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Billet de blog 29 mars 2014

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Album sans batterie

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L'appareil, pendu par la courroie au cou du photographe, ne répond plus. Batterie vidée par tant de prises faites au matin. Volume compact, clos sur les chatoiements du monde qu'il renferme, reflets glacés d'un œil noir mort pour l'après-midi. Mais la vie mouvante, tout autour, ne s'arrête pas de composer des photographies. L'index se pose, réflexe, sur le déclencheur. Soupir. Tant de photos envolées, c'est râlant. De tes images perdues me reste le souvenir, gravé sur la plaque sensible de ma mémoire. En voici quelques unes, fragiles simulacres nés de ta lumière et de mes mots.

*

L'allée longe le Jeu de Paume, jardin des Tuileries. Deux rangées d'arbres la borde, ramures d'un vert nouveau qui s'ébroue fraîchement. Le soleil illumine soudain les feuillages, à gauche. Poudroiement des graviers. Ruban blanc que l'œil voit s'étrécissant. Au bout, se dresse une sculpture de pierre, spirale creusée, écorce de fruit dur.

*

Le Ritz se cache derrière une double épaisseur d'échafaudages bâchés. Colonne Vendôme, pesant pilier anthracite, plantée au centre de l'évidence classique. Deux amoureux s'embrassent en l'honneur de Courbet. La mémoire prend aussi des selfies.

*

Thé Marie-Antoinette dans de petites boites cubiques, macarons et gelée de Roses. La tête de Reine, posée sur l'étagère, sourit modestement. Buste de plâtre sans aspérité, car tout est douceur ici. Crème et sucre glace. Froufrous. Grâce de la vendeuse asiatique aux gestes lents.

*

Sur le banc du Palais Royal, qui n'en peut plus d'en avoir tant supporté. A gauche, un vieil homme endormi, tête à la renverse vers le magnolia aux fleurs violacées. A droite, une femme droite et digne comme une danseuse de music-hall depuis longtemps rangée. Elle pose sa main maigre sur le genoux d'un homme assis sur un fauteuil du square. Tous deux vêtus de blanc, même teinture rousse colorant leur chevelure lissée, lunettes aux montures tapageuses. Une canne anglaise tenue serrée dans la main de l'homme.

*

Sourire de petite fille. Les dents, deux rangs de grains de riz. Yeux noirs, brillants, fascinés : le regard fixe la bouche du garçonnet qui raconte. Il s'agit de couteau planté dans la zézette, c'est du moins ce que suggère la photographie.

*

Celle-ci entre dans le wagon pour te narguer. Elle prend la pose, compose la photo parfaite. Jambe fléchie, main qui s'agrippe à la barre et la valise posée comme il faut. Elle a la cuisse ronde, le mollet ferme sous le collant couleur chair, un petit short noir moule les fesses. Penché sur un plan de Paris, son visage grêlé de vieille coréenne.

 Plus de batterie, pour le photographe, c'est rageant. Subsistent, fidèles, les battements du cœur.

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