J'ai écrit ceci pendant l'heure du fajr avant le lever du soleil le matin du 15 juin 2025. A peu près 24h après la fin de mon périple dans l'initiative Global March To Gaza à laquelle 4 000 personnes du monde entier s'était inscrites pour marcher les derniers kilomètres jusqu'au passage frontière de Rafah en Egypte. Il s'agissait de ma deuxième tentative de marche vers Gaza. On voulait au moins faire passer une bouteille d'eau, une cuillerée de lait pour nourrisson; et si on peut pousser un peu plus loin on arrêterait l'occupation génocidaire pour établir une paix juste pour tous.
La Global March To Gaza était prévue du 13 au 19 juin 2025
CONTEXTE:
L'état égyptien n'a donné aucune réponse aux demandes d'autorisation de
la marche avant la veille au soir alors que tout le monde était déjà
arrivé en Egypte ou en route. Les organisateurs ont dû réagir dans
l'urgence. On nous a donné rendez-vous à Ismailia, ville sur le canal de
Suez. C'est sur la route du Sinaï qui mène à Rafah. Les participants ont
essayé donc de rejoindre Ismailia depuis le Caire par taxi et bus. Le jeu grandeur nature de chat et de souris avec les autorités qui protègent la strangulation des Gazaouis par Israël continue. Il y a des participants qui n'ont même pas été autorisés à décoller de leur pays, d'autres ont été arrêtés à l'arrivée à l'aéroport du Caire les jours précédants le jour de notre rendez-vous au Caire du 13 juin.
Alors que les participants arrivés jusqu'au Caire et encore libres de circuler essayaient de se rendre au point de ralliement communiqué par les organisateurs de la marche, les autorités égyptiennes ont transformé deux péages sur la route en check-points pour essayer d'arrêter et de séparer les marcheurs. Quelques centaines ont été arrêtés au premier péage. Moi et mon binôme c'est au deuxième péage que la police a pris nos passeports. Nous nous sommes retrouvés plus ou moins bloqués là avec entre 500 et 1 000 personnes. On a fait notre
manif là sur la route, scandé nos "Free Palestine", et on a demandé le passage pour notre marche pacifique vers la frontière de Gaza.
On était simplement venus demander au monde entier de permettre l'accès au peuple qui meurt de faim et d'arrêter le massacre. Finalement après avoir rendu dans un grand chaos la majorité des passeports confisqués, les autorités ont dégagé notre sit in pacifiste. Cela leur a pris a peu près 5 heures d'intimidation et de violences à notre encontre pour nous faire monter dans des bus et minibus qui nous ont dispersé. La police nous entourait et ils "lâchaient" les membres d'un milice dite "al arjani" sur nous. Ces hommes et jeunes habillés comme des bédouins du Sinaï attrapaient certain d'entre nous, nous insultaient et frappaient avec des barres et des fouets. Ils avaient les yeux rouges. Comme possédés, avec une conscience clairement altérée. Ils se déchainaient sur notre groupe qui tentait de résister ensemble en se tenant les bras. Les marcheurs hommes avaient fait un cordon à l'extérieur pour protéger les femmes et les moins forts au centre. Après un temps d'attaque les policiers reprenaient ces bédouins possédés qui nous attaquaient puis ils nous sommaient de monter dans les bus pour partir. Je suis restée jusqu'à la fin. On était dans les derniers à se faire amener plus ou moins de force vers des véhicules qui devaient nous ramener au Caire.
Lorsque j'ai écrit ces lignes sur notre périple pour essayer de faire une marche vers Gaza, je n'avais pas dormi plus de 2 heures d'affilée depuis plusieurs jours. Pardonnez-moi le manque de structure dans mes idées.
Voici mon TEXTE:
L'anesthésie qui m'agrippait depuis des mois a lâché sa prise. J'éprouve
de nouveau de l'amour pour mon prochain et je peux pleurer...
de tristesse, d'admiration, d'adoration.
Avant même d'arriver à nous réunir pour un départ en convoi vers le
passage frontalier de Rafah, on s'est fait retirer nos passeports et
immobiliser au bord de notre route. On a manqué le point de rendez-vous
et la mission qu'on s'était donné aujourd'hui.
Les mailles se sont resserrées sur un point de la route. Et en même
temps ces griffes nous ont enfin réunis par centaines. On se voit enfin,
sans écran de séparation. Toute les langues. Toutes les couleurs de
passeports à rendre. Tous les visages rayonnant d'espoir qu'on va y
arriver enfin à cette destination tant languie.
Contraints de nous réunir et tenter notre demande de passage là où on ne
l'avait pas prévu. Sans oublier les autres centaines qui s'étaient déjà
fait arrêter, déporter, refuser même d'embarquer... mais notre force est la
même.
Et les milliers qui arrivent par les routes d'Afrique du Nord, la
Caravane Soumoud avec de l'aide humanitaire, la Freedom Flotilla qui
tente d'envoyer des bateaux depuis 15 ans...
Des vagues d'une même mer.
On a prié que ce soit eux ou nous, mais que quelques uns y arrivent au moins.
Ce serait une quête collective de réussie.
Notre mission lunaire.
On sait que même si on y consacre toutes les minutes qui nous restent, on n'apporterait qu'une goutte d'eau à l'ouvrage, accusés en sus
d'intentions ignobles.
Nos groupes sont venus de nombreux pays du monde entier, organisés tant bien que mal dans l'urgence qui nous guette depuis presque deux ans maintenant. Arrêter le carnage. Panser la plaie. Des milliers sans structure préétablie contre une machinerie génocidaire bien rodée, renforcée de tous côtés.
Arriver par nous mêmes à passer une bouchée de pain à la population gazaouie sciemment privée de nourriture.
Une action à faire si simple et obligatoire en toute situation: Nourrir celui qui a faim.
Mais ce geste est plus éloigné de nous collectivement que d'atterrir sur la lune aujourd'hui. Vouloir nourrir les Gazaouis, un Gazaoui, des Gazaouis, c'est chose interdite. Dans notre imagination, c'est impossible après près de deux ans d'une campagne de destruction totale de la population et ses infrastructures; ils détruisent même les substrats des terres pour cultiver et où mettre des fondations.
Mais est-ce vraiment impossible? Des milliers dans le monde ont décidé de défier cette impossibilité. Ils ont décidé d'essayer sur place, en
personne. Les dons aux organismes humanitaires étant infructueux car sciemment bloqués par l'occupation sioniste génocidaire. Il y a beaucoup
de raisons plus profondes, variés, historiques, sensibles et personnelles qui nous ont réunis.
Mais c'est d'abord ce geste si simple déjà peut-être qu'on a tous voulu essayer de mettre en pratique. Car qu'est-ce qui t'empêche d'aller en Egypte ? Prendre un avion, un visa? Des milliers le font tous les jours pour des milliers de raisons moins nobles que nourrir une personne éprouvant la faim.
Pouvons nous faire table rase sur toutes ces impossibilités inacceptables?
D'accord ils, les sionistes et tous ceux asservis à leur projet destructeur, à leur intimidation, sont capables des pires horreurs mais
avons nous vraiment tout essayé pour arrêter le massacre et la famine?
Faut-il une analyse profonde de la situation géopolitique de l'Égypte et être sensible aux 120 millions de besoins de sa population
quotidiennement abusée par son propre gouvernement? Doit-on obligatoirement maintenir un discours qui essaie de se mouler dans une structure de pensée génocidaire?
Un besoin profond nous attire à vouloir guérir cette terre meurtrie ou alors nous guérir nous mêmes avec sa terre bénie.
Tout n'est pas rationnel et stratégie fine.
Après presque deux ans de manifs, discussions, livres et films, procès, petitions, lettres aux élus, appels au boycott et désinvestissement... Nous avons besoin d'y aller. Peu importe que le plan soit solide.
La destination est nécessaire, Essentielle, obsessionnelle.
Nous réunir avec le peuple de Gaza. Une quête qui nous meut par millions à travers le monde.
Mais c'est impossible...
Vraiment?
Quelle barrière nous empêche ? Notre imaginaire sur la terreur de l'occupation bien réelle ? Mais à laquelle le peuple gazaoui survit
depuis 80 ans?
Une brique tombe.
Le temps? L'argent ?
Le mortier lâche.
La réalité est qu'on peut faire un pas, puis un autre. Tomber. Rester à terre, se faire tabasser en protégeant les femmes. Prendre un coup de
fouet, se faire enfermer, disparaître; puis finir par se relever et continuer.
Le mur qui retient cette bouchée de pain est prêt à céder. Encore quelques pas. Toujours dans cette direction. Notre futur, notre
destination collective :
Gaza libre et flamboyante.