Billet de blog 15 avril 2012

Pierre RATERRON (avatar)

Pierre RATERRON

Artite plasticien multi-medias, Novelliste ,Chroniqueur

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XX - " Capitaine corsaire!..."

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

 Pierre va reprendre ses cours au Lycée demain matin. Cela fait quatre jours qu’il garde la chambre, sur ordre express de ses parents. Devant la glace de la salle de bains, il constate les dégâts : sa pommette droite est toujours douloureuse mais elle a désenflé. En revanche il a un superbe œil au beurre noir bordé de pourpre… Il en pleurerait : «  Rien à voir avec les blessures à la tête ou aux bras, d’un Errol Flynn ou Clark Gable à l’issue d’un duel ou d’une bataille. Ce sont des blessures nobles… Ils n’ont jamais d’œil poché, eux, juste un bandage immaculé ! … Bon, à présent je vois des deux yeux, mais jamais je ne vais oser me présenter ainsi dans la cour du Lycée !... Ils vont se ficher de moi de première, il faut absolument que je demande des lunettes de soleil ( 1) à maman, c’est un cas de force majeur ! » Sitôt pensé, sitôt fait : en pyjama et pieds nus, il se précipite dans le salon où sa mère est en train d’écrire. –«  Que fais-tu ici ?... Tu devrais être dans ton lit !.. Et pieds nus, de mieux en mieux ... »

Pierre ose l’interrompre : «  Maman, c’est très grave !... » Alice regarde son fils «  Il me l’ont complètement défiguré,  ces sauvages ! »  pense-t-elle , inquiète,… mais très vite elle se ressaisit : «  Qu’y a-t-il de si grave ? »  Il lui fait part de ses craintes. Elle l’écoute en silence, comme toujours, puis de sa voix posée : «  Mon cher enfant, tu t’es battu parce qu’on avait insulté tes parents devant toi. Tu as fait preuve de courage mais pas de discernement. Tu dois ignorer ce genre d’insultes, elles sont méprisables. .. Ton père, qui rencontre des situations cent fois plus graves au consulat , t’a souvent mis en garde contre ces provocations, surtout en ces temps troublés !... Et puisque tu es fier de ton acte, eh bien, sois fier de ta blessure !... Allez, au lit !»… Donc, pas de lunettes de soleil !... Clark Gable et Errol Flynn devaient être orphelins, c’est sûr !...

« On m’a volé mon combat ! » s’insurge Pierre en bourrant de coups de poing son oreiller. Certes, Mourad l’a sauvé, certes ce Constantin a gagné à sa place, mais cela ne le satisfait pas. Depuis que David et Youssef sont partis et que les « Fils préférés d’Abraham » n’existent plus, il est devenu plus pointilleux sur ces questions …Dame, à quatorze ans, on peut très bien dans le même temps porter haut son sens de l’honneur  et craindre les remontrances de sa mère !...

En fait, c’est plus compliqué que cela : son amour propre en a pris un sérieux coup !... Avant, pour les élèves du Lycée Français ( surtout les filles), ses deux amis et lui étaient des héros, les Trois Mousquetaires mâtinés de Mandrin sympathique….et surtout, ils ne perdaient jamais ! Les rieurs étaient de leur côté et les professeurs, au-delà des mises en garde fréquentes et des heures de retenues, les considéraient avec amusement…

« D’après Mourad, Oda n’a pas assisté au combat, mais c’était il y a trois jours…Elle sait à présent que j’ai été dynamité par cette brute analphabète de Roberto, sans vraiment combattre !... Que va-t-elle penser?... Et puis, ce sont Mourad et Constantin les héros…Et d’abord qui est ce Constantin ?... Encore une trouvaille de Mourad !...Comment vais-je faire devant les autres, avec cet œil au beurre noir ? C’est la honte !... » Tout se bouscule dans la tête de Pierre et ce n’est que très tard qu’il s’endort en espérant que la nuit lui porte conseil…

Le lendemain matin,  à huit heures moins cinq, il  descend le petit escalier qui mène à la cour du Lycée Français. Les conversations s’arrêtent, tous les élèves se tournent vers lui dans un silence solennel … Il faut préciser que Pierre a mis en scène son coquard : bandeau sur l’œil droit et, pour accentuer la dramatisation, le bras gauche en écharpe,… Errol Flynn n’a qu’à bien se tenir !A peine les élèves font-ils mouvement vers lui qu’une voix de stentor rappelle tout le monde à l’ordre : «  Vous, le Capitaine corsaire, en permanence immédiatement, les autres apprêtez vous à rentrer en cours dans cinq minutes !... Je ne le répèterai,pas !».« Ouf ! » pense Pierre, son bandeau venant de se détacher, l’humiliation face à ses camarades est évitée,… pour l’instant.

Etre appelé en permanence, c’est être convoqué par  le Surveillant général. Il est petit, le cheveu rare… Il s’éponge fréquemment le visage à l’ aide d’un grand mouchoir à carreaux, d’où son surnom : Niagara…La rencontre commence mal : «  Alors , comme cela, vous avez pris quelques jours de vacances… » - « … Mais j’étais blessé… » -«  Je n’y crois pas un seul instant ! Vous allez tourner dans un film avec vos bandages ?...Manque plus que le sabre d’abordage !... Allez, finie la comédie,…enlevez moi tout ça ! »

Pierre s’exécute en simulant la douleur,…avec sa main droite il soutient son bras gauche. Dès que le « surgé » aperçoit le coquard, il arbore un large sourire : «  C’est pourtant vrai que vous vous êtes fait rosser !... Qui l’eût cru ?... Un ex Fils d’Abraham corrigé par un petit voyou !... »   - «  Mais Monsieur… »    - «  Je sais, je sais, votre mère m’a expliqué que vous vous étiez battu pour l’honneur de vos parents,…balivernes ! Racontez ces histoires à qui vous voulez mais pas à moi,… je vous connais trop bien !... Confisqués les bandages !…Je vous ai à l’œil,c’est le cas de le dire !... Au moindre faux pas , je ne vous raterai pas !... Sortez ! »       

Dans la cour les commentaires vont bon train : si Pierre a été appelé par  le surgé c’est qu’il va être puni… Les avis sont partagés entre le « Ce n’est pas juste ! «  et le «  Il n’a que ce qu’il mérite ! ». Les discussions s’animent, le brouhaha est général. Soudain, le silence : Pierre franchit le seuil de la permanence, passe sous le préau et rentre dans la cour en soutenant son bras gauche, la tête haute et l’œil au beurre noir fièrement arboré.

Mourad se précipite vers lui : « C’est bon de te revoir Boutros, tu es guéri… Allez viens, tous les copains sont là… Je suis sûr qu’aujourd’hui, avec ce que tu sais, Roberto tu l’étendrais pour le compte !... Et pour ton œil, personne ne s’en  moquera !... Et le premier qui le ferait, je lui casse la figure, parole !...»

C’en est trop ! Pierre s’arrête et lui fait face: «  Tu ne vas pas recommencer ?... Ca suffit !... J’ai provoqué Roberto pour en finir avec les petites bagarres… Il m’a battu mais nous avons gagné,… tout rentre dans l’ordre… A propos, où est-il ce Constantin que j’aille le remercier? » - «  Je vais le chercher,… mais ce que je te disais, c’était pour ton bien…Et puis, le surgé, c’était pour quoi ? » D’un regard, Pierre fait comprendre à Mourad que l’entretien est clos.

Peu  après, Constantin  le  rejoint :  «  Tu  es Grec, m’a-t-on dit ? » - « Oui, mais je suis né à Port-Saïd. J’étais pensionnaire au Collège Saint Marc,… mes parents sont musiciens d’orchestre , alors  ils voyagent beaucoup… Je suis ici pour passer la Brevet, comme toi… »     - « Je voulais te remercier pour ce que tu as fait pour moi. » - «  Oh, ce n’est rien ! » - «  Bien au contraire, tu ne me connais pas et… » -«  Si, je te connais,… à Saint Marc, on parlait souvent des Fils d’Abraham…On a voulu faire pareil à Camp-de               -César mais ça n’a pas marché !... » - «  Ici non plus, ça ne marche plus,… tu vois,  je suis seul à présent !... »- « Roberto t’a pris par surprise … Je me sauve, j’ai un cours de maths… A bientôt, j’aimerais parler avec toi ! » . « Surprenant ce Constantin » pense Pierre, «… surprenant et chevaleresque, j’aurai plaisir à le revoir… »

Mourad s’approche, accompagné de Saad qui déclare : «  Tu as l’air en pleine forme !... J’étais du côté des filles,… elles ont bien aimé quand le surgé t’a appelé Capitaine corsaire… Elles veulent te donner ce surnom… » Mourad renchérit : « … C’est vrai, même sans les bandages, tu fais très corsaire,… après le tournage du film bien sûr !... »  Les trois amis se regardent et éclatent de rire… «  Capitaine corsaire ?... Pourquoi pas, ça me va !... » répond Pierre en les entraînant vers la salle d’histoire et géo.

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