En 2011, à l'aéroport de Tel-Aviv, j'attends un vol pour Londres.
L'inspection de sécurité se prolonge, les passagers s'impatientent.
Je suis, comme tout le monde, gagné par la lassitude lorsque, soudain, mon regard est attiré par une femme assise sur un banc à proximité des comptoirs; sa tête, mais non pas le visage est enveloppé dans un foulard traditionnel,
(délibérément qualifié de "voile" par les médias occidentaux).
Elle est encadrée par deux agents israéliens qui l'ont fait sortir de la file.
On devine vite qu'il s'agit d'une Israélienne "non juive".
Autour de moi, les Judéo-Israéliens semblent ne pas la voir, comme si elle était transparente : scène routinière lors de l'embarquement en Israël.
Les Palestino-Israéliens sont toujours séparés du reste des passagers et ils ont droit à un interrogatoire et une inspection spécifiques.
La justification donnée comme allant de soi est la menace d'un attentat terroriste.
Ques les Arabes d'Israël n'aient pas été entraîné dans les attentats et que le terrorisme ait diminué dans les dans les dernières années n'a pas atténué la nervosité de la surveillance : dans l'État des immigrants juifs, les Palestiniens d'origine demeurent des suspects perpétuellement contrôlés.
Je me sentais mal à l'aise et esquissai à son intention un geste d'impuissance.
Elle me dévisagea un moment dans un silence interrogatif.
Son regard ne correspondait pas à la description faite par mon père, mais il disait aussi la tristesse de l'offense et la crainte.
Elle me sourit et me rendit une expression de fatalisme.
Quelques minutes plus tard, je franchis le comptoir sans la moindre difficulté.
J'en eus presque honte et n'osai pas tourner la tête dans sa direction : je compense en écrivant ces lignes.
Cette rencontre fugace me l'a confirmé, en Israël, être "Juif", c'est avant tout ne pas être arabe.
Depuis la fondation de l'État d'Israël, la laïcisation sioniste a dû se confronter à une interrogation de base à laquelle ni elle-même ni ses partisans à l'étranger n'ont à ce jour répondu:
qui est juif ?
Comment j'ai cessé d'être Juif, Shlomo Sand, Flammarion, 2013, pour l'édition originale; 2015 pour la présente édition.
•
Shlomo Sand est professeur d'histoire contemporaine à l'université de Tel-Aviv et à l'EHESS.
•
Le choix de cette série de textes sourcés, lus, croisés et enrichis, s'inscrit dans le cadre d'un travail de recherche pluridisciplaire portant particulièrement sur les acceptions, leur teneur, leur historique, la courbe de leur mes-emploi, au feu du factuel et des visées, dans une optique pédagogique, en espérant remédier à leur instrumentalisation politicienne.
Choix découpage note, bibliographie, E'M.C.