Il apparait de plus en plus qu'il est déjà trop tard; toute approche sérieuse d'une solution politique est cadenassée.
Israël s'y est habitué et est incapable de se délivrer de sa domination coloniale sur un autre peuple.
Le monde extérieur ne fait pas ve qu'il faudrait : ses remords et sa mauvaise conscience l'empêchent de convaincre Israël de se retirer sur les frontières qu'il avait obtenues en 1948.
Israël n'est pas non plus prêt à annexer officiellement les territoires conquis (1), car dans ce cas il devrait a une citoyenneté égale à la population occupée et par la même se transformer en État binational.
On dirait que le serpent mythologique qui a avalé sa proie préfère s'étouffer plutôt que de renoncer.
Pour autant dois-je moi aussi renoncer ?
Je vis dans une véritable contradiction : je me sens comme un exilé face à l'ethnocisation juive croissante qui nous enferme, mais je parle, j'écris et je rêve pour l'essentiel en hébreu.
À l'étranger, j'ai la nostalgie de cette langue, réceptacle de mes émotions et de mes pensées.
(...)
Pour dissiper cette nostalgie, je ne vais pas dans les synagogues, car on y prie dans une langue qui n'est pas la mienne; les gens qui s'y trouvent ne comprennent absolument pas ce que signifie pour moi l'israélité, et ils n'aspirent pas à la partager avec moi.
À Londres, ce sont les universités, avec leurs étudiants et étudiantes, et non pas les écoles talmudiques avec leurs étudiants (il n'y a pas d'étudiantes), qui me rappellent le campus où je travaille.
À New York, ce sont les cafés de Manhattan, et non pas les communautés de Brooklyn, qui me tendent les bras et m'attirent, vomme ceux de Tel-Aviv.
En pénétrant dans les inépuisables librairies parisiennes, c'est la Semaine du livre hébreu, organisée chaque anbée én Israël, qui me vient à l'esprit, et non pas la littérature sacrée de mes ancêtres.
Mon attachement profond à ce lieu ne fait qu'attiser le pessimisme que j'éprouve à son égard.
Ainsi, je plonge fréquemment dans une mélancolie qui se désole du présent et s'angoisse du futur.
Je suis fatigué, et je sens que les dernières feuilles de la raison tombent de notre arbre d'action politique, nous laissant à découvert face aux caprices des sorciers somnambules de la tribu.
Cependant, je ne suis pas un philosophe métaphysicien, juste un historien qui essaie de comparer, ainsi ne puis me permettre d'être complètement fataliste.
J'ose croire que si l'humanité a quitté le XXième siècle sans guerre atomique, tout est presque possible, même au Moyen-Orient.
(...)
C'est pourquoi, afin de hâter d'autres lendemains, et quoi qu'en disent mes détracteurs, je continuerai d'écrire des livres semblables à celui dont vous achevez la lecture.
•
Comment j'ai cessé d'être juif, Shlomo Sand, Flammarion 2013, 2015.
Choix, découpage, apostille, chapô, E'M.C.
Note : (1)
APOSTILLE À UNE ÉPITHÈTE
territoires "conquis", au lieu de territoires occupés, l'épithète que l'auteur emploie, ici, dématérialise, mine de rien, la violente actualité de la criminelle colonisation galopante, instillant, de surcroît, chez le lecteur, une grise impression d'assentiment résigné chez l'historien, par ailleurs gaillardement engagé, de sa plume pied de biche, à défossoyer des vérités ensevelies que tout homme d'honneur, non soumis au joug d'un consensus systémique, à le devoir de chercher, de pénétrer, de révéler à la sensiblité de ses semblables qu'horrifie l'hémiplégie émotionnelle et la nouure de conscience de qui, malade de besoin et de succès sordides, s'obstrue à son prochain, s'appétant de lui-même jusqu'au tournis identitaire.
E'M.C.