Il faut souligner que l'analyse khaldounienne du blocage structurel qui a entravé le développement de l'Afrique du Nord,
ne permet pas de considérer que la religion musulmane a joué
le rôle de
frein.
pourtant
nombre d'auteurs ne se sont pas fait faute de considérer l'Islam, (1)
qui serait,
soi-disant,
"la religion de la fatalité (2) (a) et de la résignation (3) (b)"
comme la cause majeure de la stagnation qui affecta le monde musulman durant plusieurs siècles. (4)
Cette thèse,
* relent de l'idéologie impérialiste des Croisades,
n'est guère sérieuse.
En effet,
* si la "sclérose islamique"
avait été une cause première,
* comment expliquer
le grand essor de la civilisation musulmane,
* qui dura près de
cinq siècles ?
Par la survivance de l'héritage de Rome et de Byzance,
comme l'ont proclamé certains,
* soucieux de légitimer
* le colonialisme moderne ?
C'est surestimer d'une façon excessive les aspects positifs de la colonisation romaine et byzantine qui,
en réalité,
ont "abouti à une faillite frauduleuse".
L'extrême rapidité avec laquelle l'Islam s'étendit dans les contrées qui étaient encore soumises à l'oppression des empereurs chrétiens,
montre qu'il amenait les possibilités d'incontestables progrès
et d'une relative libération.
Les preuves ne manquent pas pour démontrer que se sont développé
pendant plusieurs siècles au sein du monde musulman,
des capacités créatrices incontestables et variées.
Ces succès ne sont d'ailleurs pas à porter au seul crédit de la religion islamique, car celle-ci a été superposée à des structure économiques et sociales très diverses.
De même que le christianisme qui a été la religion de régimes esclavagistes, féidaux, capitalistes, etc.
l'Islam a marqué des sociétés très différentes
(sociétés tribales, "hydrauliques", "semi-féodales").
Le facteur historique que constitue la religion musulmane est important mais il n'est pas primordial.
Certains auteurs, prenant l'exemple des nombreuses implications économiques et sociales de l'Islam, tentent néanmoins de prouver que les sociétés musulmanes ont été beaucoup plus déterminées par la religion que les populations européennes.
Or ces auteurs oublient que le christianisme, au Miyen Âge, a exercé une influence temporelle au moins égale à celle de l'Islam.
Mais alors qu'en Europe la révolution industrielle et ses conséquences
ont entraîné
un affaiblissement des facteurs religieux,
ceux-ci ont conservé leur importance dans les pays arabes
en raison d'une moindre évolution économique et sociale.
Par ailleurs, l'idéal de renoncement et de résignation dont on fait aujourd'hui la caractéristique permanence te de l'Islam, n'est devenu important qu'à une période relativement tardive.
Si cette tendance existait des les premiers temps, elle ne jouait encore qu'un rôle modeste.
Au contraire,
la réussite dans les affaires,
l'activité génératrice de profits
étaient prônés comme
un véritable devoir religieux.
Jusqu'au XIe siècle cette tendance dynamique a exercé une influence importante et l'on peut dire que pendant cinq siècles l'Islam a été dans une certaine mesure un stimulant des échanges et de la vie économique.
Gibb a souligné la longue évolution qui transforma progressivement les structures internes de l'Islam. (3)
C'est à partir de l'époque où l'essor économique se ralentit, où le déclin apparut, que l'idéal de "Zuhd", de renoncement d'acceptation fataliste devint la forme prépondérante de la religion.
L'idéologie d'une société gagnée par l'ankylose ne pouvait rester dynamique
* et c'est
dans la mesure où l'Islam a été paralysé
qu'il est devenu paralysant. (5)
La situation qu'a étudiée Ibn Khaldûn a duré plusieurs siècles:
pour l'essentiel:
elle a duré jusqu'au XXe siècle
* et elle a séparé la période d'essor du IX-XIIe siècle
de l'époque coloniale.
Le Maroc se replia sur lui-même et conserva ses structures.
Il parvint à échapper à la domination portugaise et espagnole,
* grâce à la résistance de ses tribus,
* grâce aussi à la conquête de l'Amérique qui détourna l'attention des puissances ibériques.
• • •
Notes Y.L.
(2) Islam et Géographie, J. Célérier, Hespéris, 1952.
(3) Histoire de l'Afrique du Nord, CH.A. Julien.
(4) Une interprétation de l'Histoire islamique, Gibb, Cahiers d'histoire mondiale, 1953.
(5) Cf. Islam et Capitalisme, Maxime Rodinson.
Notes E'M.C.
(1) l'auteur écrit l'Islam avec une majuscule, désignant la Civilisation musulmane;
la minuscule étant (orientalistiquement) réservée à la religion proprement dite.
(...) Notes ---
---
Choix, découpage, notes, E'M.C.