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Palestine

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Billet de blog 9 avril 2017

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CHACAL'ARABES SI LOIN D'À BRÛLE-POURPOINT

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Qur tirer de ces variations où "chacals" et Arabes", (...) occupent tour à tour les fonctions "Juifs" et "non-Juils", "sionistes" et "antisionistes", "religieux" ou "séculiers", "Européens" ou "Arabes"? 

Tout renvoyer au sacro-saint indécidable ?

(...) le point de fixation du contentieux n'est pas ici le territoire (les Arabes eux-mêmes n'habitent que le désert; ils semblent condamner, comme Kafka, à errer "au sortir de Canaan", sans trouver de sol ferme sous leurs pas (1) mais la nourriture.

Pas même le régime alimentaire, mais ses conditions de possibilité : l'abattage des animaux. 

Les chacals ne pardonnent pas aux Arabes d'égorger les bêtes. (a)

Question politique par excellence (2); celle de la violence légitime. 

Où l'on retrouve le problème du sionisme au moment exact où, d'utopie qu'il était, il commençait à se réaliser sous forme d'un embryon d'État.

Mais sommes-nous seulement en Palestine ?

L'unique mention géographique est celle du Nil; 

le scène se déroule dans ce désert que les chacals déclarent "leur patrie" parce qu'ils y respirent un air "plus pur".

Comment ne pas se souvenir que, au désert, les Hébreux n'étaient nourris que de manne (Ex. XVI-31) ?

Selon certaines interprétations mystiques (3), la faute des Explorateurs, cherchant à dissuader les Hébreux en Terre Promise, tenait à leur crainte de le voir abandonner cette vie hautement spirituelle. (b)

Conquérir Canaan, c'était devoir se nourrir soi-même, bâtir et combattre. 

Les chacals tiendraient, par leur idéal proclamé, de la pusillanimité dévote des Explorateurs et, par leurs appétits grossiers, de ces Hébreyx regrettant les "marmites de viande" égyptiennes (Ex. XVI-3) (c)

Il ne s'agit somme toute que d'une division du travail, non moins factice que celle qui, dans toute société, relègue et délègue à un groupe donné (bouchers ou guerriers) les formalités sanglantes  par lesquelles elle se perpétue. 

L'espérance messianique ("Le loup dormira avec l'agneau") se trouve ici ironiquement contrefaite : "Que toutes les bêtes crèvent en paix" (Ruhig soll alles Getier krepierren).

Non moins carnivores que leurs ennemis, les chacals n'attendent que le moment de dévorer les charognes qu'ils leur auront abandonnées.

Chacals et Arabes n'est pas l'énoncé d'une position politique, mais l'exposé d'une mauvaise foi devant le politique.

Et si le conflit était interminable parce qu'intestin ? 

(...)

La complication du récit procède en partie de son agencement narratif.

Entre Chacals et Arabes, le voyageur est le pivot du tourniquet interprétatif.

(...)

Le récit entier semble obéir à la logique d'un rêve, dans lequel (d) la réalité se trouve engendrée par les signifiants. 

Ainsi les chacals étaient-ils apparus d'abord "sveltes et agiles", "mus par une loi, comme sous un fouet" (...) avant que le fouet bien réel de l'Arabe ne les menace, comme appelé par l'image;

de même le voyageur décrit-il un Arabe "haut" (hoch) de taille, avant que le chacal ne fustige l'arrogance (Hochmut) de ses congénères;

le vieux chacal use d'ailleurs lui-même de ces mots d'esprit par où l'inconscient fait effraction, quand il associe le creux (Höle) des aisselles arabes à la pestilence de l'enfer (Hölle).

(...)

Si le diagnostic du voyageur coïncide avec la "doctrine ancienne" des chacals, ne serait-ce pas que ces derniers se contentent de donner forme à ses songes confus ?

Le voilà bientôt cloué au sol par leurs crocs, condamné à les écouter, comme en un rituel sadomasochiste où la contrainte exempte le dominé de l'obligation de consentir

- le fait d'être "fixé par la morsure" (festgebissen) le dispensant de remords (4). 

Du reste, il ne demande au chacal que de "parler moins fort", comme s'il jouissait honteusement de prêter l'oreille à ses obscénités meurtrières;

quant à ses objections ("ils se défendront"; ils vous abattrons", lancées d'un "ton plus sauvage" (5) qu' "[il] n'aurait voulu", 

il semble ne les avancer que dans l'espoir de leur réfutation.

Ce sentiment de parenté avec les charognards se traduit à la fin par le geste étrangement protecteur du voyageur,

retenant le bras de l'Arabe sur le point de fouetter. 

(...)

Chacals et Arabes est le récit d'une contamination (e) :

comment un voyageur qui se croyait dans bagages se trouve pris, sinon piégé, touché, sinon atteint par ses visiteurs du soir.

Les agrammaticalités (6), le flottement des références spatiales, sont autant de signes d'un vacillement des distances et de l'impossibilité de trouver sa place : ce désert nocturne est un terrain vague où se brouillent les délimitations entre le moi et l'autre.

Les bêtes arrivent par derrière, et forment bientôt un cercle autour de lui 

- tandis qu'il "oublie" de rallumer le feu qui doit les éloigner, 

comme s'il était à son insu en attente de cette promiscuité.

De fait, le discours des chacals produit comme une chaleur régressive et narcissique : la meute vient lui faire croire qu'il est 

le Sauveur attendu, le Seigneur (Herr) qui doit purifier le pays. 

Significativement, c'est au moment où il risque de se retrouver grisé par son ascendant messianique qu'il s'avise qu'une "odeur âcre" insupportable "s'exhalait de leurs gueules ouvertes": 

il pourrait dire, parodiant Diderot :"Mes pensées sont mes chacals".

Écrire, jouer avec ses pensées chacales, en espérant les dominer, parce qu'elles ont mauvaise haleine. 

Les pensees chacals dint celles qui veulent la mort de "l'Arabe", en tous les sens du terme. (f)

Comme si Kafka avait corrigé d'avance la célèbre formule de Lévi-Strauss :

"Le barbare n'est pas tant celui qui "croit à la barbarie"

- qui douterait que la barbarie existe ? -,

que celui qui, incapable de l'identifier en soi-même, l'hypostasie dans l'ennemi, 

archaïsme politique et arriération morale dont le texte consigne la permanence dans cette paire de ciseaux "couverts de vieille rouille" que les chacals rendent à leur sauveur putatif pour anéantir la source de l' "impureté".

Ce dérisoire glaive de justice qui fait des chacals un peuple d'enfants ou de demeurés (7), adeptes de la pensée magique,

renvoie, peut-être aussi, par dérision, à la plume de l'écrivain,

ersatz pathétique de messie, 

comment imaginer mettre fin au "conflit qui déchire le monde" (den Streit [...] der die Welt entzweit) quand onn é dispose soi-même que d'un outil de division ?  

Notes de Zard ;

(1) Dans le mns. du Cahier in-octavo, Kafka a biffé la phrase "jusqu'à ce que nous quittions le désert", relÈve justement C. Battegay.

(2) Au point de faire violence à la zoologie en négligeant suevles vrais chacals ne sont pas uniquement des charognards !

(3) Cf. Yalkut Shimoni (recueil de récits "aggadiques") ou les Likoutei-Torah de l'Admour Hazaken, disciple de Baal Chem Tov. 

(4) W. Sokel, op. cit., page 

(5) Qui se dit en allemand Gewissensbiss ("morsure de conscience")

(6) Traduction modifiée de wilder, pour mieux rendre la parenté qui s'y trahit entre le narrateur et les bêtes. 

(7) "Ein Araber [...] kam an mir vorüber", sorte de compromis impossible entre "vint vers moi" et "passa devant moi", signale R. ReuS, "Kafkas Sätze [28] : der Messias der Schakalen" (www.faz.net/-00o4j9). (...)

M. Voigt qui relève "einer kam von rückwärts" au lieu "von hinten" (peut-être un austriacisme ?)

ou "ich sass wieder aufrecht" (au lieu de "setzte mich...", Geburt und Teufelsdienst : Kafka als Schriftsteller und als Jude, Kö'ingshausen und Neumann, Würzburg, 2008, p. 41.

                                     •

Le voyage imaginaire de Kafka en "Palestine" Lecture de Chacals er Arabes, Philippe Zard, L'Herne, 2014.

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Choix, découpage, notes, E'M.C. 

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