Billet de blog 12 juin 2010

Pierre RATERRON (avatar)

Pierre RATERRON

Artite plasticien multi-medias, Novelliste ,Chroniqueur

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V - Neige et crayons de couleurs...

Octobre 1939, La « drôle de guerre » est commencée. Pierre et Marcel, son cousin, entonnent à pleins poumons : « Nous f'rons sécher not' linge sur la ligne Siegfried !... ». Toutefois, à la Gastine, les veillées sont moins joyeuses et la brume du soir n'est plus apaisante en dépit des lumières rassurantes de la ferme qui clignotent de l'autre côté du val...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Octobre 1939, La « drôle de guerre » est commencée. Pierre et Marcel, son cousin, entonnent à pleins poumons : « Nous f'rons sécher not' linge sur la ligne Siegfried !... ». Toutefois, à la Gastine, les veillées sont moins joyeuses et la brume du soir n'est plus apaisante en dépit des lumières rassurantes de la ferme qui clignotent de l'autre côté du val...

Georges - Mathieu est parti rejoindre son poste diplomatique à Alexandrie. Alice et ses trois garçons préparent leur déménagement pour Guéret.

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A la différence de ses deux aînés qui font leur vie de plus en plus à part, Pierre, sept ans et demie, traverse cette période comme une découverte continuelle à caractère exotique dont il retient quelques séquences caractéristiques comme par exemple, Alice sa mère qui règle en l'espace de quelques jours tous les problèmes : le choix de l'appartement, la signature du contrat de location et le déménagement....

Ou encore, Guéret, Place de l'Eglise., un petit deux pièces cuisine au rez-de-chaussée , la somptueuse cuisinière Arthur Martin, les pavés de la place des sabots, la boucherie Desfougères, la messe du dimanche pendant laquelle il rappelle à sa maman que le rôti cuit sur la cuisinière, provoquant la sortie clandestine d'Alice,...la fausse accusation d'avoir attaché des boîtes de conserve à la queue d'un chien...

La neige, découverte pour les trois frères, mais aussi l'onglée et son étonnement de voir fondre une boule de neige sur la cuisinière...Et puis, les lettres de Georges-Mathieu et le fameux télégramme: « Passages réglés sur Messageries Maritimes , Visas à obtenir au Consulat d'Egypte à Lyon ... »

C'est alors l'attente du Bordeaux - Lyon dans la nuit à la gare de Guéret, l'absence interminable d'Alice à Lyon et l'explosion d'une bombe à proximité de Perrache, sa peur panique d'avoir perdu sa maman, les escarbilles du Train Bleu, l'hôtel de la Poste à Marseille et par une belle matinée, l'embarquement sur le Champollion, avec ce goût acide de peinture marine qui lui est toujours restée en mémoire...

C'est aussi, son étonnement devant les ponts noirs de troupes à destination du Levant, les brusques arrêts, la nuit en pleine mer, tous feux éteints et machines stoppées, pour éviter les sous-marins allemands, puis l'arrivée à Beyrouth après plusieurs changements de routes...

L'interminable débarquement des troupes et du matériel, l'appareillage et, enfin, l'arrivée au port de commerce d'Alexandrie par un soleil éblouissant avec un Georges Mathieu sur le quai, petite silhouette blanche coiffée d'un panama , faisant de grands gestes à leur intention...

Et pourtant, le souvenir de cette période qui l'a le plus marqué est l'épisode de « la boite de crayons de couleurs » : à une centaine de mètres de l'appartement à Guéret, la vitrine de la librairie -papeterie proposait une superbe boîte de crayons de couleurs Caran d'Ache. Pierre, en admiration devant les aquarelles de Jean-Jacques et les dessins à la plume de Claude, était tombé amoureux de cette boite de crayons de couleurs. Un jeudi après midi, répondant à une brusque envie pulsionnelle, il s'empare d'un billet de 50 francs qui dépassait de l'agenda d'Alice, court à la librairie et demande à acheter la boite de crayons.

La libraire, s'étonnant qu'il ait un si gros billet à son âge, prétexte qu'elle n'a pas de monnaie. Pierre lui répond avec aplomb qu'il viendra plus tard pour la monnaie, mais qu'en attendant il prend livraison de la boite. Bien entendu, la libraire qui est une très brave femme, prend contact avec Alice...

Au souper, il n'y eut ni cris, ni remontrances : Alice fit venir Pierre , seul, dans la cuisine et, sans un mot, tendit la main « Donne-moi ce qui ne t'appartient pas ! » Pierre comprit et s'exécuta...

Un long silence suivit, les grands yeux bleus s'embuèrent et d'une voix calme mais grave, Alice s'adressa à son fils : « Tu ne peux pas savoir la peine que tu viens de me faire... » De voir sa maman si triste, Pierre en fut bouleversé et se mit à pleurer... La privation de dessert pendant une semaine ne l'émut nullement, mais ces beaux yeux bleus embués ....

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