Le judaïsme talmudique ne se posait pas ce genre de question.
À la différence de la Bible, qui le caractérisait comme celui qui croit en Dieu, le Juif est toujours resté celui qui est né de mère juive ou qui s'est converti selon la loi, et qui accomplit les préceptes essentiels.
Aux temps où l'athéisme n'existait pas, lorsque quelqu'un abandonnait le judaïsme (et beaucoup étaient dans ce cas) pour adhérer à une autre croyance, il cessait d'être juif aux yeux de la communauté.
Avec l'avènement de la laïcité, un juif cessant d'accomplir les devoirs religieux sans opter pour une autre croyance suscitait la désolation des siens mais continuait d'être considéré comme juif car l'espoir subsistait, dès lors qu'il n'était pas devenu chrétien ou musulman, qu'un jour il reviendrait dans le giron de la foi.
Durant les premières années de l'existence de l'État d'Israël, lorsque les vagues d'immigration amenaient leur lot de "couples mixtes", le sionisme a été tenté de gommer le problème, mais comprit très vite qu'il ne pouvait pas faire reposer la définition du juif sur le principe du volontariat.
Par la "loi du retour" le nouvel État accorda automatiquement la possibilité d'immigrer et d'obtenir la citoyenneté à tous ceux qu'il définissait comme juifs.
Une telle ouverture des portes risquait de brouiller la légitimité et ethno-religieuse de la colonisation sur laquelle le sionisme laïc s'était appuyé.
Le sionisme à avait de plus défini les juifs comme un "peuple" d'origine unique, ce qui, comme le judaïsme avant lui, lui faisait redouter une "assimilation" des juifs avec les peuples voisins.
Dans l'État laïc en voie d'être créé, le mariage civil fut donc interdit, seules furent consacrées les unions religieuses.
Un juif ne peut qu'épouser une juive, le musulman ne pourra épouser qu'une musulmane, et cette loi durement ségrégative s'applique aussi aux chrétiens et aux druzes.
Un couple juif sans enfant ne peut adopter un enfant "non juif"(musulman ou chrétien) qu'en le convertissant au judaisme selon la loi rabbinique; l'hypothèse d'adoption d'un enfant d'origine juive par un couple musulman n'est pas envisageable.
Contrairement à une idée répandue, la pérennisation de cette loi pseudo-religieuse et anti-libérale n'est pas due à la puissance électorale des religieux mais résulte des incertitudes concernant l'identité nationale laïque et la volonté de préserver un ethnocentrisme juif.
Israël n'a jamais fait figure de théocratie rabbinique, depuis sa naissance, il est et demeure une ethnocratie sioniste.
Cette ethnocratie a toujours dû répondre à un problème cardinal : elle se dit "État juif", ou encore "État du peuple juif", du monde entier, mais elle n'est pas à même de définir qui est juif.
Les tentatives effectuées dans les années 1950 d'identifier le juif grâce à l'empreinte digitale, tout comme les expériences récentes visant à distinguer un ADN juif, ont toutes tourné court.
Certains savants sionistes en Israël et à l'étranger ont beau proclamer l'existence d'une "pureté génétique" que les juifs auraient préservée au cours des générations, ils n'ont cependant toujours pas réussi à caractériser un juif selon un prototype d'ADN.
Des critères culturels ou linguistiques ne pouvaient être retenus : leurs descendants n'ont jamais partagé une langue ni une culture commune.
Seuls les critères religieux restaient à la disposition des législateurs laïcs:
celui qui est né de mère juive ou s'est converti selon la loi et la règle religieuse est reconnu par l'État d'Israël comme juif, propriétaire exclusif et éternel de l'État et du territoire administré par celui-ci.
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Comment j'ai cessé d'être juif, Shlomo Sand, Flammarion, 2013, 2015.
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choix, découpage, E'M.C.