AVANT PROPOS DE L'ÉDITEUR
La réaction indignée qu'a provoqué, en Israël et dans une partie de la Diaspora, la publication du poème de Mahmoud Darwich, " Passants parmi des paroles passagères " - traduit ici par cet autre poète qu'est Abdellatif Laâbi -, est doublement contestable.
Elle transgresse d'abord le droit fondamental qu'a tout écrivain d'être lu dans son authenticité et non dans les interprétations qu'en donnent des traductions orientées.
Mais elle met surtout en cause la liberté pour les Palestiniens de revendiquer la Palestine pour patrie.
Jérôme Lindon, Éditeur.
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PASSANT PARMI DES PAROLES PASSAGÈRES
1.
Vous qui passez parmi les paroles passagères
portez vos noms et partez
Retirez vos heures de notre temps, partez
Extorquez ce que vous voulez
du bleu du ciel et du sable de la mémoire
Prenez les photos que vous voulez, pour savoir
que vous ne saurez pas
comment les pierres de notre terre
bâtissent le toit du ciel
2.
Vous qui passez parmi les paroles passagères
Vous fournissez l'épée, nous fournissons le sang
Vous fournissez l'acier et le feu, nous fournissons la chair
Vous fournissez un autre char, nous fournissons les pierres
Vous fournissez la bombe lacrymogène, nous fournissons la pluie
Mais le ciel et l'air
sont les mêmes ppur vous et pour nous
Alors prenez votre lot de notre sang et partez
allez dîner, festoyer et danser, puis partez
À nous de garder les roses des martyrs
à nous de vivre comme nous le voulons
3.
Vous qui passez parmi les paroles passagères
comme la poussière amère, passez où vous voulez
mais ne passez pas parmi nous comme les insectes volants
Nous avons à faire dans notre terre
nous avons à cultiver le blé
à l'abreuver de la rosèe de nos corps
Nous avons ce qui ne vous agrée pas ici
pierres et perdrix
Alors, portez le passé, si vous le voulez
au marché des antiquités
et restituez le squelette à la huppe
sur un plateau de porcelaine
Nous avons ce qui ne vous agrée pas
nous avons l'avenir
et nous avons à faire dans notre pays
4.
Vous qui passez parmi les paroles passagères
entassez vos illusions dans une fosse abandonnée et partez
rendez les aiguilles du temps à la légitimité du veau d'or
ou au battement musical du revolver
Nous avons ce qui ne vous agrée pas ici, partez
Nous avons ce qui n'est pas en vous :
une patrie qui saigne, un peuple qui saigne
une patrie utile à l'oubli et au souvenir
5.
Vous qui passez parmi les paroles passagères
il est temps que vous partiez
et que vous nous fixiez où bon vous semble
mais ne vous fixez pas parmi nous
Il est temps que vous partiez
que vous mouriez où bon vous semble
mais ne mourez pas parmi nous
Nous avons à faire dans notre terre
ici, nous avons le passé
la voix inaugurale de la vie
et nous y avons le présent, le présent et l'avenir
nous y avons l'ici-bas et l'au-delà
Alors, sortez de notre terre
de notre terre ferme, de notre mer
de notre blé, de notre sel, de notre blessure
de toute chose, sortez
des souvenirs de la mémoire
ô vous qui passez parmi les paroles passagères
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Quatrième de couverture
Le 28 avril, quatre mois après le déclenchement de la " Révolution des pierres" dans les territoires occupés, le premier ministre d'Israël, Ytzhak Shamir, monte à la tribune de la Knesset pour dénoncer ... un poème :
" L'expression exacte des objectifs recherchés par les bandes d'assassins organisés sous le paravent de l'OLP, déclare-t-il, vient d'être donné par l'un de leurs poètes, Mahmoud Darwich, soi-disant ministre de la culture de l'OLP et dont on se demande à quel titre il s'est fait une réputation de modéré...
J'aurais pu lire ce poème devant le Parlement, mais je ne veux pas lui accorder l'honneur de figurer dans les archives de la Knesset"
L'histoire de ce poème, "Passants parmi les paroles passagères", et du tollé qu'il a provoqué en Israël et dans la Diaspora doit être situé dans le cadre des rapports psychologiques existant entre l'Etat juif et le peuple palestinien.
Le livre que nous présentons comporte, en dehors du poème lui-même et de deux commentaires rédigés à son propos par Mahmoud Darwich, trois contributions d'auteurs juifs israéliens :
Simone Bitton fait l'historique de l'évènement et de ses lointaines origines;
Mati Peled se livre à une exégèse linguistique du poème;
Ouri Avnéri montre que cette affaire est aussi une illustration de l'arrogance dont tant de prétendus libéraux israéliens font preuve à l'encontre des Palestiniens.
In, Palestine mon pays - l'affaire du poème - avec la participation de Simone Bitton, Matitiahu Peled et Ouri Avnéri
(
Mahmoud Darwich, Editions de Minuit, 1988.
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Fonds archivistique, choix et découpage d'E'M.C.
La lecture de : Palestine mon pays, l'affaire du poème de Mahmoud Darwich, s'accompagnant de celle de : L'affaire des officiers algériens de Abdelkader Rahmani, Seuil, 1959, serait d'une salutaire éclaircie pour mesurer - dès après la fin de la 2ième Guerre mondiale - l'horrible gémellité du colonialisme franco-américain en Indochine, puis français en Algérie, puis en crescendo quadri-gémellaire ( USA-GBE-France-Israël ) au Moyen-Orient : Palestine-Liban-Irak-Syrie, au Maghreb : mise en chaos de la Libye, sournois encerclement de l'Algérie, sous narcose Onusienne, banditisme atlantiste et démonisme UPM, anagramme UMP, sitôt sionisé UMPS aux bons soins des vents d'inversion, du mildiou mémoriel et du chancre de conscience au tutorat des mythes les plus dévastateurs.
El'Mehdi Chaïbeddera