- Erster Punkt. Article premier. Parce qu'il faut que vous compreniez que je n'ai rien inventé. C'est Adolf Hitler, dit-on, qui a engendré le rêve de la race des seigneurs. Qui a conçu de réduire en esclavages les races inférieures.
Mensonge. Mensonge.
C'est à l'asile de nuit, la Männerheim, que j'ai compris pour la première fois.
Là. Dieu. Il y a bien longtemps de cela. Et les poux. Gros comme l'ongle du pouce.
1910, 1911. Quelle importance maintenant ?
C'est là que pour la première fois j'ai compris votre mystérieuse puissance. La mystérieuse puissance de votre doctrine. De la vôtre. Le peuple élu. Élu par Dieu pour être son peuple. La seule race choisie sur cette terre exaltée, singularisée au sein de la race humaine.
Ce fut Grill qui m'enseigna. Vous connaissez Grill ? Non. Vous ne savez rien de moi. Jahn Grill. Mais ce n'était pas mon nom. Écoutez-moi, il se faisait appeler Jahn, et se disait prêtre défroqué. Peut-être l'était-il. Entre autres choses. Mais son vrai nom était Jacob, Jacob Grill, fils de rabbin, de Pologne ou de Galicie.
Ou bien...Quelle importance ? Un des vôtres, à vous, des vôtres. (...)
Ce fut Grill qui m'enseigna, me montra les mots: le peuple élu. Le peuple de Dieu choisi d'entre les impurs, d'entre le tumulte des nations. Qui sera châtié pour son impureté, pour avoir pris pour femme une païenne, qui choisira ses esclaves parmi les goyim mais ne s'y mêlera pas.
Ma promesse à moi n'était que pour mille ans. "Pour l'éternité", disait Grill, voyez. C'est écrit ici, en lettres incandescentes. L'alliance avec les élus, le choix de cette race, das heilige Volk, choisie entre toutes.
Placée sous la loi d'airain. Circoncision et onction au front. Une seule loi, une seule race, un seul destin jusqu'à la fin des siècles des siècles.
"Et Jossué brûla Ai, pour n'en laisser qu'un tas de cendre à jamais, désolation encore de nos jours."
"Et Jossué depuis ce jour les employa à couper le bois et à puiser l'eau pour la communauté." Tous, hommes, felmes, enfants. Esclaves sous le joug d'Israël. Mais bien souvent, il ne restait plus personne à réduire en esclavage.
"Et ils détruisirent tout ce qui se trouvait dans la ville, hommes et femmes, jeunes et vieux, bœufs, moutons, mulets, par le fil de l'épée."
Vos livres saints. L'odeur du sang à chaque page !
Jacob Grill, l'ami Grill et Neumann, pour qui je peignais des cartes postales, ils puaient la merde.
Mais ils m'ont enseigné la doctrine qui dit qu'un peuple doit être élu pour que son destin s'accomplisse, et qu'aucun autre autre ne peut connaître la même gloire, qu'une nation véritable est un mystère, un corps unique voulu par Dieu, par l'histoire, par la pureté flamboyante de son sang.
Peu importe les racines du rêve. Mystère du désir et de l'élection.
Conquérir sa terre promise, abattre ou réduire en esclavage ceux qui se dressent sur cette voie, se proclamer éternel.
"Que les trompettes sonnent dans Sion. Que les chérubins du Tout-Puissant fassent tomber le feu et la peste sur nos ennemis."
On pouvait entendre les poux craquer sous l'ongle de Grill. Dieu ! Comme son haleine empestait. Mais il lisait dans le Livre. Votre Livre. Dont chaque lettre est sacrée et chaque parcelle de chaque lettre. C'est cela n'est-ce pas ?
Il lisait jusqu'à l'extinction des feux, puis psalmodiait d'une voix nasillarde, car il savait tout cela par cœur depuis l'école et à cause de son père, le rabbin.
"Ils rasèrent complètement la ville et tout ce qui s'y trouvait." En Samarie. Parce que les Samaritains ne lisaient pas les Écritures comme eux. Parce qu'ils avaient construit leur propre sanctuaire. En térébinthe. Au lieu de six coudées, ils en avaient mis cinq ou sept, ou Dieu sait quoi. Passés au fil de l'épée. Chaque homme, chaque femme, chaque enfant, le bétail et les chiens.
Non, pas les chiens. Ils font partie des choses impures qui sautillent ou rampent sur le sol, comme le Philistin, l'impur de Moab, les lépreux de Sidon. Massacrer une ville pour une idée, pour une affaire de mots. Ce fut vraiment une superbe invention, un moyen tout à fait sûr d'altérer l'âme humaine.
Votre invention. Un seul Israël, un seul Volk, un seul chef. Moïse, Jossué, l'ont du Seigneur, ce roi qui extermina des milliers, non des dizaines de milliers d'hommes puis dansa devant l'arche. Moi, c'était à Compiègne, n'est-ce pas ? Il paraît que j'y ai dansé. Oh, seulement quelques pas.
Quel orgueil vous tirez tous de cette ruse primordiale ! Qui que vous soyez où que vous soyez, couverts d'ulcères comme Job ou rongés de vermine comme cette liUe crasseuses de Neumann. Vous auriez dû nous voir tous les deux, essayant de vendre nos cartes postales comme des chiens affamés. Mais qu'est-ce que cela fait, n'est-ce pas, du moment que l'on appartient au peuple élu ? Du moment que l'on est un intime du Seigneur, au-dessus de tous les autres humains, choisi pour Ses colères et Son amour. Distingués entre tous par une alliance, une consécration à jamais établies.
C'est de Grill tous ces beaux discours. Jahn Jacob Grillschmuhl Grill ou quel que fût son nom graisseux, traînant dans l'escalier des relents de vieille pisse.
Même lui. L'apostat. Le rebut de Sion. Il restait parmi les élus, petite épine discrète au pied du Tout-Puissant.
"Écoute, disait-il, écoute, Adi", personne d'autre ne m'a jamais appelé ainsi, "tu penses que je suis celui que voient tes yeux, Grill le raté, le paumé de l'asile. Mais tu es aveugle. Vous êtes tous aveugle, vous, les goyim, car, Adi,,je suis l'un des soixante-douze élus, élus parmi les élus.,l'un des justes cachés, sur qui repose la terre. Et alors que tu ronfleras ce soir en avalant ta salive, écoute-moi bien, Adi, ici, dans cette baraque, ici même, cher aveugle, il se peut qye le Messie vienne à moi et me reconnaisse pour Sien."
Et il roulait des pupilles avec un petit rire, petit rire jaune et juif, qui me transperçait comme une lame. Mais j'ai appris.
De vous. Tout. Choisir une race. La préserver pure et sans tache. Placer devant ses yeux une terre promise. Purger cette terre de ses habitants ou bien les asservir.
Vos croyances, votre arrogance.
À Nuremberg les projecteurs. Ce rusé castor de Speer. Droit dans la nuit. Vous voys rappelez ?
La colonne de feu. Qui vous conduira au pays de Canaan. Et malheur aux Amorites, au Jébusites, aux Kénites, qui ne méritent pas le nom d'hommes car ils n'ont pas signé le pacte de l'alliance.
Mon "Surhomme" ? Un truc d'occasion. Les débris philosophiques de Rosenberg. On m'a chuchoté que lui en était aussi. Son nom.
Mon racisme ne fut que parodié du vôtre, qu'une avide imitation.
Qu'est-ce un Reich de mille ans comparé à l'éternelle Sion ?
Peut-être étais-je le faux Messie, le Précurseur.
Jugez-moi et c'est vous que vous jugerez.
Uebermenschen, vous, les élus !
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Le transport de A.H. Georges Steiner, Editions L'Âce d'Homme, 1 septembre 1971, chapitre dix-sept, pages 257, 258, 259, 240, 241.
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Quelques phrases-clés de l'auteur sur le plateau d'Apostrophe :
Le livre (Steiner, essayiste brillant n'est jamais à l'aise dans le roman.)
"Il y a certains tournants dans les possibilités de la terreur"
"Je plaide coupable d'une arrogance raciale immense.
"Durant deux millénaires ce peuple était trop faible. On n'arrivait pas à maltraiter les autres.
Et dénonçant, dans Le Transport de A.H. la part d'Hitler en nous-mêmes.
"Sans l'Holocauste l'État d'Israël n'aurait pas eu lieu."
Il y a des réfugiés qui sont des réfugiés parce que nous habitons dans leurs maisons", ce qu'il qualifie de " désastre"de "disgrâce" de "chute"
En Amazonie, le (reste) de " paradis que nous sommes en train de décimer méthodiquement où l'indien (qui n'a participé à aucun holocauste) est victime d'un autre holocauste (technologique de prédation domaniale) que nous faisons subir au monde, à la nature."
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Les mises entre parenthèses étant de notre fait (E'M.C.)
Choix, chapô, découpage, liens, extraits d'Apostrophe, autres interviews, E'M.C.