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Billet de blog 6 février 2016

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" L'ABRAHAMIQUE ET LE SÉMITIQUE "

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Freud a peut-être émis la plus originale des hypothèses sur le rapport entre les origines       du Dieu des monothéismes et les Sémites.

       ATON YAYVÉ DIEU MADIANITES

Si l'histoire chronologique tient que les Arabes, avec l'islam, se sont réapproprié le dieu juif et chrétien, Freud pose que le dieu juif lui-même n'était en fait pas seulement une extrapolation du dieu égyptien Aton, mais aussi du dieu Yahvé que les tribus juives "adoptèrent [...] probablement [...] de la tribu arabe voisine des Madianites", dans le pays situé "au Sud de la Palestine, entre les confins orientaux de la presqu'île du Sinaï et la frontière occidentale de l'Arabie". (1)

Quoi qu'il en soit, les Sémites et leurs dieux/leur Dieu semblent avoir été liés depuis des temps immémoriaux.

          APRÈS LE CLASH ARYANISTE

Mais si la question sémitique rassemble Juifs. Arabes et musulmans dans un rapport hiérarchique avec l'aryanisme, le monothéisme sémitique qui réunit juifs, chrétiens et musulmans n'a commencé à être codé que récemment sous le néologisme de "religions abrahamiques".

À la différence du sémitique, l'abrahamique prétend éliminer la hiérarchie entre ces trois groupes. (2)

                "JUDÉO-CHRÉTIEN"

Alors que l'expression contemporaine "judéo-chrétien", avancée après la Seconde Guerre mondiale, cherchait à exclure les musulmans     de la nouvelle alliance, l' "abrahamique", contemporain mais moins hégémonique, les inclut.

        SEM SCHEM ISM ( إسم )LE NOM 

Rappelons-nous que Sem ou (Shem), qui signifie "nom"est dans la Bible le fils de Noé, dont Abraham descend en ligne directe par le fils de Sem, Arpaxad.

Sem et Abraham sont des figures bibliques laïcisées de manière ambivalente par la tradition des Lumières.

        GOTTHOLD EPHRAÏM LESSING

C'est peut-être Gotthold Ephraïm Lessing qui, en 1799, dans son œuvre Nathan le Sage, inaugura sans la nommer la tendance chrétienne (ou faut-dire "éclairée" voire "libérale ?) à insister sur la communauté des trois monothéismes. (3)

    LES TROIS CULTES ABRAHAMIQUES

C'est toutefois à l'orientaliste Massignon qu'il devait revenir de la baptiser "les trois cultes abrahamiques" dans un texte de 1949, Les Trois Prières d'Abraham. (4)

             MISÈRES THÉORICISTES 

Si les théories raciales distinguaient synchroniquement Sémites et Aryens comme radicalement autres, l'abrahamique allait les relier généalogiquement pour ne faire qu'un,    du moins est-ce ce qu'espérait Lessing.

              LE LIANT ABRAHAMIQUE 

Contrairement au sémitisme centré sur la langue et la race comme effet ontologique, ce qui était séparé allait être relié par l'abrahamique sous le signe du monothéisme comme religion, littéralement comme ce qui relie, ou ce que l'orientalisme H.A.R. Gibb, se référant aux efforts de Massignon, appelait la "communauté des origines abrahamiques". (5)

Ce qui intéressait Massignon, c'était d'inviter les chrétiens à revendiquer un héritage abrahamique oublié.

              HÉRITAGE APPÉTITIF 

C'est pour effacer la différence et affirmer sinon l'identité du moins la communauté, qu'il invoque l'ascendance d'Abraham :

En ce moment où l'effroi qui nous cache l'approche de nos fins dernières nous fait nous retourner à l'envers, vers nos origines, où la malice toxique de nos dissentiments nous force à rechercher nos ancêtres communs, il est sage de reprendre, un à un, les chaînons de la chaîne spirituelle de témoins purs dont nous dépendons [...] et ils nous ramènent à Abraham, d'autant plus fortement que notre cas est désespéré. (6)

       ENTRE ASPIRATION ET PATIENCE

Pour Massignon "Abraham continue à être invoqué comme leur Père par douze millions de circoncis juifs, qui aspirent à posséder pour eux seuls cette Terre sainte qui lui fut autrefois promise; et par quatre cent millions de musulmans qui se fient patiemment à son Dieu, aux cinq prières, aux fiançailles, aux funérailles, aux pèlerinage.

                  ESPÉRANCE - FOI 

Les Juifs n'ont plus qu'une espérance, mais elle est abrahamique, les musulmans n'ont plus qu'une foi, mais c'est celle d'Abraham dans la justice de Dieu (au-delà de toutes les apparences humaines)". (7)

       L'AMOUR AUTRE DON PRÉPUCIEL 

Le rôle des chrétiens incirconcis, qui n'ont donc pas maintenu l'alliance avec le Dieu d'Abraham comme l'ont fait les Juifs, les musulmans et les chrétiens "d'Orient", est historique, c'est celui de l'amour qu'ils peuvent transmettre à leurs frères en Abraham (rappelons ici l'une des explications freudiennes de l'antisémitisme, suivant laquelle celui-ci résulte de l'épouvante ressentie par les garçons chrétiens lorsqu'ils entendent parler de la circoncision des garçons juifs, qu'ils interprètent comme castration, ce qui explique le mépris qu'ils éprouvent pour les hommes juifs. (8)

           PÉDAGOGIE DE L'AMOUR

Le contexte de l'appel de Massignon a une pédagogie chrétienne de l'amour qui aurait pu prévenir, si elle n'avait fait défaut, la haine entre juifs et musulman, est la "guerre affreuse" de 1948.

        DÉFÂCHAGE GÉOGRAPHIQUE 

Ce rôle historique des chrétiens demeure toutefois nécessaire à cause de la géographie.

Massignon soutient que "parallèlement à l'histoire, la géographie d'aujourd´hui nous rapproche d'Abraham, en nous concentrant   vers un haut lieu de l'humanité qui a commencé par être sien.

[...]

          "ADOPTION ABRAHAMIQUE"

 Voici le retour, corporellement, des deux frères ennemis aux lieux d'élection de leur résurrection (Al-Aqsâ pour les musulmans, le Temple pour les juifs, à 150 mètres de l'Anastasis ou Qiyâma (Saint-Sépulcre) des chrétiens qui, n'ayant pas assez repris assez conscience de leur "adoption abrahamique", ne se souvient pas encore d'y revenir pour la Parousie du Seigneur.

   TÉMOINS ARABES DE CONVERGENCE

Ils ont néanmoins, là-bas, des témoins arabes de leur foi, et la convergence géographique des pèlerins des trois cultes abrahamiques sur une même Terre sainte, pour y trouver cette justice qu'Abraham, à travers sa triple épreuve a trouvé en son Dieu, a abouti depuis un an à une guerre affreuse.

Pourquoi ?

Parce que les chrétiens n'ont pas encore réalisé leur devoir plénier envers leurs frères en Abraham.

Parce qu'ils ne leur ont pas encore expliqué comment aimer cette Terre sainte qui est un des deux termes de la promesse à Abraham". (9)

                     L'ENGLOBAGE

Il convient de rappeler ici que Massignon représente tout le monde comme étant à la fois extérieur à Jérusalem et désireux d'y retourner.

     MALENCONTREUX TÊTE-BÊCHAGE

Les Palestiniens de Jérusalem sont représentés comme aussi étrangers à leur ville natale que les colonisateurs juifs.

                                  •

   NOTION  "RELIGION ABRAHAMIQUE"

La notion de "religion abrahamique" avait été supposée dotée d'une islamicité antérieure.

Jonathan Z. Smith a soutenu qu'elle avait été "empruntée...au discours musulman", une thèse adoptée par ceux qui ont cherché plus récemment à théoriser l'abrahamique comme ce qui lie et délie les juifs, les chrétiens et les musulmans. (10)

                NOTION ISLAMIQUE

Dans son introduction aux travaux de Derrida sur la religion, c'est en s'appuyant sur Jonathan Z. Smith, que Gil Anidjar écrit que "la notion d'abrahamique comme celle de "peuple du Livre" est d'origine islamique. 

                  NOTION ANCIENNE

C'est une notion ancienne qui, comme le note Derrida, a été l'occasion ressuscitée en Europe (Kierkegaard bien sûr), peut-être le plus récemment par l'important islamologue Louis Massignon". (11)

              LA DÉFAUSSE DE DERRIDA

À ma connaissance Massignon n'a parlé que de "cultes" et non de religions abrahamiques, bien que Derrida discutant l'œuvre de Massignon, restitue par "religions" l'usage du mot "cultes" chez ce dernier. (12)

     CULTE CULTUS COLERE (CULTURE)

Le terme Français "culte" est dérivé des mots latins cultus et colere (cultiver) qui forment la racine du mot culture.

Mais le Coran ( ou l' "islam" posé métonymiquement comme renvoyant au Coran ) ne fait aucune mention de religions ou de fois "abrahamiques", ni même "abrahamaniques" selon le terme utilisé par Saïd dans l'Orientalisme. (13)

  MILLAT IBRAHIM : ISLAM ORIGINAIRE

Et l'invocation coranique "millat ibrahim" qui embrasse tous les prophètes d'Abraham à Muhammad, souvent invoquée à l'appui de la notion "religions abrahamiques", n'était pas nécessairement, voire pas du tout un geste visant à inclure dans ce mouvement le christianisme et le judaïsme en tant que religions (bien que le texte coranique fut toujours inclusif quant aux traditions du judaïsme et du christianisme dont les écritures conservées étaient considérées par lui comme des versions déformées de la même parole divine); cette invocation était plutôt destinée à affirmer un islam originaire prêché par Abraham, Moïse et Jésus, auquel ils avaient appartenu et dont les juifs et les chrétiens avaient dévié.

      NON PAS RELÈVE MAIS INCLUSION

S'il est vrai que le Coran prend la relève des écritures du judaïsme et du christianisme, il n'appelle pas pour autant les musulmans à prendre la relève des juifs et des chrétiens, mais plutôt à les inclure en tant que peuples du Livre.

                                     •

Notes:

(1): L'homme Moïse et la religion monothéiste, Freud, op. cit. page 102.

(2): Cet argument prend place dans le contexte d'une discussion que j'ai eue avec Nadia Abu El-Hajj, lors de laquelle elle m'a conseillé à élaborer succinctement la différence entre le sémitique Et l'abrahamique quant aux groupes qu'ils prétendent inclure ou exclure.

(3):" "libéral" est ici employé au sens proche de celui qu'il avait en français au XIXième siècle.

Aucun terme actuel ne traduit exactement cette expression qui perdure en anglais Et di T le sens est à peu près celui que l'on donnait par le passé au "vieilli" progressiste". ( N.t.D.)

(4): Louis Massignon, Trois prières d'Abraham, père de tous les croyants" (1962), Editions du Cerf; 

voir, Derrida, in Anidjar, Acts of Religion, page 369.

(5): Edward Saïd, l'Orientalisme, op.cit. page 296.

(6): Massignon, op.cit. page 134.

(7): Ibid.

(8): Analyse d'une phobie chez un petit garçon de 5 ans (Le petit Hans), Freud, op.cit. page 116.

Freud répète cette hypothèse dans L'Homme Moïse et le monothéisme, op.cit. page 184.

(9): Massignon, op,cit. pages 135-136.

(10): Cf. Jonathan Z. Smith, "Religion, Religions, Religions " in Mark C. Taylor, Critical Terms of Religions Studies, Chicago et Londres, University of Chicago Press, 1998, page 276.

(11): Gil Anidjar, "Introduction, "Once, more, once more": Derrida, the Arab, the Jew", in Anidjar, ed., Jacques Derrida, Acts of Religion, New York, Routledge, 2002, page 3.

(12): Jacques Derrida "Hostipitality", in Anidjar  Acts of Religion, page 369. Cf. Anne Dufourmantelle invite Jacques Derrida à répondre, De l'hospitalité, Calman-Lévy, 1997, page 45.

(13): Op.cit., page 128, dans l'édition anglophone (Vintage Books).

Dans l'édition française, ce terme est traduit par le mot "abrahamique". (N.t.T.)

La pesistance de la question palestinienne, Joseph A. Massad, La Fabrique, 2009.

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