GÉNÉALOGIE D'UNE FORGERIE
La traduction en 1853 des Prolégomènes d'Ibn Khaldoun est utilisée pour fournir à cette thèse [des "invasions arabes"] devenue quasi officielle une consécration particulièrement brillante:
un des plus grands penseurs arabes confirmait
(ou paraissait confirmer)
la thèse des historiens de l'époque coloniale. (a)
Les "invasions arabes" ne sont peut-être pas "le fait décisif de l'histoire de la Berbérie"
comme on l'a répété à l'envi,
mais elles sont certainement le thème majeur de l'historiographie nord-africaine depuis le courant du XIXe siècle.
Cette "invasion" est le fait décisif. (b)
LES FILEURS D' "INVASIONS"
"Toute la vie de l'Afrique du Nord s'en ressentira profondément et pour toujours de cette catastrophe" Georges Marçais. (2)
"La ruée d'un peuple nomade destructeur" est l'évènement le plus marquant du Moyen Âge maghrébin, Charles-André Julien.
C'est sous la plume d'E.F. Gautier que l'opposition du nomade et du sédentaire a pris la plus grande ampleur et aussi la plus grande résonance.
L'invasion "prend des proportions d'Apocalypse", c'est "l'immense catastrophe" la "fin d'un monde." (3)
et la lutte des Nomades et des Sédentaires devient un affrontement éternel, quasi cosmique.
Pour E. F. Gautier, l'histoire entière de l'Afrique du Nord depuis l'antiquité n'est qu'un duel immense et permanent entre
"deux espèces biologiques fondamentalement opposées dans leur comportement éternel".
"À travers deux millénaires entiers depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours,
le Maghreb a toujours été coupé en deux moitiés irréconciliables, les Nomades et les Sédentaires."
"Le grand nomade a des instincts exactement inverses (de ceux du sédentaire).
Par son genre de vie, c'est un communiste.
La dureté de son existence déjà de lui, a tout le moins le jour de la bataille, un soldat discipliné sous des chefs princiers.
Mais elle le laisse éternellement inassouvi, ardent de convoitises.
Politiquement c'est un anarchiste, un nihiliste, il a une préférence profonde pour le désordre qui lui ouvre des perspectives.
C'est le destructeur, le négateur.
Sa victoire même n'est pas une réalisation, parce qu'il s'y anéantit lui-même dans une flambée de jouissance inaccoutumée." (4)
Et cependant, en dépit de son caractère officiel, la thèse de la "responsabilité historique du monde",
la théorie de l'opposition éternelle des Nomades et des sédentaires
sont en contradiction avec un grand nombre de faits qui relèvent de l'observation géographique la plus élémentaire.
REGARD FRACTIONNAIRE
Il serait assez facile en regard des passages clamant le caractère irréconciliable des nomades et des sédentaires, de développer (...) avec plus de vraisemblance le thème de l'harmonie, de la culture et de l'élevage concrétisés dans l'usage simultané de la tente et du grenier fortifié.
AU DÉCOUPOIR DU SIMPLISME
Plus évident encore est le simplisme totalement erroné des parallèles entre l'Arabe nomade et le Berbère sédentaire.
Faire une telle remarque est pour un géographe ou un ethnologue enfoncer une porte largement ouverte.
LE THÈME-IMPASSANT
Il n'en reste pas moins que ce thème éculé est toujours repris contre toute vraisemblance.
Ainsi n'est-il pas inutile de souligner que tous les nomades ne sont pas des "Arabes" et que tous les Berbères ne sont pas des sédentaires.
Les groupes authentiquement "arabes", qui, venus d'Arabie, se sont implantés en Afrique du Nord n'ont eu que des effectifs très restreints.
BERBÈRES ARABOPHONES
Ceux que l'on dénommé Arabes au Maghreb ne sont en fait sur des Berbères qui utilisent la langue arabe, tout en conservant une grande partie de leurs caractères originaux.
Si une partie des populations qui continuent de parler berbère sont effectivement des sédentaires (Kabylie, Rif occidental, Haut Atlas occidental),
l'autre partie des berbérophones sont nomades ou semi-nomades (comme par exemple dans les montagnes du Moyen Atlas et du Haut Atlas occidental).
Pour tenter de tourner cette évidence qui infirme magistralement des équations :
Arabes = Nomade, Berbère = Sédentaires
sur quoi repose en grande partie la thèse de la responsabilité historiques des Arabes, E. F. Gautier a tenté de voir au sein du groupe berbère une sorte de clivage linguistique. (4)
L'opposition nomade sédentaire,
en admettant qu'elle existe,
ne correspond pas aux grandes divisions ethniques et linguistiques.
Bien plus, des pasteurs et des villageois peuvent coexister à l'intérieur d'une formation politique et sociale beaucoup plus réduite dont l'unité est cependant très forte.
R. Brunschwig a montré par exemple pour ce qui est de l'Ifrikya (b) qu'il existait au Moyen Âge des tribus constituées,
à droits égaux,
de fractions sédentaires et de fractions nomades,
complémentaires les unes des autres. (5)
Tout aussi factice est l'opposition politiques des nomades et des sédentaires.
Il n'y a pas d'exemple d'un conflit qui ait opposé une armée forme uniquement de nomades à un groupe constituée seulement de guerriers sédentaires.
Au contraire tous les conflits montrent des camps singulièrement disparates, Si l'on envisage le genre de vie des groupes qui se trouvent côte à côte.
"Des alliances étaient nouées entre fractions nomades et groupes sédentaires contre d'autres nomades alliés à d'autres sédentaires;
entres Cheikhs bédouins et chefs de cités, contre d'autres bédouins alliés à d'autres citadins :
ainsi se consacrait la formation de blocs hostiles entre eux suivant un clivage fort éloigné des notions d'origine et de ce ee de vie.
Quelque contradictoires que fussent leur mentalité et leurs buts,
les nomades ne cherchaient pas plus à saper,
par une action concertée,
les institutions des sédentaires
que ceux-ci à réduire le nomadisme systématiquement." Ainsi s'exprime Brunschwig sur l'Iftiqya qui est pourtant la contrée du Maghreb où l'action destructive de certains nomades a été la plus marquée.
(...)
Les exemples d'associations sont fréquents:
Guides et gages de la sécurité des caravanes, les grands nomades étaient les grands transporteurs de l'Afrique du Nord.
Ils pourvoyaient au ravitaillement les villes,
permettaient l'existence de certaines économies rurales basées sur l'échange.
Ils etaient aussi une main-d'œuvre recherchée lors de la moisson.
G. Marçais a fourni des exemples précis de véritables contrats de collaboration entre nomades et sédentaires associés pour la culture des terres dans la région de Constantine, par exemple:
Ces Beni Hilal trop souvent et exclusivement comparés aux vils dévastateurs des sauterelles
"un siècle après leur arrivée en Berbérie prenaient une part active à la vie économique du pays contribuant par la force des choses au bien-être de ceux-ci qu'ils ont d'abord appauvris". (6)
Des exemples identiques sont cités par Brunschwig.
Pour le sédentaire l'élevage était l'un d'être uniquement une cause de dommage et de conflits.
Ces quelquzs remarques montrent que la fameuse opposition fondamentale des Sédentaires et des Nomades doit être ramenée à une plus juste mesure.
Il n'en reste pas moins que l'Afrique du Nord des périodes de troubles particulièrement graves et prolongés.
Sont-elles essentiellement le fait de "l'invasion nomade" ?
Mais d'abord
Y A T-IL EU VÉRITABLEMENT "INVASION"?
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Notes de Yves Lacoste:
(1) Cent vingt cinq ans de sociologie maghrébine, Annales 1956, 3, Jacques Berque.
(2) La Berbérie musulmane et l'Orient au Moyen Âge, Georges Marçais.
(3) Histoire de l'Afrique du Nord, pp. 72 et 74, Kes siècles obscurs du Maghreb, E.F. Gautier, Payot.
(4) Il oppose des Berbères utilisant des parlers Sanhadja, qui seraient selon lui des sédentaires,
au Berbères de parler "Zénète" qui seraient, toujours d'après lui, des nomades alliés aux Arabes.
Cette théorie n'est pas moins schématique que la précédente
et il n'existe aucun rapport entre entre les caractères ethniques et linguistiques d'un groupe et la nature de son genre de vie.
Si de nombreus pasteurs sont de parler "Zénète" d'autres tels certains montagnards des Aurès parlent Zénète et sont des sédentaires.
Les Kabyles sont des villageois de parler Sanhadja comme les pasteurs du Moyen Atlas marocain.
(5) La Berbérie orientale sous les Hafsides, R. Brunschwig, T II, page 421.
Les Arabes en Berbérie, Brunschwig, p. 169
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Le mythe de l' "invasion arabe", in Ibn Khadoun - Naissance de l'Histoire Passé du Tiers Monde, Yves Lacoste, pp. 91,92.
(4) Histoire et Historiens de l'Algérie, 1930, Page 31.
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Notes-E'M.C.
(a) C'est le sournois service après vente classique du colonialisme français au Maghreb, particulièrement en mordant en Algérie, que ce spécieux montage d'irréductibilité entre deux ethnies aliénables, en dé-couplement explosif [berbères-arabes] qui, d'une part est censé faire belle part à l'envahisseur qui a son tour envahit, opprime, dévitalise, déshistorise,
et bien sûr escroque plus que jamais un pays déjà "clashé" d'odieuses convoitises, de rudes refus de survivance figurative;
ou comme pour les Juifs d'Algérie "cadeautés" de l'émancipation politique exploitable, zouavés à l'envi du tractant Décret Crémieux,
il entend distendre, diviser, intranquilliser la société soumise, en jouant diaboliquement sur des rivalités qui lui assurent un disproportionnable et lucratif maintien d'ordre qui le maintiendrait indéfiniement sous moult manigances comme maître de la région.
On le voit avec plus d'irresponsable causticité au Proche et au Moyen Orient mais aussi en Afrique siphonnée, où on fomente de jackpotables clashs ethniques,
et plus particulièrement religieux, visant l'Islam, [cruellement relégué à "son" carcan politique]
têtument perçu comme éternel trouble-fête aux funèbres banquets coloniaux et,
surtout, comme un encombrant airbag au trictrac politique d'un fantasmatique [irréconciable] judéo-christianisme [décrié du reste par des auteurs hébraïsant comme Henri Meshonnic, Y. Leibowitz, etc.] prôné au décorum d'alliances aux occupations partageables d'un monde hideusement dosé de dissensions exploitables à l'envi.
Ce qui ferait de cet itératif forfait contre l'humanité qu'est tout colonialisme implacablement bâté des meilleures intentions du monde, [tout en] désâmant, dépossédant, déshumanisant, divisant, taxidermant d'indigénat, zouavant à jauge de stratégies: Juifs/Berbères, Arabes/Musulmans, In-compatibles/ Sédentaires/Nomades, etc.
de cette dévastation "civilisatrice", ce bénéfique vénéfice, une quasi sainte domination cohésive,
avec ses idéologues, ses marchands d'étiage et de charges, ses canards bibliques, ses travestisseurs d'histoire(s), ses évènementiers, ses ap-prêteurs d'impensé, ses geôliers de sagesse; l'inévitable malencontre boule de boue, bousière de paix, crochant légendes.
(b) Ifrikya, graphie exacte Ifriqiyya, de racine arabe trilitère ف ر ق - F R Q, signifiant morceler, séparer, diviser.
Pierre Bourdieu reprend cette étymologie arabe dans Sociologie de l'Algérie, pour expliquer les diverses raisons [rivalités de personnes, de transmissions, de biens [entre autres] qui voueraient cet inaugural et prospère continent au démantèlement, voire au démembrement.
Choix, découpage, titres, notes alphabétiques, E'M.C.