On ne s’attarde pas assez sur le con-texte de l’acte d’écrire. Le contexte du texte même. Pas son sujet, ses conditions d’écriture. Notre décor de mots. Il n’a jamais été aussi palpable. Je peux le sentir, pesant sur ma peau abandonnée au difforme. Vous pouvez le voir, quand je vous dis que ma page blanche attrape des teintes orangées et bleutées. Il galope et s’immisce sur et dans tout. Un harnais n’y suffit pas. Un ventilateur le dépêche et le décuple. Il rumine de lave.
Allons à l’essentiel.
Ressentie 41°C. Bretagne-fureur-feu. Feu Bretagne.
Plusieurs jours, l’impression que se dégèlent les corps. Enfin, m’écrie-je. J’écris aujourd’hui ma chaleur. Partout, partout, on se faufile pour l’ombre, pour échapper aux lamproies flamboyantes. Partout, partout, on endure peu endurci.es le déchaînement de notre propre crime. On se croirait il y a cinquante ans, quand on annonçait le déluge. Alors qu’on fabrique pour s’envoler - ou flotter, ou graviter - à vue, on vient de monter à bord de la machine à remontée dans le temps. Aucun diamant n’orne ses ailes. Des modes de vie sciemment conservés lui ont donné des ailes de phénix.
Été 2022, nos âmes déplient leur honte.
14 000... hectares bariolés de cendres, en Gironde. Ou 15 000, selon d’autres dires. Dans ces moments-là, comme dans les bains de sang, les milliers succèdent aux milliers et se perdent en équivalences macabres.
Je sue sans dessus dessous.
Entre ces farandoles, amoncellements, ribambelles de chiffres - quantités immondes. Entre ces farandoles, amoncellements, ribambelles de chiffres, miroite un écrin de verdure. Tout ce qu’il en reste, une stèle mémorielle. Les écorces du souvenir écorchent leur présent. Amputés de leur témoignage vivant, les habitant.es de la forêt peuvent lever les yeux au ciel : des floraisons de feux multicolores tapissent les braises ennuagées.
Car on en est là. Les corps carburent au charbon des images. Le bal des variations visuelles fait onduler l’horreur avec l’apesanteur des étés militaires. On pétarade sous les à-coups d’une canicule meurtrière.
Au moins, réjouissons nous de nier collectivement, tout en sachant.
Le monde est à feu, un peu à sang, on se morfond d’un avenir invisible mais on refuse religieusement les comités invisibles. Dans l’ombre de l’ombre recherchée, on se retrouve calfeutré.es. Ici-bas, on s’acharne à les désigner, les ravageurs du monde. Pyrocène, pour voir. Restitution ternaire, pour souffler.
“Nous en sommes là : avec ce nombre de 40°, qui augmente d’année en année et nous fait craindre des températures de 50° un jour dans certains cas, on passe vraiment à autre chose. Il faudra simplement lui trouver un nom. Si nous sommes encore là pour inventer des quantités et des qualités.” (Michel Eltchaninoff, Philo Magazine)
“Quand on ne nomme pas les choses, elles n’existent pas. On peut parfois se sentir tout petit, désemparé, sans capacité d’agir face à l’ampleur du changement climatique et de ses conséquences. L’objectif est de s’embarquer dans une histoire commune, dans laquelle on est capable de dénoncer les responsables du réchauffement climatique, et donc de transformer notre système.” (Maxime Combes, Reporterre)
“Si nous voulons transformer notre rapport au monde, cela ne se fera pas sans effort dans la langue, pour la déplacer.” (Sandra Lucbert, Contre-temps)
Hagards devant le noir qui vient. Les écriteaux médiatiques renchérissent sur le mouvement d’oubli qui perforait nos rêves où les forêts nous y foraient. L’enlèvement de nos enfances, de nos cordes terrestres, de nos derniers lieux de recueillement ensauvagés. Voilà qu’en plus, ils éteignent nos prises de conscience.
Nos mines déjà assombries palissent. A défaut d’être rouges de honte, elles sont rougies par le soleil. On sort les tailles crayons et les mines élimées pour tracée de carte sur dessins de chaud. Des tubulures, des cratères, des croutes, des saillies sanguinolents et putrides - du pu à l’état pur - exporent des cartes. De ces tableaux, graphiques aux formes élancées mais c’est tout, faisons table rase. La terre météorologique, vitrifiée sur les TV plasma, nous apparait enfin. Comme si, le chaud, l’humide, l’orage, fragilisaient le verre de l’écran, se répandaient dans le salon familial, déployaient leur organes et, en meutes, coupaient les inconsciences.


Encore que. Encore que. Encore que. Ce n’est qu’une couleur sous les paupières. A la télé, la démesure des mégafeux fait la part belle à la canicule. On se gorge le bide de reportages vitrifiants, à plus soif. On s’affole d’apocalypse et on plonge de joie. Caniculé·es, sur les plage on se baigne.
Là-haut, vent de panique. Folie à tous les étages, s’amuserait-on à espérer. Plaisanterie à part. On s’émeut, c’est tout. Quoique. Je ne les entends pas pleurer.
A la prochaine, à l’année prochaine. D’ici-là, on aura pataugé dans la gadoue et peut-être des enfants disparaîtront dans la danse d’un courant-torrent. Courant novembre, on se chauffera sans pulls. Les décrets décrédibiliseront les causes. Des voeux seront proférés, sur la vie de nos enfants. L’été 2023, Troie aura depuis longtemps rompu. Hallebardes sur hallebardes, on s’essuiera encore la chair. Caniculé.es mais habitué.es, on aura - l’honneur est sauf - plus d’eau pour se tremper les os. Notre sermon éternel : toujours revenir à l’essentiel. A la Normal.
*
Le soleil diminuait. La chaleur ne se dissipait pas, elle se dissipait encore, cruelle indisciplinée. Mon grand-père m’a dit : “é du feula” (“c’est le feu, aujourd’hui”). Il nous fascine ce feu. Il se peut qu’on y prenne goût. Tétanisé.es, on relaie, on relaie, on repost, on s’indigne, on s’indigne, on panse et on ne pense pas. Capharnaüm avorté. Filer le feu, ne pas l’étouffer. Que de ces images affleure une décharge. Ces feux aux milles affects ne sont pas avares de saccage. Ils ne désiraient pas détruire. Ils ne savent pas ce que c’est, détruire. Eux ils nagent et s’accroissent. C’est comme ça qu’ils communiquent, c’est leur feu de détresse à eux.
Abritons leur appel, agrippons le boutefeu, mettons le feu au poudre.
Les métaphores me brûlent les mots.