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B- La malédiction de l’Islam essentialisé par ses ennemis (suite et fin)
B-4- Le Salafisme wahhabite
La secte wahhabite a été classée « bida’a », hérésie . C’est ce qui explique son effort missionnaire, frénétique, visant à gommer ce qualificatif infamant. Cette dynamique de normalisation est sous -tendue, comme il a déjà été écrit, par un gigantesque budget promotionnel(9 Milliards de dollars). C’est le prix à payer pour l’exclusivité en tête de gondole au supermarché de la foi.
a- Histoire d’une symbiose : secte wahhabite et dynastie des Banou Saoud.
L’obédience sunnite hanbalite, rigoriste, végétait, depuis le 13ième siècle, en vase clos dans le désert d’Arabie, hors des grandes routes civilisationnelles. C’est dans cet espace confiné que naquit, dans la première moitié du 18ième siècle, la secte wahhabite. Sans rejeter formellement l’école d’Ibn Hanbal et son Fiqh, elle donna dans encore plus de puritanisme : pour s’implanter sur du frugal et du sec, elle tabla sur du plus frugal et du plus sec.
Mohamad Ibn Abdelwabab, son maître à penser, venait d’exhumer les théories du mouvement salafiste (Ce dernier était mort au 11ième siècle, après avoir sévèrement entravé la marche de l’Islam des lumières). Plutôt que l’affrontement avec l’obédience sunnite péninsulaire, il choisit la tactique du coucou : il déposa « ses œufs » dans le « nid » hanbalite.
La montée en puissance de cette secte rencontra celle d’un formidable mouvement politico-militaire qui, sous la houlette d’un Sharif des Banou Saoud - Mohamed Ibn Saoud – parvint à unir les tribus du Nadj (centre-est de la péninsule arabique) en 1744. Après avoir chassé les Turcs du Hidjaj (bordure ouest de la péninsule arabique où se trouvent les villes saintes de la Mecque et de Médine), en 1804, le 1er royaume saoudien fut proclamé sur l’étendue de son territoire actuel.
Mohamed Ali, Pacha d’Egypte, reprit La Mecque et Médine en 1818 .Le Hedjaz resta sous occupation pendant 20 ans.
La victoire sur les Egyptiens permit la proclamation du 2ième royaume saoudien .Mais une rivalité princière -opposant deux frères de la famille Saoud - sonna le glas de celui-ci, en 1870, et aboutit à l’éclatement de l’alliance des tribus qui faisait son assise.
De la branche exilée dans les territoires de l’actuel Koweït, en 1902, un Sharif des Banou Saoud - Abdelaziz Ibn Saoud - entreprit la reconquête du royaume de ses ancêtres : Il restaura l’alliance des tribus du Nadj d’abord puis, en 1924, celle du Hedjaz, au détriment d’Hussein Ibn Hachem, Sharif de la Mecque .En 1932, Le 3ième royaume saoudien fut proclamé sous son nom définitif d’Arabie Saoudite.
Le Wahhabisme est consubstantiellement lié à la dynastie des Saoud. Sa puissance crut parallèlement à la leur qu’il servit avec zèle et à qui il offrit son fer de lance : les « Ikhwan », les frères .Mais ces derniers se révélèrent rapidement incontrôlables. Dans leur élan, ils ajoutèrent aux troubles permanents engendrés par leur prosélytisme agressif, le rejet de la modernité. Cela ne manqua pas de gêner la politique royale, d’ouverture contrôlée, visant à travailler avec l’étranger, en particulier dans le domaine du pétrole. Le roi Abdelaziz qui avait le souci de créer un état pérenne, avec toutes ses prérogatives, en vint à l’évidence : les Ikhwan étaient devenus un obstacle.
Mais pouvait-il partir en guerre contre ceux qui l’avaient amené au pouvoir ? Il se tourna vers les Oulamas wahhabites qui ne tardèrent pas à trouver dans le Coran, les Hadiths et la Sunna le préalable nécessaire et suffisant autorisant le roi à faire appel aux étrangers : Mahomet n’a-t-il pas utilisé juifs et chrétiens, pour le bon déroulement de ses affaires ?
Fort de ce viatique, le roi Abdelaziz détruisit militairement l’organisation des Ikhwan.
Carburant spirituel des conquêtes à l’origine des 3 royaumes évoqués ci-dessus, le wahhabisme- la victoire acquise- fut bombardé, à chaque fois, religion d’Etat et ce, au grand dam des tenants du courant sunnite hanbalite péninsulaire peu à peu subjugué.
En 1953, le roi Abdelaziz ibn Saoud mourut. Par testament, le pouvoir temporel fut légué à un collège princier composé de ses 53 fils et ce, afin d’éviter d’éventuelles querelles intestines semblables à celle qui avait causé la perte du 2ième royaume saoudien. Notons que le roi, élu par sa fratrie, n’est pas un monarque absolu mais seulement le primo inter pares. Nous pouvons dire que le royaume d’Arabie Saoudite est une copropriété princière des 53 fils ; le roi n’en est que le syndic.
Cela n’empêche aucunement les luttes intestines et les alliances pour la captation du pouvoir au bénéfice d’un clan où d’un homme (les clans en question sont les tribus maternelles respectives des princes).
Quoi qu’il en soit, le pouvoir temporel est collégial .Il détient la quasi-totalité des ministères dont la Défense Nationale, l’Intérieur et sa police politique , le Commerce, les Hydrocarbures .La Justice et le Secrétariat d’Etat aux cultes lui échappent et demeurent l’apanage d’un clergé zélote, prosélyte et jaloux de ses prérogatives : il dicte la doxa wahhabite et l’impose à tous, sous l’œil inquisiteur de sa propre police religieuse , le Comité de la Promotion de la Vertu et de la Prévention du Vice.
Le pouvoir temporel princier ne peut, en l’état, s’affranchir de la précieuse –mais contraignante -aide du clergé wahhabite. Elle lui est indispensable pour la conduite d’un peuple particulièrement croyant. Les Oulémas mettent toute leur science en branle afin de trouver les corrélations nécessaires et suffisantes entre les exigences de la gestion quotidienne du pouvoir et le Coran, la Sunna, les Hadiths, le Fiqh. C’est ainsi que lorsque la peur de l’Irak a amené la famille princière à accueillir, sur le sol sacré de l’Islam, l’armée américaine et rendre ainsi « hallal », licite, la croisade de G.H.Bush, les oulémas wahhabites, consultés en urgence, n’ont pas manqué de dénicher la jurisprudence providentielle - viatique aussi miraculeux qu’indispensable - qui permit à la maison princière, un temps désarçonnée, de se remettre sur son séant.
b- De la liberté des cultes en Arabie Saoudite
En 2004, cette même jurisprudence a permis au roi Abdallah, dont le pays était en butte à une critique quasi unanime - 15 des 19 terroristes impliqués dans les attentats du 11 septembre 2001 étaient saoudiens – d’autoriser – au grand dam du clergé wahhabite- une liberté partielle des cultes aux minorités de son territoire. C’est ainsi que les shiites peuvent, depuis, commémorer publiquement l’Achoura.
Nota : dans le reste des pays musulmans, la liberté religieuse est de mise depuis le khalifat d’Omar. Certes des frictions interviennent de temps en temps, sous l’instigation de telle faction centrifuge ou telle autre - nous le voyons en Egypte par exemple - mais les dispositions légales et constitutionnelles existent et contraignent au respect des minorités. (Les cultes chrétien et juif ont été affranchis sous le Khalife Aboubakr et les Bahis sous le Khalife Omar ; tous ont été bombardés « gens du livre » au même titre que les musulmans).
Remarque 1 : Certains ironisent sur le statut de Dhimmi (protégés du souverain) des chrétiens, des juifs et des bahis en terre d’Islam , dans des temps anciens , et font mine de lui trouver un côté infamant : « ces communautés étaient ostracisés et payaient un impôt que les autres ne payaient pas, la jizia », nous dit-on. Ce qui est à retenir, avant tout, c’est que ces minorités pouvaient pratiquer leurs religions librement, en terre d’Islam, dans des périodes de l’Histoire où les bûchers de l’intolérance foisonnaient en Europe. (Les Maimonide et autres penseurs juifs, comme l’essentiel de leur communauté rejetée d’Espagne, ne s’y étaient pas trompés : c’est en terre d’Islam qu’ils cherchèrent et trouvèrent asile).
Remarque 2 : Rappelons que les chrétiens, les juifs et les bahis ne portaient pas les armes en temps de guerre : la « Jizia », l’impôt, était née uniquement de ce particularisme. Du reste, Israël met également en pratique, aujourd’hui, cette loi ancestrale et exclut les arabes israéliens du port des armes : ni les Zemmour, ni les Finkielkraut, ni l’ONU, ni les tenants de nos lobbies particularistes, ni même nos chantres des Droits de l’Homme ne trouvent rien à y redire.
En Arabie Saoudite, le pouvoir spirituel est associé - mais subalterne - au pouvoir temporel. L’Arabie saoudite, wahhabite, n’est donc pas une théocratie stricto sensu .Le Royaume qui se veut gardien des lieux saints de l’Islam et dépositaire du seul, du vrai, du « Coran étalon », ne respecte pas la liberté religieuse de ses minorités. Pourtant cette dernière est inscrite, sans équivoque, dans la législation d’Omar et dans la sourate 109, dernier verset : « vous avez votre religion et j’ai la mienne ».
(Ironie de l’histoire : l’Iran des Ayatollahs - qui, elle, est une théocratie - respecte ses minorités ; y compris sa minorité juive, malgré ses relations exécrables avec Israël).
c- De la Justice en Arabie Saoudite
En Arabie Saoudite, la Justice demeure l’apanage du clergé wahhabite.
Remarque 3 : Dans l’écrasante majorité des pays, la Justice est rendue sur la base du Droit Positif : un droit écrit, dans lequel les lois, votées par le corps législatif, s’insèrent automatiquement au fur et à mesure de leur promulgation. En Arabie Saoudite, il n’existe pas de Droit Positif. Le Droit n’est pas écrit ; il n’est pas voté par le corps législatif ; il n’est pas le résultat d’un droit jurisprudentiel, ni même coutumier (‘Orf ou ‘Ada). Le clergé wahhabite dit le Droit sur les seules bases écrites que sont le Coran, les Hadiths et la Sunna et s’interdit de coucher sur le papier la jurisprudence née de sa propre expérience. Et pour cause ! Ecrite, cette jurisprudence - résultant de la justice rendue au jour le jour par les tribunaux - deviendrait, aussitôt, Droit Positif, propriété de tous et donc d’hommes de loi, comme dans le reste du monde. Le clergé se priverait ainsi de l’essentiel de son ascendant sur le pouvoir temporel et perdrait le principal levier de contrôle du peuple saoudien. Aujourd’hui, en Arabie Saoudite, être Juge c’est d’abord être membre du clergé ; un tribunal ne peut être que religieux.
Belab
Bibliographie :
« L’Islamisme en face », « Comprendre l’Islam politique » et « la Lybie », de François Burgat. «L’Echec de l’Islam Politique », « la Sainte Ignorance » et « le Djihad et la mort », d’Olivier Roi. « L’Enigme saoudienne .Les Saoudiens et le monde », de Pascal Ménoret. « Les Islamistes Saoudiens .Une insurrection manquée », de Stéphane la Croix. « Le Mythe de l'islamisation », de Pascal Liogier.