes marseillais appelés en soutien à Paris lors de l’insurrection du 10 août de la même année. C’est ainsi que les Parisiens l’appelèrent « la Marseillaise ». Il devint l’hymne national sous la Première République puis connut une éclipse sous la Restauration. La Troisième République naissante le bombarda derechef hymne national (en 1879) ; il le demeura. Eu égard à l’agressivité du texte, le Président Giscard-d ’Estaing essaya bien de le changer, mais en vain.
L’hymne algérien, adopté par la République algérienne en 1963, est également un héritage, (comme du reste son drapeau « emprunté » au PPA /MTLD de Messali Hadj). Le poème écrit par Moufdi Zakaria (une commande de Abane Ramdane, congrès de la Soummam) fut mis en musique par le compositeur égyptien, Mohamed Faouzi en 1957/58. Il devint chant de guerre d’un FLN aux abois. Les Djounouds s’en saisirent rapidement, les scouts l’adoptèrent ensuite. Ce chant de guerre eut la vertu de galvaniser les masses et de les agréger autour d’un FLN dont l’aura avait été passablement ternie par sa lutte fratricide contre le MNA et qui se trouvait en butte à une traque implacable de l’Armée française.
Rappelons que ce chant de guerre s’intitule « KASSAMANE », « je fais le serment » ; les différents couplets précisent au nom de quoi ce serment est scellé et esquissent l’objectif escompté : la libération de l’Algérie.
Le troisième couplet, ainsi incriminé par nos divas du PAF, stipule textuellement :
Oh France, le temps des palabres est révolu/ Nous l’avons clos comme on ferme un livre/ Oh France voici le jour où il te faut rendre des comptes / Prépare-toi ! voici / Notre réponse / Le verdict, notre / Révolution le rendra / Car nous avons décidé que l’Algérie vivra / Témoignez-en / Témoignez-en /Témoignez-en.
Rappelons que ce serment a été tenu : le colonisateur français, aux « dernières nouvelles », a quitté l’Algérie. Dès lors qu’une menace est bornée, planifiée puis réalisée, mon ami Fabien vous dirait que c’est un essai transformé. Ledit verdict en question, c’est l’indépendance de l’Algérie. Or cette dernière a été proclamée le 05 juillet 1962. C’est déjà du passé. Où réside donc la menace pour l’avenir agitée par les divas du P.A.F. ?
Uniquement dans la tête de ceux qui ont besoin d’étayer leur propagande, afin d’arrimer plus étroitement l’électorat des nostalgiques de l’Algérie Française. En attendant, ils sèment la division et chauffent à blanc une partie de l’opinion nationale.
[1]. Azouz Begag, Le gone du Chaâba, Paris, Le Seuil ,1986.
La suite dans le prochain épisode.