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L'islam et l'Occident

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Billet de blog 30 septembre 2016

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LA POÉSIE ARABE (3)

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la naissance de la poésie lyrique moderne en Europe se situe assez exactement dans le temps et dans l'espace. 

Elle est apparue presque simultanément, au début du XII ème siècle, en Espagne et dans le Sud de la France.

Elle se propagea ensuite en Italie ét dans le reste de l'Europe occidentale.

Les romances espagnoles et les trobas provençaux en sont les premiers modéles.

Les troubadours et les jongleurs en furent les hérauts et les propagateurs.

L'écloison de la littérature des pays d'oc dépasse les cadres de l'histoire littéraire. 

Elle marque un tournant dans la civilisation occidentale. 

"On n'exagèrera jamais la valeur créative et inspiratrice de la poésie provençale et dans l'ordre des sentiments et dans l'ordre de l'art.

Elle est vraiment la mère de la poésie moderne, peut-être plus que la poésie latine.

Sans elle, ni la poésie italienne, ni l'espagnole, ni l'allemande des Minnesinger ne s'explique et, moins encore, naturellement, la poésie française courtoise du Nord." (1)

Les formes nouvelles que revêt la poésie provençale traduisent une manière nouvelle de sentir et de penser. 

Un abîme la sépare de l'attitude morale du monde antique. 

Son thème capital, l'exaltation de la femme et l'amour courtois, témoigne d'une inspiration très différente du lyrisme latin. 

Quelles furent les causes d'une éclosion aussi profonde en des régions qui avaient pourtant subi une influence romaine particulièrement prononcée ?

Quels évènements historiques, quels courants littéraires déterminèrent un changement aussi radical ?

La question fut âprement controversée. (...)

Mais, à la lumière des études les plus récentes, il devient pourtant évident que l'influence arabe fut décisive.

Les deux grands provencialistes Appel et Jeanroy, qui avaient combattu cette thèse, ont admis qu'elle avait gagné en vraisemblance. 

Les travaux de Julian Ribera, R, Nykl ét Ramon Menendez Pidal ont établi entre la chanson andalouse, dont le premier poète écrivait à la fin du IX ème siècle, des relations si singulières, des ressemblances si frappantes qu'il est impossible de les expliquer autrement sans admettre l'influence déterminante de l'une sur l'autre.

Nous verrons comment et par quelles voies s'exerça cette influence.

La prévention des romanistes non arabisants contre la thèse l'influence arabe sur le lyrisme provençal provient souvent d'une fausse appréciation des rapports qui existèrent entre la Chrétieneté et le monde Musulman au Moyen Âge.

Des savants sérieux et consciencieux ont cru, de bonne foi, que les Chrétiens et les Musulmans auraient formé, de tout temps, deux mondes irréductiblement séparés et opposés l'un à l'autre.

Ils en ont tiré la conclusion qu'aucune communication intellectuelle n'eût été possible entre ces deux camps hostiles.

Il serait donc inutile, estiment-ils, de parler de l'inspiration du lyrisme par la chanson andalouse. 

La vérité historique est tout autre. 

Pour s'en convaincre, il conviendrait d'esquisser le problème de l'influence littéraire des Sarrazins sur l'art des troubadours en fonction de l'influence générale de la civilisation musulmane sur l'Europe et sur le Midi de la France en particulier.

                                   •

Les relations économiques, scientifiques, artistiques - nous l'avons vu - furent, de tout temps et jusqu'à une époque très avancée, très actives entre les États Musulmans, les principautés de l'Espagne chrétienne et les cours provençales.

Dans ces échanges, la poésie et la musique tinrent sans doute une place importante.

Les principautés mauresques étaient une pépinière de poètes, de musiciens et de danseurs qui allaient charmer les jours de l'Europe méridionale. 

Nous avons de nombreux témoignages du goût des Chrétiens pour les chants et les danses des Sarrazins.

Trait d'union entre les peuples, facile à comprendre et à goûter, les chants et les danses ouvraient la voie à la poésie lyrique, inséparable alors de la musique. 

Le morcellement politique de l'ancien Empire des Omeyyades contribua dans une large mesure, à l'expansion du lyrisme musulman. 

Comme plus tard, dans l'Italie de la Renaissance, la décentralisation favorisa l'essor de la civilisation.

Grenade, Séville, Cordoue, Tolède, Valence et les autres capitales étaient devenues autant de foyers d'une civilisation brillante et raffinée.

Les princes, qui furent souvent des lettrés délicats et, toujours, des mécènes généreux, mirent leur point d'honneur à protéger les lettres et les arts.

Médecins, astronaumes, poètes, musiciens affluaient à leurs cours.

Ils y jouissaient d'un rang élevé et d'une situation matérielle privilégiée.

"Parmi ces favoris de cour, plusieurs étaient chrétiens et Mozarabes (2), plusieurs appartenaient ainsi par leur religion et leur naissance à deux langues et à deux patries. (...)

Les petits princes des royaumes naissants de l'Europe, ceux surtout de Catalogne et d'Aragon, au milieu desquels demeura enclavé, jusqu'en 1112, le royaume musulman de Saragosse, attachèrent à leur personne des mathématiciens, des philosophes, des médecins et des astronaumes ou des inventeurs de nouvelles et de chansons qui avaient reçu leur première éducation dabs les écoles d'Andalousie et qui entretenaient ces petites cours par des écrits et des jeux d'imagination qu'ils empruntaient à la littérature orientale. 

L'union des souverainetés de Catalogne et  de Provence fit arriver ces mêmes savants et ces mêmes troubadours dans les nouveaux État de Raymond Béranger.

Les divers dialectes de la langue romane n'étaient point encore aussi séparés qu'ils le sont aujourd'hui et les troubadours passaient facilement de castillan au provençal, qui était alors réputé le plus élégant langage du Midi." (3)

                                    •

Tous ces faits sont en contradiction formelle avec avec la thèse de ceux des romanistes sui avaient hésité à reconnaître l'importance des rapports culturels entre le monde de l'Islam et la Chrétieneté.

Il serait d'ailleurs juste de reconnaître que ces auteurs reviennent de plus en plus de leurs idées préconçues.

Après avoir écarté, non sans un certain dédain, la théorie de l'influence arabe, M. Jeanroy a reconnu qu'elle gagné en vraisemblance.

Cette évolution est due, en grande partie, aux remarquables travaux d'A.R. Nykl, qui est à la fois  romaniste et arabisant.

Les côtes de la Méditerranée ont été, dès l'aube de l'histoire, des voies d'union.

Les traducteurs syriens rendirent accessibles aux habitants de Damas et de Bagdad les auteurs grecs.

Les persans en firent de même pour la science indienne.

Cordoue ne fut qu'un reflet de l'Orient projeté sur la péninsule ibérique. 

Les musiciens et les chanteurs grecs et persans avaient exercé leur art au Moyen Orient, se servant de l'arabe comme moyen d'expression.

L'art de la musique vient de Damas et de Bagdad en Andalousie.

De là, il se répand en Aquitaine.

L'objection selon laquelle les latins n'auraient pas imité leurs ennemis n'est pas valable.

Les Chrétiens ont bien adopté les méthodes militaires musulmanes, opposant les Croisades par des chants semblables à ceux que les musulmans composaient contre les Kafrins (4).

Voici encore un autre témoignage, celui de Ramon Menendez Pidal, dont personne ne discutera l'autorité en la matière.

Parlant des influences intellectuelles arabes, le distingué savant espagnol écrit:

"Ces influences se sont produites à ibe époque que nous devons appeler christiano-islamique pour les deux peuples qui se disputaient la maîtrise de la Méditerranée. 

Les plus grands progrès dans l'activité intellectuelle et la supériorité des mœurs se trouvaient, à cette époque, dans le monde musulman. 

Il ne faut donc pas être surpris de la diffusion de la chanson arabo-andalouse; c'est le contraire qui serait surprenant.

Cette poésie a dû se frayer un chemin avant le conte et la philosophie, parce que la musique n'a pas besoin de traducteurs pour être entendue." (5)

                                     •

(1) T. VIII de La civilisation occidentale au Moyen Âge, H. Pirenne, G. Cohen, H. Focillon, sous la direction de G. Glotz, Presses Universitaires de Paris, 1933.

(2) Mozarabes : nom donné aux Chrétiens de l'Espagne musulmane. 

(3) De la littérature du Midi de l'Europe, Simonde de Simondi, Paris, 1813.

(4) de Kafir : infidèle. L'auteur écrit "Kafrins", au lieu de Kofar, garde "s" comme surcharge plurale, lors que "in" et "ar" désignent déjà, entre autres formes, le pluriel arabe.

  arabe europea, Ramon Menendez Pidal, Madrid, 1941.

                                    •

Visages de l'Islam, Haïdar Bammate, ENAL, Alger, 1971.

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