Lundi 18 juillet 2022
J’écris peu, mais là je me suis dit que c’était peut-être le moment.
Je me suis levé de mon lit à 15h, déplacé le ventilateur et allumé l’ordinateur.
J’habite Niort, 86 ans, bien loti, propriétaire de mon T2, sans permis de conduire, sans famille, retraité depuis 30 ans de l’hôpital où j’étais agent. Je vis au ralentis attendant septembre, alors que j’ai tant envie de faire encore...
Une ville, un département Deux-Sèvres souvent difficile à situer sur une carte pour beaucoup, mais depuis les Méga-bassines (depuis 5 ans) Niort commence à être connu autrement que pour l’argent de ses mutuelles.
Je n’ai pas du tout envie de témoigner d’une « méga-canicule », de quelque chose d’exceptionnel qui remplirait les unes d’un été déréglé, prévisible intellectuellement.
Mais vous parler du courage exceptionnel. Chaque jour courage renouvelé de toute la population ici qui doit survivre ou vivre avec peu, qui doit prendre les bus municipaux. Ils sont gratuits, la belle affaire.
Par cette chaleur, je pense aux personnes qui attendent aux arrêts, sans siège, sans abris-bus, avec des sièges anti-mendicité, pendant des demi-heures longues, vacances scolaires obligent. Des vieux comme moi sans canne, des vieilles avec déambulateur, des mamans, grands-mères avec poussettes, des jeunes désargentés, des réfugiés, des pauvres. Pauvres de dépendre, sous plus de 40 degrés, d’un bus. Comment se déplacer par ces températures ? La mobilité des immobiles est faite de sueur et parfois de larmes. Nous n’avons pas la clim' des voitures de ceux qui se lèvent tôt, de « ceux qui croisent ». Nous ne sommes rien. Pas de bus après 20h30, pas le dimanche ni les jours fériés. Dans cette ville moyenne qui veut être bien sous tout rapport, où tout est politique sans jamais le dire. Tiens cela me semble si collé au réel pour le coup de ce que voudrait faire Macron.
Comment attendent les gens aujourd’hui aux arrêts ? Comment peuvent-ils attendre debout sans ombre ? Comment s’entassent-ils quand le bus arrive, surtout celui de la ligne 1 ? Ce n’est pas la canicule qui est en cause. Mais l’urbanisme, l’aménagement du territoire, le bien commun d’un service qui n’est plus public. La place des inutiles dans cette société du profit. Inutiles car pas encore ou plus jamais auto-entrepreneurs, puisqu’il ne reste que ça comme gagne-pain.
Alors ce matin, je suis allé sur le site de la mairie de Niort. Étonné de n’avoir pas lu d’information sur la cellule canicule. Elle avait été si médiatisée en juin. 1700 personnes à appeler. France 2, France Info.
Et je ne trouve rien. Étrange, n’y aurait-il plus assez de bénévoles après les élections législatives pour téléphoner ?
Une info si, une « carte des Lieux Frais à fréquenter en cas de fortes chaleurs »
Cette carte, affiche les couches suivantes :
-Equipements publics,
-Espaces boisés,
-Parcs,
-Points d'eau.
Elle a pour objectif d’indiquer les lieux frais pouvant servir d’abri en cas de fortes chaleurs.
Vous pouvez obtenir des détails en cliquant sur les éléments de la carte.
Je regarde et quand je vois que sont mentionnés des pauvres arbres tout seuls dans des impasses, des bouts de trottoirs dans des lotissements, je me dis que la communication est encore la grande gagnante. Ils perdent déjà leurs feuilles ces arbres entourés dans un carré de béton.

Comme pour les bus, les arbres. Formidable !
Les bus sont gratuits. Qui a voulu qu’ils le soient ? Et le sont-ils d’ailleurs ? Évidemment non, payés autrement.
Les arbres sont nombreux à Niort, formidable. Une ville verte, écologique.
Dans la journée, depuis Twitter un ami m’envoie cela :

« neutralisent ». Comme dans l’armée, pour un terroriste qui aurait été neutralisé. Comment peut-on penser que ce genre de vocabulaire est pertinent ? Le penser oui et y croire, si le seul but est de communiquer, faire de l’air justement, on en manque.
Continuer avec ce lexique mortifère : bouclier, guerre, front...
Et ce vocabulaire infantilisant, comme si un père de famille écrivait. « Prenez soin de vous. »
Et la pollution à l’ozone, on en parle quand ? Moins spectaculaire, la pollution de l’air, qu’un incendie très photogénique.
Pourtant le département a émis une alerte, l’air est de mauvaise qualité.
J’ai été appelé cet après-midi par la cellule canicule. « Rassurez-vous demain, il ne fera que 30 degrés. »

Le commerce peut reprendre avec son lot de destructions. Le commerce, la finance vit et se nourrit des destructions.
Eh bien non je ne suis pas rassuré. Après des nuits étouffantes, des jours où chaque geste est une montagne, 30 degrés ne m’iront pas. Mais rassurez-vous, donc puisqu’on vous le dit. Ça revient à la normale. Moi demain, j’aurai du mal à attendre mon bus, même avec 10 degrés de moins.
Je pense à toutes ces intelligences, ces chercheurs, qui consacrent leurs vies à alerter, qui proposent des solutions. Et qu’on balaye d’un revers de la main.
Ils sont neutralisés, eux aussi.
Ce qui nous arrive mondialement est intellectuellement prévisible, car prévu.
Je ne voulais pas témoigner d’une « méga-canicule », de quelque chose d’exceptionnel mais d’un cri de rage pour tous les plus pauvres qui meurent de l’avide cruauté des plus riches.
Pour finir, je repense à la leçon inaugurale entendue sur France Culture : De l’inégalité des vies, de Didier Fassin.
Ici à Niort, la maison d’arrêt est si vieille, les personnes qui survivent à la rue si jeunes ou abîmées, les familles en caravane sur des terrains sans eau, ni ombre, les HLM avec des punaises de lits...
Il ne suffit pas de faire de jolies photos quotidiennes du patrimoine appâtant le touriste pour changer la réalité. Elle est là. Dure et très cruelle.
Nous mourrons du capitalisme, seul le degré d’indifférence change. Et c’est déjà beaucoup. Beaucoup trop.
C’est cela que révèlent la canicule et le dérèglement climatique. Et j’ai la soif de justice.