Cette année-là, toute la famille était revenue d’Egypte par bateau, pour les vacances en France, avec un large détour par la Grèce et l’Italie. Georges-Mathieu, en poste diplomatique à Alexandrie, son épouse Alice , Jean-Jacques l’aîné, Claude le cadet, aimaient ces traversées en paquebot..
Celui-ci n’avait rien à voir avec les Champollion et Mariette Pacha, fleurons de la compagnie Messageries Maritimes. Mais, pour Pierre, c’était un terrain d’exploration et de sensations extrêmes où se mêlaient la saveur acide des embruns du pont supérieur, avec les odeurs de vernis marine et de toast grillés du promenoir. Là, par gros temps, bien calé dans un transat en acajou et emmitouflé dans un plaid, il assistait, ébahi et ravi, au déchainement des éléments….
Car cette fois, en pleine mer Egée, ils avaient essuyé une tempête sévère. Le commandant grec avait fait cadeau de ses propres épaulettes à Pierre, 5 ans, pour « … résistance héroïque au mal de mer ! ». Le garçon n’en était pas peu fier.
Le Pirée, Athènes, le Parthénon, Delphes, le canal de Corinthe, Brindisi, puis la remontée de la péninsule italienne vers Rome …Dans ce périple tout était émerveillement. Il faisait beau, il faisait chaud et les vacances commençaient dans la joie .
Dans la Cité Eternelle, beaucoup de militaires… A l’hôtel, via Venneto, en début d’après-midi la famille fit la sieste, habitude salutaire de l’Orient. Soudain, une musique tonitruante réveilla tout ce petit monde. Ils se précipitèrent aux fenêtres et, au travers des persiennes, ils entrevirent une escouade de militaires à la chemise noire qui, au pas de gymnastique, couraient aux sons de bugles. Le père observa la scène et murmura : « … La barbarie nous arrive en courant !... ». Pierre qui était prés de lui, demanda : « Pourquoi dis-tu ça Papa ? » - « Pour rien, Pierre, pour rien… ».
Le lendemain, en fin de matinée la place Saint Pierre est noire de monde... Un bruissement parcourt la foule puis s’enfle pour devenir clameur... Geoges-Mathieu plaçe Pierre sur ses épaules et lui montrant la basilique « Regarde, Pierre !.. » - « Mais où ça, je vois rien ! » - « Là-bas, à droite, tu vois la fenêtre ? » -« Avec un tapis en- dessous ? » - « Oui, la silhouette en blanc, c’est le Pape *.. Aujourd’hui c’est ta fête de Saint Pierre et de Saint Paul… Il te bénit. »
Pierre est frappé de stupeur… Le Pape l’a béni,… lui, Pierre ! Plus tard, dans une trattoria proche du Colisée, il ne cesse de poser des questions sur le Pape… Tous rient, la famille est heureuse. Dans deux jours, ils seront en France, d'abord à Paris, puis dans le Limousin. Les frères de Pierre, beaucoup plus âgés, se passionnent, eux, pour leur première cigarette …d’eucalyptus.
C’était une journée exceptionnelle, le 29 juin de cette année là, 1937…
* Il s'agit du Pape Pie XI