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Billet de blog 13 janvier 2019

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La lutte sociale a ses règles et la démocratie ses vérités fondamentales

l’Histoire, têtue, montre à qui le veut que les fruits d’une révolution sont toujours cueillis par ceux, qui mieux organisés, infiltrent le mouvement, font mine de le pousser avec les autres, mais le canalisent plutôt, quand ils ne le tractent pas. La Révolution Française comme la Russe, l’Algérienne comme l’Italienne, la Tunisienne comme l’Egyptienne illustrent cette constance.

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1988 administra à l’URSS l’extrême-onction, 1991 constata son décès .C’est à cette époque que « l’extralucide » Francis Fukuyama - Madame Soleil de la 25ième heure - a « emprunté » au conservatisme extrême, l’outil rhétorique “Fin de l’Histoire”. L’interprétation, éminemment opportuniste, qu’il en a donné n’était que l'expression de l’immodestie de nos maîtres du moment qui voulaient se convaincre - et surtout nous convaincre- que dans l’homérique guerre froide , plusieurs fois décennale, le capitalisme éclairé par le néolibéralisme Reagano-Thatchérien, avait triomphé du communisme et consacré le mariage, «pour les siècles des siècles » , de la démocratie et du marché soi-disant autorégulé .

La crise financière est passée par là .Elle a dévoilé le visage hideux du dit marché dont la rapacité, le cynisme et la versatilité ont fracassé les économies et la vie de beaucoup. Les petits ont réglé la facture des gros que l’on disait « too big to fall ». C’est ainsi que l’on a mis à contribution derechef les mêmes qui avaient accepté la mort dans l’âme les efforts exigés par les néo-libéraux promettant, avec Ronald Reagan, de la richesse à foison qui par « ruissellement » viendrait irriguer l’économie et étancher la soif des plus altérés.

Des richesses ont effectivement été créées, mais point de ruissellement : bien peu en ont donc profité.

Depuis, bien des yeux se sont dessillés. La résignation a laissé place à la révolte. L’expression de cette dernière est différente selon les pays : colère froide chez les uns, véritables chocs anaphylactiques chez les autres. Mais le résultat est le même partout : un nationalisme bêlant.

En France

En France aussi, Reagan et Thatcher ont essaimé des petits. Comme leurs géniteurs, ils promettent le « ruissellement » et nous en mettent plein le dos, à en croire le Gaulois rennais colérique : « observez-les, ces impudents, ils nous serrent la ceinture et nous aplatissent les bourses. Alors forcément, cela fait très mal ». Je n’ai plus le cœur à rire.

Selon un sondage du CEVIFOP « seuls 27% des sondés estiment que la démocratie fonctionne bien (moins 9 points en un an) et à peine 14% (moins 2 points) jugent que les responsables politiques se préoccupent de ce que les "gens comme vous" pensent. Lassitude (32%, +7), morosité (31%, +8) et méfiance (29%, +4) sont les trois mots qui expriment le mieux l'état d'esprit des Français, qui débouche sur une sévérité extrême à l'égard de la politique qui leur inspire très majoritairement des sentiments négatifs: méfiance (37%, -2), dégoût (32%, +7), ennui (8%) ou peur (4%) ». [1] 

Cet état des lieux de notre démocratie est terrifiant ! Il oblige à la responsabilité et au civisme.

Que font nos hommes politiques ? Le Gaulois rennais colérique répond par avance à cette question : «incorrigibles ,ils font de notre vie un film burlesque ; ils écument les plateaux de télévision , à la remorque de toutes les haines ; plagieurs impénitents, ils pillent le lexique de la droite extrême quand ils ne radotent pas en boucle la geste de leur parti et ne ‘’montent pas en épingle’’ les faux pas de l’adversaire en esquivant les pots-de-chambre de leurs histoires siamoises, qu’ils s’entre–lancent en représailles (…) . ».

Il est urgent de faire la part des choses .Ne mettons pas la « charrue avant les bœufs » : la lutte sociale a ses règles et la démocratie ses vérités fondamentales. La colère est mauvaise conseillère et, nous le voyons bien, elle sert d’abord l’extrême-droite, et plutôt copieusement.

Aux romantiques qui rêvent de révolution, je rappellerais que le chaos ne profite jamais aux classes les plus faibles de la société. De plus, l’Histoire, têtue, montre à qui le veut que les fruits d’une révolution sont toujours cueillis par ceux, qui mieux organisés, infiltrent le mouvement, font mine de le pousser avec les autres, mais le canalisent plutôt, quand ils ne le tractent pas. La Révolution Française comme la Russe, l’Algérienne comme l’Italienne, la Tunisienne comme l’Egyptienne illustrent cette constance.

Que le père de famille oméga ne s’y trompe pas : les conseilleurs ne sont pas les payeurs.

Le 9 juillet 1850, lors d’un débat houleux à l’Assemblée Nationale, Victor Hugo a rappelé ces vérités fondamentales de la démocratie, cette trinité de la République Française, jalousement laïque : la souveraineté du peuple, le suffrage universel, la liberté de la presse. « À elle trois elles constituent notre droit public tout entier ; la première en est le principe, la seconde en est le mode, la troisième en est le verbe. La souveraineté du peuple, c’est la nation à l’état abstrait, c’est l’âme du pays. Elle se manifeste sous deux formes ; d’une main, elle écrit, c’est la liberté de la presse ; de l’autre, elle vote, c’est le suffrage universel (…) [partout où cette trinité républicaine existe dans sa puissance et sa plénitude] la République existe, même sous la monarchie. Là où ces trois principes sont amoindris dans leur développement, opprimés dans leur action, méconnus dans leur solidarité, contestés dans leur majesté, il y a monarchie ou oligarchie, même sous le mot République ». L’auteur des Misérables a insisté sur le fait que ces trois principes vivent d’une vie commune : « Toute atteinte à la liberté de la presse, toute atteinte au suffrage universel est un attentat contre la souveraineté nationale (…) La souveraineté du peuple n’est pas, si elle ne peut agir et si elle ne peut parler. Or, entraver le suffrage universel, c’est lui ôter l’action ; entraver la liberté de la presse, c’est lui ôter la parole. ». [2] 

« Un homme s’empêche » rappelait Camus. Un citoyen responsable aussi : « il n’appartient pas à une fraction de défaire ni de refaire l’œuvre collective ». En attendant de reprendre la main par les urnes « parlez, écrivez, enseignez, éclairez-vous et éclairez les autres .Vous avez à vous, aujourd’hui la vérité, demain la souveraineté. ». [3]

J’apprends avec soulagement que les gilets jaunes s’organisent, se conforment aux règles de la mêlée sociale, et voudraient même investir et s’investir dans les élections : c’est responsable, c’est légal et cela s’inscrit de plein droit dans le champ constitutionnel.

Dans cette perspective, et dans cette perspective seulement, les seuls perdants seraient ceux qui, en ce moment même, appellent de leurs vœux à plus de désordre et soufflent sur le brasier de la révolte. En proie à l’inflation verbale, les yeux rivés sur la plus-value qu’ils escomptent déjà, ils crient au référendum, à la proportionnelle intégrale, à la dissolution de l’Assemblée Nationale. Vous m’objecteriez l’évidence : n’est-ce pas là autant d’actes légaux ? Certes ! Mais à ne jamais accomplir à la légère car, effectués à chaud, en ces temps de peur et de passion irraisonnées, ils pourraient conduire la France au chaos dont nous n’avons nullement besoin.

[1] https://www.europe1.fr/politique/sondage-la-confiance-en-macron-chute-de-13-points-en-un-an-selon-le-cevipof-3836756

[2] source : Victor Hugo, actes et paroles avant l’exil, liberté de la presse, p. 123.

[3] Source : Victor Hugo, actes et paroles avant l’exil, liberté de la presse, p. 116.

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