Billet de blog 22 septembre 2010
XI - " Well tried, my boy.. Well tried!..."
David, Youssef et Pierre, les trois amis, ne se contentent plus de jeux puérils. Le film, tant rêvé n’a jamais vu le jour La guerre est dans sa phase terminale en Europe et leurs préoccupations sont à présent empreintes d’avenir. Ils restent ensemble, bien sûr, retrouvant parfois les élans, les rires, la complicité d’avant,…quand le futur n’était qu’immédiat, borné au lendemain ou à la semaine prochaine…Youssef, depuis peu, milite dans un groupe d’étudiants nationalistes qui luttent à la fois contre la présence des Anglais en Egypte et contre la royauté qu’ils estiment corrompue. Toutefois, son désir de devenir cinéaste l’emporte sur ses convictions, au moins pour un temps : à qui veut l’entendre il exprime sa volonté de partir soit en France, soit aux Etats-Unis pour « apprendre à filmer… »David, lui, fait de fréquents déplacements au Caire, « chez son oncle … », en fait une très jolie veuve qui l’a pris en affection. Mais il est vrai qu’à la question : « Ou désires-tu aller quand tu auras fini tes études supérieures ?... » la réponse est immédiate : « En Palestine !... » ( l’Etat d’Israël n’a été fondé qu’en 1948…) Pierre, tout excité par les débarquements de Normandie et de Provence, se rue chaque soir sur le poste de radio pour écouter les programmes de la BBC Overseas. Il vit la libération de l’Europe ( et particulièrement de la France ) sur une carte au mur de la salle à manger. Après les années moroses, 1942/43, enfin un tas de punaises bleues et blanches pour les armées alliées et les forces Françaises Libres, des rouges pour les Soviétiques , qui prennent en tenaille les punaises noires des forces de l’Axe. Alice n’est pas très satisfaite de voir cette grande carte sur un des murs de la salle à manger, à la place d’un tableau de son beau-frère, le peintre américano-canadien Henri Roberts. Elle préférerait que ce « quartier général » soit installé dans le couloir. Mais devant l’enthousiasme et l’assiduité de son benjamin à mettre à jour les informations militaires, elle laisse faire . Après tout, c’est une activité plus enrichissante que d’aller vadrouiller avec les enfants du quartier, en quête de quelque forfait à accomplir…L’année dernière, en août 1944, Pierre s’est enfui de chez ses parents pour aller « libérer Paris ! » affirmait-il… Avec la complicité de David, il gagne le ponton de la base nautique des scouts marins, en bordure du port militaire. Des dizaines de bâtiments de guerre (du contre torpilleur au cuirassé ) sont soit à poste, soit en instance d’appareillage, comme la flotte Française de Méditerranée ( dite Force X ) qui vient de se rallier au Général de Gaulle et se prépare à rejoindre les théâtres d’opérations. Pierre emprunte une yole, embrasse David et tente de gagner le mouillage d’un des nombreux transports de troupes, avec pour tout bagage une musette dans laquelle il a mis, pêle-mêle, un change de vêtements, une tablette de chocolat, un paquet de biscuits, sa gourde de scout remplie d’eau et une boussole. Il n’a pas laissé de lettre à ses parents, David étant chargé de les prévenir, le soir même . D’abord réticent, ce dernier a finalement accepté « par amitié »… A 12 ans, ramer est d’abord un plaisir, puis cela devient vite une corvée. Imaginez un port militaire, en pleine activité de guerre avec, au milieu de vedettes rapides qui inspectent la zone, une yole qui avance péniblement… L’inévitable arrive: toutes sirènes hurlantes, deux vedettes de la Royal Navy Military Police coincent la yole, Pierre est enlevé prestement, enroulé dans une couverture et jeté, comme un paquet, dans les bras d’un solide marin Britannique. Avant de réaliser ce qui lui arrive, on le descend dans la cabine, on le cale sur une banquette face à un galonné écarlate qui lui hurle : « What a hell are you doing here ?... Don’t you know, my boy, you’re right in the middle of a bloody military restricted area ?... » ( Que diable fais-tu ici ?... Ne sais-tu pas mon garçon que tu es en plein milieu d’une fichue zone militaire interdite?...). L’homme a une haleine de terre-neuvas après une nuit de bordée. Pierre est sans voix…Deux salves sèches : il a juste le temps de voir la yole sombrer dans la rade… « Et je ne suis même pas à bord !... Quelle honte ! » se dit-il, frustré de ne pas avoir, au moins, cette fin héroïque… Dèjà, l’écume bouillonne en poupe ,… la vedette part à grande vitesse en direction d'un embarcadère, puis oblique à tribord et rejoint le quai de l’Amirauté Britannique. Pierre c’est ce que cela signifie :des interrogatoires interminables, de longues heures d’attente et la liberté « bien encadrée » le lendemain. Un de ses camarades de classe en a fait l’expérience. Il est impensable qu’il subisse le même traitement : « Partir pour de bon, d’accord !... Mais revenir tout penaud ça jamais ! » pense-t-il. Il décide de se rebeller .S’adressant, de biais au buveur de bière ( à cause de l'haleine...), Pierre lui demande avec vivacité, en anglais : « Pourquoi ? » - « Oh, tu parles anglais, mon garçon ? C’est bien… Pourquoi quoi ? » - « Pourquoi avoir coulé ma yole ? » L’homme est stupéfait : ce gamin ,qui transgresse allègrement les consignes de sécurité, ose demander pourquoi lui, Gordon Tilbury Premier Maître de la Royal Navy a ordonné de couler la coquille de noix qui fiche la pagaille dans la rade d’Alexandrie !... -« Mais d’où sort-il ? » demande-til à la ronde… Pierre a repris de l’aplomb, il poursuit : « Je suis citoyen Français, mon père est diplomate, je demande à être amené au Consulat Général de France ! » Le premier Maître explose : « J’ai gagné le gros lot !... Je me disais aussi… nous avons à bord une petite grenouille de Français ! » Le reste de l’équipage s’esclaffe . Mais Pierre n’en a cure, il insiste : « Pourquoi ? » L’homme lui hurle la réponse : « Parce que rien de civil ne doit flotter quand la Royal Navy est au mouillage… Et toi, Christophe Colomb, qu’est-ce que tu fiches ici , nom de nom? » C’en est trop, Pierre perd pied… Malgré la chaleur, il grelotte et a envie de vomir… Heureusement une main secourable lui présente un seau… Il est sans forces, des larmes de dépit perlent… Le cerbère se penche, lui prend l’épaule et d’une voix étonnamment douce « Calme- toi mon garçon, tu es en sécurité ici, avec des amis… Tiens, bois ce thé et détends-toi ». La vedette accoste, Pierre est soulevé comme fétu de paille, passe de bras en bras et se retrouve, les jambes flageolantes , sur le quai de l’Amirauté. Un solide gaillard rajuste la couverture autour de ses épaules et l’emporte, comme un paquet, jusqu’à un poste de garde. Là, devant plusieurs officiers et marins, dont une WANF ( membre des Forces auxiliaires féminines de la Royal Navy ) il raconte son histoire d’abord dans un brouhaha de plaisanteries, puis dans un silence étonné et même…respectueux . A ses derniers mots « J’ai échoué, mais je recommencerai !... » l’assistance reste silencieuse un court instant puis, dans un fracas, trois hourrah !.. . Mais il lui faut revenir aux dures réalités d’un garçon de 12 ans. Il est remis à la WANF avec mission de le ramener chez ses parents « manu-matri-militari ». Lorsqu’il sort du poste de garde, les marins ont improvisé une haie d’honneur. Le premier maître est là aussi. Il se penche , serre la main de Pierre et lui dit : « Well tried my boy, well tried !... » ( Bien essayé mon garçon, bien essayé !…) Sur le trajet de retour, Pierre a bien tenté de négocier la possibilité d’être déposé au bas de son immeuble, à la rigueur d’être accompagné jusqu’à la porte de l’appartement, mais rien n’y fit ,… « No question !... » fut la seule réponse laconique mais ferme de la dame. L’accueil de ses parents fut d’abord mitigé ( ils n’étaient pas encore au courant de sa fugue ) puis résolument glacial. Il fut puni et dut prendre conscience auprès de son père et de sa mère de ce qu’ils dénommaient « une grave inconséquence aggravée d'une tendance à la mythomanie.. ». Car l’auxiliaire féminine avait simplement dit à Georges-Mathieu que Pierre avait été surpris dans une zone militaire britannique « absolutely restricted « ( absolument interdite). Donc, pour ses parents, la yole, l’amirauté étaient pures inventions. Alice, peinée, exhorta son fils : « Mais enfin, Pierre, quand vas-tu cesser d’inventer des histoires aussi extravagantes ?!... »Pierre, devant l’incrédulité de ses parents, prit très vite le parti de se taire. Cette « inconséquence » avait nom détermination. Voilà, il serait plus tard un grand guerrier, plutôt un marin,… ou un aviateur…, mais dans tous les cas un « grand » qui ne reviendrait pas, penaud, accompagné d’une gouvernante alors que personne ne croyait qu’il était parti pour libérer Paris !... Bien sûr Youssef et surtout David étaient au courant mais ils avaient leurs propres problèmes à régler et pour eux, une opération ratée ne valait pas la peine de les distraire de leurs rêves les plus fous,…qu’ils étaient bien déterminés à réaliser, eux.
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