Billet de blog 1 janvier 2015

Pierre RATERRON (avatar)

Pierre RATERRON

Artite plasticien multi-medias, Novelliste ,Chroniqueur

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XXVIII - Les aléas de la seccotine...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Georges-Mathieu est sévère mais juste. Aux yeux de Pierre et de ses frères, leur père représente le stade ultime de la récompense ou de la punition. Autant , dans la semaine, il n’intervient que rarement, autant le samedi et le dimanche ( semaine anglaise oblige…), il prend en main les activités de la famille. Le samedi matin débute par une séance de gymnastique suédoise ( Pierre n’a jamais compris en quoi elle est différente de la gymnastique , tout court…). Puis c’est le chant choral jusqu’au déjeuner. L’après-midi, après une courte sieste, les activités créatives : adepte des méthodes Freinet, Georges-Mathieu laisse une certaine liberté à ses aînés, à charge pour eux de s’enrichir l’esprit par une saine lecture ou l’étude d’un instrument de musique. 

Pour les aînés, certes,.. mais pas pour Pierre, jugé rebelle et que son père désire remettre dans le droit chemin, en commençant par «  l’aider » dans ses loisirs : le train mécanique, offert à Noël ( pas électrique, trop dangereux avec un tel garnement ) est installé en grande pompe sous l’autorité paternelle et , à l’heure du thé, remballé puis rangé dans une armoire. De même, la carabine à air comprimé, offerte par un marin Français, est sortie deux à trois fois par an : elle fait l’objet d’un concours  familial de tir, dans un contexte de sécurité maximum, Pierre n’ayant pas le droit de charger l’engin. La seule activité dans laquelle il est , à peu prés, livré à lui-même  ( pas dans sa chambre, mais au salon, à même le tapis) c’est le montage d’édifices historiques à partir de pièces de carton à coller ,tels qu’un camp Gaulois, un temple Egyptien, une villa patricienne, etc…

Dans ce type d’activité, la difficulté vient de la colle, la seccotine, qui sent horriblement mauvais, met longtemps à sécher et a une propension à se répandre partout sauf sur la partie à coller ! Comme, en plus de ces qualités, elle est très « vive », un simple pression sur le tube suffit, parfois, à la projeter au loin en un filet noirâtre et nauséabond, quasi indélébile. Autant dire qu’au soir de ces séances de loisirs éducatifs, les poignées de portes sont poisseuses et Pierre doit se frotter longtemps les mains à la brosse et au savon…

Un après-midi, cela a failli tourner au drame : Une demoiselle d’âge mûr, Bernoise et professeur à l’Ecole Suisse d’Alexandrie, vient en voisine prendre le thé. Pierre, à plat ventre sur le tapis du salon, s’évertue à coller une colonne d’un atrium romain avec toutes les difficultés inhérentes à ce genre d’opération. La demoiselle, serrant un pékinois sur sa poitrine, prend place sur le sofa. Aussitôt, Pierre est sur ses pieds et salue l’invité. Et là, il est témoin d’ un phénomène extraordinaire: Dans l’encoignure - presque au plafond - au-dessus de la dame, apparaît subitement une traînée brune, avec  un point rouge, qui s’écoule avec une régularité impressionnante !... C’est alors que le pékinois jappe, attirant l’attention de Pierre qui constate avec stupeur que le chien porte aussi , entre les oreilles, une traînée brune…  Et ce n’est pas tout : la même traînée se retrouve dans la chevelure de l’invitée, de bas en haut et dans l’axe de l’encoignure. Instinctivement, Pierre prend appui sur son pied droit pour se rapprocher du  phénomène et l’examiner de plus prés. 

Tout à coup, une seconde traînée apparaît sur une oreille du chien , se prolonge sur la chevelure de la dame et vient s’écraser sur le mur, au-dessus et à gauche de la première !...Le pékinois, sans doute traumatisé, préfère se taire. Quant à Pierre, il  est bouche bée, les yeux ronds… «  Pourquoi me regardes-tu avec ces yeux de merlan frit, mon garçon ?... C’est mon indéfrisable que tu admires ?… » demande la dame en minaudant… Ses frères ont vu toute la scène. Ils ont compris, lui pas encore. Bien sûr, ils filent dans le hall pour éclater de rire, laissant Pierre seul, le pied droit sur le tube de seccotine, mal fermé, dont le bouchon rouge  a été propulsé à plus de trois mètres, dans l’encoignure… Alice sent qu’il se passe quelque chose mais ne sait pas quoi. Pour l’instant, elle cherche à saisir la situation tout en relançant de temps en temps la conversation que l’invitée mène allègrement, car elle est très bavarde.

 Pierre connait à présent la cause du phénomène : avec précaution, il relâche la pression de son pied droit , ramasse le tube, confectionne un bouchon de secours avec un bout de papier journal et s’esquive pour rejoindre ses frères. Sa mère l’arrête : « Où emportes-tu la seccotine ?... Et d’abord qu’est-ce que c’est que ce fourbis ?... Tu n’as pas de bouchon ?... » Le ton est comminatoire ! –«  Je l’ai perdu,… mais j’en ai un autre dans la chambre… » - « Bien, … alors, tu mets ce tube de colle dans un cendrier ,ici, et tu vas chercher le bouchon dans ta chambre. Allez, ouste !... Derrière la porte du hall, ses deux frères se tiennent les côtes : -«  Tu en as fait encore une belle !...Et la Suissesse, s’en est-elle aperçu ?... » - «  Non je ne crois pas » répond Pierre en se retenant pour ne pas rire. Il l’imite en prenant de grands airs : «  Vous comprenez, chère amie, en qualité de citoyenne de la Confédération Helvétique, je suis neutrâle !… » Leur crainte  est que leur mère ne trouve le fin mot de l’histoire... «  Bouche cousue ? » -« Bouche cousue ! » Rien à craindre, dans de telles situations les trois frères sont solidaires.

Soudain, la porte du salon s’ouvre ,… la dame s’en va . «  Pas trop tôt ! » pense Alice. La colle , sur la chevelure permanentée et sur le pékinois, a pris l’apparence d’un filet de caramel. «  C’est seyant… » souffle Jean-Jacques à ses frères, en pouffant… -«  Que vous dites-vous,… de gros secrets ? » demande la dame en souriant…« Oh non, Madame,… Nous trouvions que votre nouvelle coiffure vous allait très bien »  - «  Ma chère, votre aîné est un charmeur… » . Alice, elle, n’en croit pas ses oreilles : ou ses fils ont subitement changé, grâce ineffable, ou bien il va falloir tirer cela au clair…

 Il n’en fut rien . Le lendemain matin, Alice remarque la coulure dans l’encoignure, appelle Mabrouka: «  Il faudra me nettoyer cette trace brunâtre…Elle n’existait pas hier… Sans doute les voisins du dessus,… ce n’est pas la première fois qu’ils oublient de refermer leurs robinets !J’irai les voir tout à l’heure… » Et ce fut tout. Bien sûr, Pierre aida Mabrouka à gratter la colle récalcitrante…Lors du rendez-vous hebdomadaire des Frères de la Corniche, dans les catacombes de Chatby, Pierre raconta l’incident à Constantin et Mourad , réjouis : «  Et la neutrââle, elle est revenue ? » demande Mourad – « Non… » lui répond Pierre « Et c’est tant mieux !... , elle était pro Allemande ! ».

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