Billet de blog 9 novembre 2010

Pierre RATERRON (avatar)

Pierre RATERRON

Artite plasticien multi-medias, Novelliste ,Chroniqueur

Abonné·e de Mediapart

XIII - Le 6 juin 1944...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La bataille d'El Alamein, à moins de cent kilomètres d’Alexandrie, le débarquement des Alliés en Afrique du nord, la bataille de Tunisie, le débarquement en Sicile, Stalingrad, la campagne d’Italie, toutes ces victoires sont reportées scrupuleusement, par Pierre, sur une grande carte de l’Europe et du Bassin méditerranéen punaisée au mur de sa chambre.

En ce mois de mai 1944, Alice, sa mère, n’est qu’à moitié satisfaite de voir son benjamin passer autant de temps à noter toutes les informations, écoutées à la radio BBC Overseas, sur cette fichue carte: « Ce n’est pas une distraction pour un enfant de douze ans… Tu ferais mieux d’être plus assidu en classe ! » En effet, pour Pierre ce n’est pas une distraction…

Toutefois, ces derniers mois, il a bien du mal à trouver matière à piquer ses drapeaux sur la carte… Bien sûr, les Soviétiques progressent mais les noms russes sont trop compliqués à retenir,… bien sûr, les Américains regagnent île après île les conquêtes japonaises, mais le Pacifique est loin… Non, ce qu’il appelle de ses vœux, c’est qu’il se passe quelque chose en France !...

Il en parle souvent avec ses amis David et Youssef qui réagissent diversement à ses impatiences guerrières : David a 16 ans , il veut aller se battre mais son regard est tourné vers la Palestine. Quant à Youssef, à 14 ans, l’occupation Britannique lui pèse ; depuis peu, il milite dans un groupe d’étudiants et de lycéens nationalistes.

La vie à repris à Alexandrie, presque dans les mêmes conditions qu’avant la guerre, mis à part que les forces alliées, en particulier Britanniques & Commonwealth ( et un certain nombre de militaires des Forces de la France Libre), occupent les meilleurs hôtels, les plus belles résidences …

L’amiral Godefroy s’est rallié avec la Force X au Général de Gaulle; de ce fait, il n’est plus prisonnier de la Royal Navy. Durant l’hiver 43, les deux escadres, commandées par les deux beaux-frères, ont pris le large pour aller combattre sur d’autres théâtres d’opérations…Pierre a assisté à ce spectacle majestueux depuis la jetée qui jouxte le Palais de Ras-El-Tine, l’une des résidences du roi Farouk 1er, qui donne directement sur le port ouest d’Alexandrie.

Pour l’heure, il y a plus important : Pierre doit partir le 1er juin en camp scout de 10 jours à Port Fouad, petite ville résidentielle sur l’autre rive du canal de Suez, face à Port-Saïd. Après de savantes intercessions, notamment de l’épouse du Consul général de France, son père et sa mère ont accepté de le laisser partir.

Pensez donc, c’est la première fois que Pierre quitte ses parents pour aussi longtemps !...Tout à sa joie, il s’est laissé docilement vacciné contre toutes les affections et épidémies connues… De même, il ne bronche pas lorsque sa mère décide de préparer son sac à dos….qui s’alourdit considérablement avec huit paires de chaussettes, six caleçons dont un long , trois pyjamas dont un molletonné et tout à l’avenant…

Malgré ses protestations, Alice reste ferme : « Je ne vais pas te laisser partir je ne sais où sans que tu aies ce qui t’es nécessaire. Et puis, quand on va en camp scout, on est capable de porter ce sac à dos !... » Georges-Mathieu, qui n’est pas très « chaud » à laisser partir son fils, approuve. L’incident est clos.

Aussi, la veille du départ alors que tous sont endormis, Pierre défait son sac, remplace ce qu’il considère comme superflu par du papier journal roulé en boules , emballe les affaires dans un panier emprunté à l’office et sort silencieusement de l’appartement. Il réveille le portier de l’immeuble, qui l’aime bien, et lui confie les affaires jusqu’à son retour, avec mission de les salir( important, ce détai…), tout cela sous le sceau du secret, bien entendu.

Le lendemain matin, il ne laisse à personne le soin de porter son sac à dos. A la porte de l’immeuble en attendant le taxi, Alice, agréablement surprise, le gratifie d’un « Eh bien, tu vois que tu es capable de le porter, ce sac qui te paraissait si lourd ... » auquel il répond par un docile « Oui, c’est vrai Maman, tu avais raison. » Heureusement qu’Alice ne s’est pas retournée à ce moment là car elle aurait eu le spectacle d’un portier hilare qui a assisté à toute la scène…

La troupe des scouts de France est composée de cinq patrouilles de huit. Au point de rendez-vous, elle embarque dans deux autocars de l’armée Britannique. L’escorte est assurée par des fusiliers marins Français. Durant tout le voyage ( la traversée du Delta du Nil d’ouest en est ) Pierre est rivé à la fenêtre, avide de découvrir de nouveaux paysages ... Arrivés à Port Saïd en fin d’après-midi, ils empruntent le bac et atteignent Port Fouad. Ce soir, pas de cuisine, on monte les tentes (deux par patrouille), des rations militaires sont distribuées,… Pierre est ravi : c’est l’aventure ...

Réveil à sept heures, le salut aux couleurs, les corvées, les épreuves pour passer les « badges », les séances de matelotage ( la science des nœuds marins), les inspections, les re-corvées, la descente des couleurs, la cuisine à peine mangeable, le couvre feu à dix heures du soir… L’aventure se transforme en détention à peine voilée, d’autant qu’il est interdit de sortir du camp et que les fusiliers marins montent une garde vigilante ( de crainte d’incidents qui pourraient être provoqués par les mouvements nationalistes car , dès 1943, ils ont mené des actions contre les troupes et intérêts Britanniques en Egypte ).

Les seules distractions : la baignade deux fois par jour, réglementée, les jeux de foulard et… la présence non loin de là, à l’abri d’un bois d’eucalyptus, d’un camp de guides-éclaireuses de la communauté juive du Caire. Le troisième soir, les plus rebelles ( un groupe de cinq dont Pierre fait partie) ont trouvé un itinéraire clandestin qui leur permet de sortir du camp. Avec des ruses de Sioux, ils s’approchent des tentes de ces demoiselles, attirent leur attention : rendez-vous est pris pour le surlendemain à minuit ( l’heure romantique), à l’arrêt du bus, sur la route étroite qui mène à Port-Fouad.

Inutile de préciser que les deux jours suivants leur comportement est celui de conspirateurs, échangeant entre eux des bourrades et prenant des airs entendus… La nuit suivante, certains rêves sont même irisés…Et c’est ainsi que le 5 juin 1944 au soir, par un superbe clair de lune qui ne facilite pas leur escapade, les cinq compères s’acheminent en silence vers l’arrêt du bus… Un hululement de chouette auquel répond le cri du coucou et les voici en présence de quatre jeunes filles qui surgissent du bas côté de la route !...

Les unes et les autres se présentent… « Sarah n’a pas pu venir… Comme elle était punie, elle dort dans une autre tente, en plein milieu du camp… » déclare l’une d’elle en riant… Tout le monde rit pour faire bonne contenance. Bernard, le plus âgé, propose de s’asseoir de chaque côté du fossé, les garçons face aux filles. Au début, la conversation a quelque peine à s’établir mais, peu à peu, elle vient par bribes, ponctuée de rires… Bientôt les couples se forment, côte à côte, se tenant la main… P’tit Louis est en surnombre, mais c’est le plus jeune et puis il n’est intéressé que par les étoiles, alors…

Pierre parle avec Esther. Elle a treize ans et voudrait devenir médecin, plus tard : « Mes parents désirent rejoindre la Palestine mais moi, je préfèrerais poursuivre mes études en France… » Elle rentre au Caire avec ses camarades le lendemain matin. En scout qui se respecte, Pierre a sur lui du papier et un crayon,…ils échangent leurs adresses,… Bernard regarde sa montre : 4 heures 30 du matin, il est temps de regagner le camp.

Soudain, Esther prend Pierre par le bras et lui murmure : « On échange nos foulards ?... Ca nous fera un souvenir. » - « Si tu veux… ». Ils s’embrassent tendrement sur les joues, Pierre caresse ses cheveux blonds,… un dernier signe de la main ,… garçons et filles s’éloignent et disparaissent dans les fourrés pour rejoindre leurs tentes. On est le 6 juin 1944 et l’aube commence à poindre…

Le matin, vers onze heures, branle-bas : les chefs de patrouilles et leurs seconds sont convoqués dans la tente du chef de troupe. Il a l’air des grands jours, mais parait visiblement ému : « J’ai une très importante nouvelle à vous annoncer… Elle vous fera sûrement plaisir… Les Forces Alliées ont débarqué, aujourd’hui à l’aube, sur les plages de Normandie ! Un contingent Français a pris part à l’assaut ! La libération de notre sol est en marche… Vive la France !... » Un hourrah lui répond, tous s’embrassent et se congratulent. Plusieurs ne peuvent contenir leur émotion,… ils pleurent …

Un peu plus tard, le chef de troupe croise Pierre dans le camp et l’arrête : - « Pierre, qu’est-ce que ce foulard ?... Ce n’est pas le nôtre !... » ( Evidemment, celui des scouts de France est gris avec une bordure rouge alors que celui d’Esther est bleu clair avec une bordure blanche !)

Pierre, au garde à vous, réfléchit vite et répond: « J’ai fait ma lessive hier soir et, malencontreusement, j’ai mis trop d’eau de javel, alors ça a déteint… Il parait que c’est normal… je suis désolé Monsieur !... » Le chef de troupe fronce les sourcils et lance : « Elle est bizarre ton eau de javel !... Nous réglerons ça plus tard… Rejoins ta patrouille, rangez vos affaires, démontez les tentes et nettoyez les emplacements, nous rentrons à Alexandrie !... »

Le départ avancé réjouit Pierre. Ils doivent rejoindre par autocar Ismaïlia , à une centaine de kilomètres plus au sud, et prendre place dans un train militaire qui les ramènera à Alexandrie. Dans le car, sur la route qui longe le canal de Suez, Pierre ne regarde pas le paysage:« Faire la connaissance d’Esther, le débarquement en Normandie et rentrer à la maison, tout ça le même jour,…c’est vraiment trop de bonheur à la fois !... »

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