1906 : laborieuse mise en application de la loi de décembre 1905, les inventaires
On nous a fait croire que la République, dans une crise d’autoritarisme, «ici couché-assis-fais le beau » a mis l’Eglise Catholique au pied. Il n’en est rien. La République a composé avec l’Eglise et réciproquement.
Le Pape Pie X avait débuté comme modeste curé de campagne. On ne s’attendait pas à trouver en lui de la finesse politique et surtout le caractère inflexible dont il fit preuve par la suite. A peine élu, le souverain pontife entreprit une réforme énergique et de longue haleine touchant au droit canon, à la liturgie, à la discipline et aux relations franco-vaticanes. Son pontificat - qui dura 11 ans- se distingua par son refus de la loi française du 9 décembre 1905- bornant la laïcité- et par l’encyclique contre le modernisme.
Ni la politique de Ralliement de Pie IX, homme peu flexible, sous l’influence de Monseigneur de la Vigerie- peu avisé ou peu chanceux - ni la rondeur de caractère et le sens politique de son successeur, Léon XIII, n’ont réussi à ramener la République française à de meilleurs sentiments . Quand Pie X débuta son pontificat, il trouva sur son agenda, en suspens, quelques nominations d’évêques. Il vit là l’occasion de manifester son désaccord. Dans un premier temps , là où le ministre français ne tolérait qu’un mot « nominavit (il a nommé) » signifiant que sa nomination de l’évêque était absolue , le nouveau souverain pontife exigea «nobis nominavit (il nous a nommé)» , qui réduisait le sens à celui d’une proposition , et le dernier mot devait ainsi revenir au souverain pontife . Dans un second temps, ne voulant plus « mégoter », il abandonna le mot « nobis », laissant au ministre français la formule de nomination qu’il assortit néanmoins d’un avertissement, sans équivoque, selon lequel, sous son pontificat, aucun choix d’évêque n’interviendrait sans qu’il ne fût consulté d’abord.
Le Concordat et ses articles organiques faisaient droit à la République de nommer les évêques et partant, lui donnait barre sur les affaires de l’Eglise de France. Certains républicains ont cru devoir dénoncer ce traité, mais, en même temps, craignaient la liberté que rendrait à l’église un régime de séparation ; ils entreprirent de lui dicter au préalable une constitution comminatoire qui - tout en protestant de sa volonté de ne toucher ni à la hiérarchie de l’Eglise, ni à son dogme - lui dictait, de fait, sa conduite ,et tout manquement l’exposerait à la confiscation de ses biens et à l’interdiction du culte.
C’est dans ce contexte que naquit la loi du 9 décembre 1905.Beaucoup de députés catholiques, ainsi que des évêques , la jugèrent acceptable. Ces derniers entreprirent de circonvenir Pie X et de l’amener à leurs vues, en mettant en avant les dangers auxquels serait exposée l’Eglise en cas de refus. En vain. Le Pape refusa la loi.
Les républicains étaient bien embarrassés : les sanctions - qu’ils avaient voulues, à dessein, extrêmes afin de fléchir la volonté du souverain pontife- devant le refus de ce dernier, se révélèrent une source potentielle non négligeable de troubles à l’ordre public. En effet, si confisquer les biens de l’Eglise était chose aisée, interdire le culte était d’une portée bien plus grave : les citoyens ne l’auraient pas toléré.
Aristide Briand était devenu ministre chargé de l’application de la loi de décembre 1905. Vu la tournure que prenaient les choses, dans une tentative désespérée visant à lui sauver la face, il entreprit d’exiger de chaque prêtre une déclaration préalable écrite sur la base de l’article 25, qui stipule « les réunions pour la célébration d’un culte, tenues dans les locaux appartenant à une association cultuelle ou mis à sa disposition sont publiques »
Le Souverain Pontife interdit de faire cette déclaration : il refusait la loi du 9 décembre 1905, donc son article 25 aussi.
Notons l’ironie du sort : hier, la loi sur la laïcité imposait que la religion soit publique, avec cette article 25, explicite, et l’appui, non moins explicite, de la maréchaussée; aujourd’hui, certains voudraient confiner la religion à la sphère privée, en se prévalant de cette même loi qu’ils biaisent sans vergogne.
Après ce refus donc, le Ministère envoya des agents constater les infractions au principe de publicité et autres délits relevant du chapitre « police des cultes » dans les paroisses, durant une quinzaine de jours, puis finit par renoncer. La République coupa les vivres, l’Eglise garda son allégeance au souverain pontife.
Un inventaire des biens d’Eglise fut ordonné .Il devait servir de préparation au régime de propriété que la loi nouvelle imposait. Les huissiers commencèrent les enregistrements et, ce faisant, déclenchèrent la colère des fidèles. La violence se répandit rapidement dans Paris puis en province, chaque paroisse se faisait un point d’honneur d’entraver la procédure. Les échauffourées se multiplièrent ; le sang coula ; on déplora des morts.
Le gouvernement inquiet du désordre, finit par suspendre les inventaires et ne devait jamais les reprendre. Mais la société française resta divisée durablement .L’apaisement n’intervint qu’au moment de la guerre 14/18, quand le danger ressouda la nation.
Les protestants virent, dans la loi de décembre 1905, un nouvel Edit de Nantes .Les Juifs, effrayés par les perspectives révélées par l’affaire Dreyfus, se rallièrent avec empressement à cette loi. Cela aurait pu être aussi la position de l’Islam de France ,aujourd’hui effrayé par l’irruption, sur le sol français, d’attentats induits par les désordres internationaux et par les amalgames qui en résultent, mais l’honnêteté nous force à dire que l’Islam de France clame depuis 30 ans – en vain- que la loi de 1905 qui s’applique aux cultes Catholique, protestant et juif doit pouvoir s’appliquer à lui aussi afin que la liberté de tous les cultes soit effective en toute égalité.
Belab