La colonisation engagée par le sionisme revêt un caractère atypique, même si la domination britannique dans la région a permis sa concrétisation historique.
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Cependant, sa réussite a été conditionnée par l'appropriation d'un territoire revendiqué sur lequel vivait déjà une autre communauté humaine.
De ce point de vue les conséquences pour les autochtones sur le long terme furent plus dures encore que les effets destructeurs du colonialisme classique (1) ce fait historique est difficile à accepter par les intellectuels israéliens, ceux de gauche en particulier.
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"Implantation" et "colonisation" sont supposés être synonymes; chacun de ces termes implique pourtant, en hébreu, un jugement de valeur différent qui détermine un discours particulier sur la reconstruction de l'histoire locale.
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Les producteurs de culture Israéliens, nourris des nombreuses mythologies linguistiques qui peuplent l'imaginaire historique sioniste, éprouvent encore des difficultés à s'exprimer en des termes "non agréés" de ce genre.
Est-il besoin de préciser que les mots ne sauraient être tenus pour plus scientifiques et qu'il est illusoire de les croire neutres ou représentant un "juste milieu" ?
La vérité, contrairement à l'idée répandue, ne se trouve jamais au milieu.
Elle réside toujours là où on l'attend le moins, et on ne doit jamais cesser de s'efforcer de la découvrir.
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Durant les années vingt, la majorité des hommes de la planète, y compris les Juifs, les sionistes et même les hébraïsants, appelaient l'endroit en question "Palästina", "Palestine" ou "Phalestin" (2) - d'autant que la grande majorité de la population qui l'occupait en 1924 était composée d'Arabes palestiniens ett non pas "d'enfants d'Israël".
L'émeute sanglante de 1929, si terrible et cruelle qu'elle ait été, n'a pas constitué la réédition d'un pogrom du type de ceux perpétrés en Europe orientale, mais bien l'une des premières phases du conflit durable et meurtrier qui s'est engagé autour du processus de changement démographique sur ce territoire.
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Il reste à s'interroger pour comprendre dans quelle mesure les divers éléments linguistiques sont des pierres d'achoppement pour la normalisation de nos rapports à l'histoire locale, pour le souvenir des autres et pour l'identité collective israélienne en transformation rapide.
Le changement des mots en soi ne suffira pas; il est nécessaire de changer la politique et la culture politique sous-jacentes.
Cependant, l'effort de questionnement de la langue pour l'empêcher de se penser d'elle-même, sans contrôle, à travers nous-mêmes devrait être l'une des missions prioritaires des intellectuels.
Non seulement parce qu'ils "pensent" comme tout un chacun, mais aussi parce qu'ils vivent, et plutôtsur bien, de la pensée.
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(1): Marc Ferro a suivi une démarche proche dans son livre Comment on raconte l'histoire aux enfants à travers le monde entier, Paris, Payot, 1983.
(2): Falestîne : فلسطين
Les mots et la terre Les intellectuels en Israël, Shlomo Sand, Flammarion, 2010.
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Choix, découpage, note (2), E'M.C.