Qu’est-ce qu’un poème, qu’est-ce qu’une traduction et qui est traducteur:
le procès d’une israélienne de Galilée révèle les aspects regrettables de la culture locale.
Dareen Tatour, 35 ans, de Reina, au Nord d’Israël a été accusée le 15 novembre 2015 d’incitation à la violence et soutien à une organisation terroriste
pour 3 contenus qu’elle avait postés sur Facebook et YouTube.
Selon l’acte d’accusation, une vidéo montre des hommes masqués lançant des pierres et des cocktails Molotov aux forces israéliennes.
En fond sonore on entend Dareen Tatour lisant un poème qu’elle avait écrit dont le titre en anglais est Resist My people, resist them.»
(...)
Le Bureau du Procureur de l’État interprète le troisième post, prétendument criminel, téléchargé cinq jours après.
C’était une photographie de Asra’a Abed, une femme arabe israélienne de 30 ans que le police blessa par balles après qu’elle ait agité un couteau devant des agents à la station de bus Afula en octobre 2015.
Dareen Tatour titra l’image: «Je suis la prochaine Shahid, ou Martyre. » (1)
Deux jours plus tard, la police arrêta Dareen Tatour.
(...)
En janvier 2016, Dareen Tatour fut libérée, affublée d’une surveillance électronique
et assignée à résidence
chez son frère
à Kiryat Ono (2)
démuni de connexion internet. (3)
Après des allègements successifs des termes de don assignation à résidence,
Dareen Tatour occupe un emploi à temps partiel de vendeuse,
mais toujours interdite d’internet.
Alina Hardak, la procureure consciencieuse a prouvé (4) dans une discussion d’arts poetica,
sans précédent dans un Palais de justice
que Dareen Tatour n’est pas une vraie poétesse.
Hardak insista, sept heures, pour que soit résolue l’énigme de théorie poétique:
Qui est poète ?
•
Acte premier:
- Qui est poète ?
• Témoin Prof. Nissim Calderon qui enseigne la poésie hébraïque et publie un magazine de poésie.
Contre-interrogatoire: environ deux heures.
• Procureure: Vous commencez en supposant que l’accusée est une poétesse.
• Témoin: Oui.
• P. Vous affirmez que vous ne vous connaissiez pas auparavant.
• T: J’ai lu l’acte d’accusation, et il y est écrit un poème, et la personne qui écrit un poème est un poète.
• P. Qui définit ce qu’est un poème ?
• Il n’existe pas d’organisme officiel. ... Ce qu’un poète définit comme un poème est un poème.
(...)
La procureure creuse les différences entre la prise, la poésie, la figure de style, la poésie sérieuse et l’imitation.
Elle est apparemment en désaccord avec des générations de colosses.
Dareen Tatour n’est pas une poétesse, même si cela n’est pas son premier poème en arabe et contient la rythmique et les courtes lignes qui se répètent.
Si elle est une poétesse,
le procès est une farce;
dans une démocratie,
les poètes ne sont pas jugés
et coupés du monde
pendant un an et demi.
(...)
La procureure commence à réaliser qu’elle est en train de débattre avec un universitaire de gauche.
Elle se crispe quand l’expert explique que le poème a été écrit dans le genre habituel de la poésie nationale palestinienne,
qu’il en existe des milliers comme celui-là
et qu’ils ont des similitudes
avec toutes les traditions
de poésies nationales,
dont le sionisme.
Quand le témoin dit qu’il n’eciste pas d’organisme officiel pour déterminer ce qu’est un poème,
la procureure parvient à prouver que la cour écoute un gauchiste déguisé en témoin objectif.
Elle cite un événement auquel le témoin participa, à Tél Aviv
«Poésie dans l’ombre de la terreur».
(...)
Maintenant l’infatigable procureure
doit prouver que
«Shahid»
signifie «terroriste»
Elle demande à son traducteur de venir à la barre.
Le témoin est un vieux monsieur qui a passé 30 ans dans la police de Nazareth.
Pour la première fois de sa vie on lui demande de traduire un texte littéraire en hébreu.
Lorsque sa traduction a été soumise à la Cour, il s’était excusé des lacunes et des omissions.
Beaucoup se perdit dans la traduction.
Et
Shahid ?
Il est resté coincé entre les deux
entre l’arabe et l’hébreu.
«Shahid» c’est « shahid»
•
Pour l’accusation c’est suffisant
puisque dans la culture hébraïque
un shahid c’est un terroriste.
•
Mais le témoin suivant, un expert en traduction pour la défense, énumère les différentes définitions de Shahid:
un martyr, une personne qui tombe au combat, une victime. (*)
(...) la procureure réalise une fois encore que le témoin qu’elle a devant ses yeux est un témoin qui n’est pas objectif et qui a des opinions gauchistes. (*)
Apparemment,
il est important
que chaque mot arabe
n’ait qu’un seul sens
en hébreu,
même s’il est sorti
de son contexte sémantique.
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Notes d’E’M.C.
(*) Le sens axial du mot Shahid - Chahid - شهيد est Témoin - d’où s’éploie en acceptions circulaires: Chahada - Profession de Foi - Témoignage - Machhoud, intangiblement Vu - Etc.
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9 août 2017, Yehouda Senhav, pour Haaretz,
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• Palestine, mon pays: l’affaire du poème, Editions de Minuit, 1988. Voir, notre billet, MDP.
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Choix, découpage, notes, biblio, chapô, E’M.C.