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Billet de blog 8 décembre 2021

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Pour « l’honneur et la vraie justice » (IV)

Zemmour et ses suppôts se complaisent dans la désinformation : « Calomniez, Calomniez, il en restera toujours quelque chose ». Ils proclament ex-cathedra que (comme l’Afrique pour d’autres ténors de la politique, hier) l’Algérie n’était pas rentrée dans l’histoire avant que la mission civilisatrice de la France ne débutât ; elle lui donna son nom et traça ses frontières etc….

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  1. Zemmour et ses suppôts se complaisent dans la désinformation : « Calomniez, Calomniez, il en restera toujours quelque chose ». Ils proclament ex-cathedra que (comme l’Afrique pour d’autres ténors de la politique, hier) l’Algérie n’était pas rentrée dans l’histoire avant que la mission civilisatrice de la France ne débutât ; elle lui donna son nom et traça ses frontières etc….

C’est là les vestiges de « l’histoire » composée par le lobby « coloniste ». L’histoire comparée ridiculise cette composition. En effet, des textes officiels antérieurs au 05 juillet 1830, donc antérieurs à la colonisation de ce pays, font mention du nom Algérie. La bibliothèque de l’Université de Princeton recèle une carte de L’Algérie de la période turque [1] (l’Amérique, en butte à ses rivaux anglais et espagnols, avait mis ses bateaux en Méditerranée sous la protection de la Régence d’Alger ; les deux pays avaient alors d’excellentes relations). Cette carte délimitait déjà les frontières Est et Ouest de l’Algérie. Le Sahara, lui, faisait office de frontière du Sud ; jugé inutile, il ne fut délimité que bien plus tard, aléatoirement, à la règle, par l’administration française.

Pour le reste, l’Algérie est imbriquée géographiquement et historiquement dans le Maghreb qui fut et demeure un carrefour des civilisations, une croisée des chemins entre l’Europe, le Moyen-Orient, et l’Afrique. Son histoire est plusieurs fois millénaire, attestée par les vestiges des comptoirs phéniciens, carthaginois, grecs, mais surtout par la marque indélébile de Rome. En effet, l’Algérie après avoir renâclé contre la domination de l’Empire romain, épousa la romanité pendant des siècles ; c’est ainsi qu’elle donna à Rome au moins trois Empereurs, mais aussi des apologistes tel Tertullien et à l’Église plusieurs évêques, dont celui d’Hippone, le célèbre Saint Augustin. Car l’Algérie fut chrétienne : Catholique Romaine d’abord (elle en fut même le centre de gravité quand Rome se trouva en butte aux invasions barbares), Donatiste ensuite, jusqu’à l’arrivée de l’Islam.

La France « héritière de Rome » : c’est manifestement le credo de ceux qui, en 2005, osèrent une loi sur le rôle soi-disant positif de la colonisation, un ersatz de la lumineuse découverte de Jules Ferry : « la mission civilisatrice de la France ». Notons que cette supercherie n’a d’égale que ce « fardeau de l’homme blanc » que les USA, avec force images d’Épinal, disaient « se coltiner » à Hawaï et aux Philippines et qui s’était traduit sur le terrain par le massacre de peuplades sans défense.

Héritière de Rome ? Où sont les Édits de Caracalla ? Où sont les Septime Sévère, les Caracalla et les autres de l’Algérie française ? Où sont ses Saint Augustin ? Où sont ceux de la France après l’indépendance algérienne ?  Période qui pourtant aurait pu, aurait dû être propice, et qui ne le fut pas, à ces Français résultant des accords d’Évian, de la loi du sol (Jus soli), et pour les générations suivantes, de la loi du sang (Jus Sanguini) ?

La loi inutile de 2005, par son effet pervers, a tout au plus permis, par réaction, la création des « indigènes de la République ».

À l’orée de la première guerre mondiale, le taux de scolarisation des indigènes était de 7% (taux jugé amplement suffisant pour fournir « la courroie de transmission » indispensable à l’administration coloniale). Ce taux demeura famélique, (« comme la population concernée » tonne la statue de la commandeure Germaine Tillon) ; il atteignit péniblement aux environs du 1 nov. 1954, début de la guerre d’Algérie, 14 %. En 1957/58 le taux de scolarité bondit à 70 % : ce qui fit dire à certains, « ces mal pensants, sempiternels insatisfaits, honnis soient-ils », que les possibilités étaient là, mais pas la volonté, voilà tout.

Cette « nouvelle Rome » ne jugea pas même devoir hisser, dans son propre intérêt, le plafond de verre qui limitait les espoirs de ses sujets algériens. Dès 1870, on revint même sur les timides réformes favorables aux indigènes, imposées par Napoléon III durant les années qui précédèrent sa chute.

Pour parler vrai, le statut de musulman qui matérialise, aujourd’hui, la démarcation entre les habitants de nos ghettos et nous, matérialisait, hier, la frontière entre les Européens « assimilables » (et donc Français de plein droit), et l’indigène, qui demeurait certes français mais sujet de la France.  (Rappelons que les immigrants espagnols, italiens, grecs (etc…) parce que chrétiens, devenaient français avant même de dominer les rudiments de la langue de Molière : c’est vrai, il s’agissait alors de faire nombre devant les musulmans …).

Le moins que l’on puisse dire, c’est que « la Rome moderne » fut bien maladroite : elle tira sur le mors des indigènes et lâcha la bride aux « colonistes ». Ces derniers, l’arrogance et l’inconscience aidant, finirent par scier « la branche sur laquelle ils étaient perchés ».

L’élégance et la sagesse auraient voulu que la France admît les fautes du lobby colonial et qu’elle œuvrât à une relation, sinon amicale, du moins apaisée.

La France vient de demander pardon aux Harkis, ces supplétifs de l’Armée française, abandonnés à leur sort après avoir été désarmés, le 19 mars 1962, date du cessez-le-feu imposé par les Accords d’Évian.

Pour le citoyen équilibré, rien ne vaut le respect mutuel. Bien que trop tardive, la reconnaissance de cette faute est une bonne initiative.

Rappelons que de telles initiatives furent appelées de leurs vœux, il y a 60 ans, par le général Salan et le commandant Elie Denoix de Saint Marc. Ces derniers rappelèrent à cette occasion le souvenir de ces autres « harkis vietnamiens », qui malgré les coups de crosse, s’accrochaient obstinément aux ridelles des G.M.C de l’armée française quittant précipitamment l’Indochine, après Dien-bien-fou, en 1954. Au regard du souvenir mortifiant de ces malheureux, Denoy-de -de Saint Marc, putschiste certes, mais homme d’honneur s’il en fût, tint à payer de sa personne pour que le plus grand nombre des Harkis algériens traversât la Méditerranée.

Qu’il soit dit définitivement : « le pardon de la France » n’est demandé ni par les Harkis ni par les Algériens. Seuls ceux qui n’ont que le mot « repentance » à la bouche, ceux qui trouvent un intérêt électoraliste patent dans le dénigrement de ce mot, y sacrifient. Ne soyons pas les dupes de cette affaire : la « repentance » est la muléta qui a la vertu de surexciter l’électorat nostalgique de l’Algérie française et de le pousser à voter comme un seul homme. Harkis et Algériens, tous, par contre, demandent qu’on leur rende justice en reconnaissant leur douleur et que cessent le crachat et l’insulte sur leur vie et sur la mémoire des leurs ; bref, que cesse   la « guerre mémorielle » qui se joue grandement sur leur dos.

Encore une fois, l’essentiel de l’Histoire franco-algérienne fait aujourd’hui l’objet d’études comparées, en France et en Algérie bien sûr, mais aussi en Italie, au Royaume Uni, en Allemagne et aux USA. Tout est sur la table pour un examen attentif et loyal.

Au lieu de répondre à cette invitation, nos seigneurs du moment louvoient, ondoient, ondulent, entre les positions des uns et des autres, affirment une chose la veille et la contrent le lendemain : ils enfument à tout va ! Ils trouvent, ces Messieurs/Dames, que la guerre mémorielle a décidemment du bon : elle simplifie le spectre politique et le polarise, elle agrège l’opinion et la radicalise. Tant pis pour le petit Mohamed de la 5ième B, « agneau émissaire prédestiné » sacrifié sur l’hôtel de la déraison.  

L’historien britannique, professeur à Oxford, spécialiste de la France du 19ième et du 20ième siècle, Robert Gildea [2], faisant le constat que le retour de la question de l’Empire dans la conscience publique fut complexe, écrit : « Certains historiens l’ont montré, la mémoire de l’Empire est traversée par les conflits qui ont sévi dans l’Empire lui-même. De là les guerres mémorielles qu’ont connues aussi bien la France que la Grande Bretagne. Or, ces divisions n’affectent pas seulement la mémoire ; elles structurent le débat public et politique au sens large ».

Faut-il que ce soit toujours les Anglo-Saxons qui nous délivrent de nos démons domestiques ? Hier, Robert O. Paxton leva le tabou sur la période de la « Collaboration » - à ma connaissance le ciel n’était pas tombé à cette occasion. Il semble que Robert Gildea entreprend courageusement de gravir la via dolorosa que constitue le dossier Algérie française. Souhaitons au Britannique le succès de l’Américain pour qu’adviennent, enfin, des relations apaisées entre les Français.

C’est l’application de la loi commune, sans fard, qui apaisera la relation avec nos enfants ghettoïsés, « bâtards culturels, malgré eux ». L’empire n’est plus, qu’on se fasse une raison ; faire des petits Mohamed et Mamadou les victimes expiatoires et propitiatoires sacrifiées sur l’hôtel de notre nostalgie de l’Empire est pour le moins injuste. Ce faisant , on a ajouté la haine à la haine.

  Essayons, pour changer, des lois communes, des règles communes, sous le regard sourcilleux d’une Constitution Commune.

Par ailleurs, voulons-nous vraiment réduire ou même interdire définitivement l’immigration ? Qu’est -ce qui nous en empêche ? Les pactes internationaux, la charte des Nations-Unies, et autres accords bilatéraux, autant de contraintes mises directement sous la protection de l’Article 55 de notre Constitution. De plus, une loi allant dans ce sens, ne saurait être rétroactive : ceux qui nous font croire que nos compatriotes musulmans seront rejetés à la mer nous mentent : ces accords internationaux prohibent la « fabrication » d’apatrides.

Pour ce qui est des immigrés installés légalement et de longue date , leur éviction a pour corollaire, qu’on le sache, la fin de la France-Afrique et de la France-Algérie.  Le veut-on vraiment ? Il nous faut juste être adultes et responsables : sachons ce que nous voulons et appliquons nos décisions.

Quoi qu’il en soit, bonnes Samaritaines, ou vautours tournoyant (selon le jugement de Pierre ou de Paul) la Chine et la Russie sont déjà sur place.

[1] Carte de L’Algérie de la période turque

[2] Robert GILDEA, Passé Colonial et politiques du présent, Passés/Composés, 2020, p.25

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