FABRIQUER L'ANTAGONISME
L'antagonisme fondamental des Nomades et des Sédentaires,
des Arabes et des Berbères ne correspond pas à la réalité historique.
Il s'agit d'un mythe.
Des historiens sérieux y ont cru, quand même les résultats de leurs recherches infirmaient cette théorie sur nombre de points essentiels.
GEORGES MARÇAIS SAVANT..."ABUSÉ"
G. Marçais, un des meilleurs connaisseurs du problème des Arabes en Berbérie,
y a souscrit dès la préface de son ouvrage,
bien qu'il ait rassemble une moisson de faits qui sont bien la preuve qu'il n'y a pas eu "invasion" véritable.
Ces réserves ou ces objections n'ont pas été regroupées pour démolir cette fable des "envahisseurs arabes".
E.F. GAUTIER L'ÉGÉRIE COLONIALISTE
E.F. Gautier put en faire véritablement le leitmotiv obligatoire ee toute réflexion historique sur l'Afrique du Nord et la théorie officielle.
Le refus d'admettre les évidences amassées,
l'obstination à répéter une telle erreur et à en faire le thème de toute médiation sur l'Histoire maghrébine ne peuvent être fortuites.
L'INCULCATION D'UN MYTHE
Ce mythe n'est pas le fruit du hasard.
Il a été consciemment forgé, et inculqué dans le cadre de l'idéologie colonialiste.
FELLAGATION DU PEUPLEMENT
(...) Dès le début de la conquête de l'Algérie, les généraux français se sont efforcés de dissocier "Arabes" et "Kabyles", et ils y parvinrent. (a)
DAM DE NEUTRALITÉ
Abd el Kader n'aurait pas pu être vaincu sans la neutralité des Kabyles (1847)
qui ne furent attaqués qu'en 1851.
LE MAROC LABO DE MITOSE
C'est au Maroc que la politique "berbère" (1)
et anti-arabe
fut organisée le plus méthodiquement.
Sa manifestation la plus spectaculaire et la plus grave fut, en 1953, la prétendue "révolte" des montagnards berbères contre le sultan Mohammed V, trop favorable au mouvement nationaliste.
LES ARABES BUVARDS DES BUGEAUD
Faire des Arabes des envahisseurs nuisibles n'était pas une façon de légitimer la "présence française" ?
"SAINT" LOUIS BERTRAND
L'œuvre d'un Louis Bertrand (2) de l'Académie française et chantre officiel du Gouvernement Général de l'Algérie
a pour thème majeur
celui d'une Berbérie chrétienne
symbolisée par le personnage de Saint Augustin,
longtemps soumise aux envahisseurs orientaux et revenant,
grâce à la France, dans le giron de l'Occident et de la Chrétieneté.
Thèmes délirants qui ont les choux gras des officiels en mal de discours sur
la "mission civilisatrice de la France".
Sur ces divagations de littérateur, on s'efforça d'apposer le sceau de l'historien et du géographe.
NS/AB DE GAUTIER À CLIO
Le théoricien de l'antagonisme Nomade-Sédentaire
et des invasions arabes fut E.F. Gautier.
Après avoir participé en 1897, aux côtés de Galliéni, à la terrible répression de la révolte des Favavalo de Madagascar, professeur à l'Universite d'Alger, il fut un des plus brillants idéologues de la colonisation,
L'ARABE ORGUEILLEUX COURANT D'AIR
et s'acharna à démontrer qu'un sentiment national ne pouvait exister légitimement en Algérie :
le Nomade, l'Arabe, l'Oriental "a du passé humain, de l'histoire, une conception biologique et non géographique.
L'Arabe a l'orgueil de sa famille, de son clan, un orgueil de sa race; on voir bien la différence avec notre patriotisme;
une patrie est un pays géographique...
et l'amour du sol est un sentiment de sédentaire". (3)
L'Arabe n'a donc pas le droit d'avoir une partie. C.Q.F.D.
LE BERBÈRE ENCOMBRANTE OPPORTUNITÉ
Quant au Berbère sédentaire, son cas n'est meilleur, du moins selon E.F. Gautier,
"En Berbérie... le fait le plus frappant est l'absence de toute base sentimentale sur laquelle on pourrait édifier une solidarité nationale, on peut admettre qu'il y ait là une rare individualiste incurable", (ibid p. 92).
Affirmation gratuite et évidemment intéressée.
JOUG-FRANÇOIS ACTE RÉCOGNITIF !
La lutte éternelle entre Sédentaire et Nomade fait du "Maghreb actuel un complexe d'éléments incompatibles, irréconciliables" qui ne peut trouver sa cohésion que sous une domination étrangère.
LA BERBÉRIE BRINDILLE D'EMPIRE
"La Berbérie, non seulement n'a jamais été une nation,
mais elle n'a jamais été un État autonome.
Elle a toujours fait partie d'un empire. (Ibid p. 25).
MAGHRÉBIN LUCRE COLONIAL
"Les Maghrébins ne sont que d'éternels conquis...
qui n'ont jamais réussi à expulser leur maître" p. 24.
On reste confondu qu'un universitaire puisse avec tant d'effronterie développer un tel tissu de grossières contre-vérités historiques.
L'AFRIQUE DU NORD RACCROC DE CLIO !
Il est faux que l'Afrique du Nord ait toujours fait partie d'un empire étranger :
l'Algérie et la Tunisie actuelles ont été gouvernées du VIII au XVI siècle par des dynasties autochtones.
Le Maroc a été en fait indépendant depuis les temps les plus reculés jusqu'au XXe siècle.
La domination romaine n'a été qu'un très bref épisode localisé et la souveraineté du Khalife de Damas au VII et VIIIe siècles n'a été que purement théorique.
L'INSUBMERSIBLE SOUVENIR
Et ces "éternels conquis" ont dominé l'Espagne et l'Égypte.
Que ne pourrait-on pas écrire sur la France, si avec le même état d'esprit, on se bornait à n'envisager que la période de la guerre de Cent ans!
La falsification historique ne suffisant sans doute pas, on en vient aux arguments du plus pur type raciste.
MAGHRRRÉBIN SAVATEUX
"Le Maghrébin parmi les races blanches méditerranéennes représente assurément le traînard resté loin en arrière" (ibid, p. 9)
"Cette race... n'a aucune individualité positive" (p. 24), écrit E.F. Gautier.
Mais cet Ibn Khaldun dont on a célébré la grandeur pour donner plus de poids aux théories anti-arabes qu'on prétend lui imputer, n'est-ce pas un Maghrébin d'incontestable valeur ?
Non, conclut Gautier, car
"L'esprit oriental est au rebours du nôtre... privé de sens critique rationnel... il n'a pas le sens du réel".
Ibn Khaldun veut comprendre, voilà qui est bien occidental pour un musulman...
"Cet oriental a un vif esprit critique, cela revient à dire qu'il a une conception occidentale de l'Histoire" (p.95-101).
Imperturbable, Gautier poursuit en accumulant les contre-vérités de tous ordres,
"La civilisation musulmane est frappée d'une curieuse paralysie du sens historique" (p.102).
Ce qui est totalement faux.
"Au Moyen Âge le moindre de nos historiens fait de l'Histoire comme Monsieur Jourdain;
le Sarrasin de l'esprit le plus délie n'en a pas la moindre idée." (4)
Bornons-nous à dire qu'entre Ibn Khaldun et son contemporain Froissard, la comparaison n'est pas à l'avantage du représentant de l' "esprit occidental".
Mais tout comme Louis Bertrand qui voyait dans le Maghreb un pays chrétien dominé par des orientaux,
Gautier annexe Ibn Khaldun à "l'Occident" :
"Il a une conception occidentale de l'Histoire."
"Faut-il admettre que par le détour de l'Andalousie peut-être une bouffée de notre Renaissance occidentale soit parvenue jusqu'à l'âme orientale d'Ibn Khaldun" (p.96).
E.F. Gautier ne fut pas seul à développer cette idéologie colonialiste.
G. BOUTHBOUL POLÉMOLOGUE
G. Bouthoul (5) (et b) voit lui aussi dans la lutte des Sédentaires et des Nomades le fondement du prétendu dilemme de l'Afrique du Nord :
"Liberté et Barbarie ou civilisation et servitude", car pour imposer la paix à ces groupes irréductiblement ennemis (sic)
"les seuls gouvernements qui avaient joui d'une stabilité suffisante... (ont été) ceux qui pouvaient s'appuyer sur l'aide effective d'un État étranger puissant...
Mais toutes les fois que l'Afrique du Nord fut livrée à elle-même, elle retrouva ses mêmes vicissitudes" (p. 50-51)
Il n'est pas jusqu'au très socialiste Ch. A. Julien qui ne paraisse souscrire à de tels thèmes;
aprés un préambule consacré à la géographie et à la préhistoire, c'est par cette réflexion (erronée) qu'il présente l'ensemble de l'Histoire nord-africaine:
"Aussi loin que l'on remonte dans l'Histoire de l'Afrique du Nord, on constate que tout se passe comme si elle avait été frappée d'une inaptitude congénitale à l'indépendance" (6)
Cette prétendue inaptitude des Maghrébins à l'indépendance, leur soi-disant nature d' "éternels conquis" (Gautier) ont été la clé de voûte de l'idéologie colonialiste.
Comme il était incontestable que dès le VIIIe siècle, le Maghreb après l'insurrection Kharedjite
est devenu indépendant à l'égard des dynasties orientales,
il était nécessaire pour accréditer la thèse de "l'inaptitude congénitale à l'indépendance",
de transformer la migration de quelques tribus arabes, arrivées en Afrique du Nord au XIe siècle
et entrées au service des souverains autochtones,
en une "invasion arabe". (c)
Cette thèse de la conquête de la Berbères par les Arabes à partir du XIe siècle avait dans le cadre de l'idéologie colonialiste un double intérêt:
- d'une part,
elle faisait des Français les derniers conquérants d'un pays qui avait toujours vécu en état de servitude,
et qui, espérait-on, le resterait à jamais.
- D'autre part,
elle fournissait une caution historique à la politique qui tentait d'opposer systématiquement les Berbères aux Arabes. (7)
Rien d'étonnant que les tenants du colonialisme, pourtant peu enclins à célébrer les grands noms de la civilisation arabe,
aient donné tant d'importance à Ibn Khaldoun (d)
Pouvaient-ils imaginer plus précieuse caution pour une théorie frauduleuse ?
Notes Y. Lacoste:
(1) Pour ce qui est de l'Algérie, voir C.R. Ageron : La France a-t-elle eu une politique kabyle, Revue historique, 1960.
(2) Saint Augustin (1913), Autour de Saint Augustin, Sanguis Martyrum (1818), Les villes d'or (1921).
(3) Le passé de l'Afrique du Nord, p. 114.
Ibn Khaldun Naissance de l'Histoire Passé du tiers monde, Yves Lacoste, La Découverte & Syros, 1998, chapitre 1, Passé du tiers monde, Le mythe de "l'invasion arabe", troisième section pages 100, 101, 102, 103.
(4) Mœurs et Coutumes des Musulmans, p. 772.
(5) Ibn Khaldun, sa philosophie sociale.
(6) Histoire de l'Afrique du Nord des origines à la conquête, Julien et Courtois, Payot, 1951, p. 48.
(7) Cf. Cette déclaration devant la commission d'enquête sénatoriale en 1891 d'un "administrateur", Camille Sabatier, théoricien de la politique Kabyle.
"Divide ut imperes ! et pourquoi pas ?
Pourquoi pas ne pas prévenir une union entre Kabyles et Arabes qui ne pourrait de faire que contre la France !"
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Notes E'M.C.
(a) "Arabes" "Kabyles", ingrédient explosif, sorti du tiroir d'indivis, opiniâtrement présenté comme l'amatelotage intenable, un écœurant clash de re-conquête néocolonialisme, diabolique bissectrice au divergeage incalculable du plus vaste espace d'un continent, berceau de l'humanité.
(b) Gaston Bouthoul, né Boutbloul, voire Boutbâl (Monastir 1896- Paris 1980) fondateur et promoteur d'une nouvelle discipline, la polémologie: l'étude "scientifique de la guerre et des formes d'agressivité organisées dans les sociétés";
il est l'auteur notamment de 8000 traités de paix, Julliard, janvier 1948.
(c) "invasion" mot de rude couenne, de plus en plus employé par les identitaires racistes dits "souchiers" de droite comme de gauche transfuge contre "leurs" autres mêmes, français sous-dits Maghrébins.
(d)L'auteur écrit Ibn khaldoun pour Ibn Khaldûn.
(e) Cette factice et forcée opposition entre Berbères et Arabes, reste l'ingrédient récurremment explosif de l'opiniâtreté néo-coloniale qui vise la division des pays dits du Sud, et plus particulièrement l'Algérie non-alignée. Voire.
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Choix, découpage, suite, notes et ultérieures, titres intérieurs, bibliographie. etc.
E'M.C.