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Billet de blog 18 septembre 2016

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LE TRANSPORT DE A.H. (3)

Transporteur d'un virus éveillable, l'auto-déicide rebut d'insupérabilité, le juste morguant à son cas, à l'accroc de Clio, à son aventureuse infestation, A.H. L'ampèreheure à son inouïe batterie de suffisance, l'empereur, le coulissier de civilisation, payant tribut de barbarie à la dévoration d'un progrès dévastateur, révèle, en nous, les sourdes possibilités de l'enfer à fulgure au voisin. EMC

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La question que soulève l'accusé, articula Asher d'une voix rauque...

- Ne m'interrompez pas. Je ne le tolérerai pas. Je suis vieux. Ma voix se fatigue. 

Messieurs, j'en appelle à votre sens de la justice, à ce sens de la justice que chacun vous reconnaît depuis toujours. Écoutez-moi jusqu'au bout. Voici mon troisième point :

Vous avez exagéré. Grossièrement. Hystériquement. Vous m'avez dépeint comme une sorte de fou démoniaque, la quintessence du mal, l'enfer incarné.

Alors  que je n'étais en vérité qu'un homme de mon temps. Oh, inspiré, je vous l'accorde, avec un certain - comment dire? - flair pour les plus grandes opportunités politiques. Manipulateur des foules, maître des états d'âme, peut-être, mais un homme de mon temps. 

Sans rien d'extraordinaire. Car, si j'avais été ce surprenant démon de vos fantasmes rhétoriques, comment des millions d'hommes et de femmes se fussent-ils reconnus en moi, eussent-ils fait de moi le miroir de leurs besoins et de leurs appétits ?

Ce fus, je n'en disconviens pas, une période sordide.

Mais ce sordide, je ne l'ai pas créé et je n'étais pas le pire. Loin de là. Combien de misérables petits êtres vos amis belges ont-ils tués raide ou abandonnés à la famine et à la syphilis quand ils ont pris le Congo? 

Répondez-moi, messieurs. 

Quelque chose comme vingt millions. 

Ce pique-nique menait bon train au moment de ma naissance.

Que furent Rotterdam ou Coventry comparés à Dresde ou Hiroshima ?

Je ne m'en sors pas trop mal dans ce vilain jeu de statistiques. 

Suis-je vraiment l'inventeur des camps ? 

Demandez donc aux Boers. Mais soyons sérieux. Qui a ébranlé les fondements du Reich ?

Dans quelles mains avez-vous jetés des millions, des dizaines de millions d'hommes et de femmes, de Prague à la Baltique ?

Les offrant comme une jatte de lait à un chat insatiable ? J'ai été l'homme d'une époque meurtrière, mais un bien petit personnage comparé à lui. 

Vous me prenez pour un menteur diabolique. Très bien. Ne me croyez pas. Choisissez-vous le témoin le plus saint, le plus irrécusable. L'écrivain sacré, le célèbre barbu venu de Russie et qui s'en est allé prêcher par le monde. Il y a bien longtemps de cela.Ma mémoire est défaillante.

L'homme de l'archipel.

Ah, ce mot me colle au cerveau.

Que disait-il donc ?

Que Staline avait assassiné trente millions d'hommes.

Qu'il avait poussé le génocide à son comble alors que je n'étais encore qu'un anonyme scribouillard à Munich. Mes hommes se sont servi de leurs poings et de leur fouet, je ne dirai pas le contraire.

Ce fut un temps de famine et de sang. Mais quand un type crachait le morceau, ils arrêtaient leur petit jeu. 

Les tortionnaires de Staline, eux, faisaient cela pour le plaisir. Déshonorant la conscience humaine, obtenant des confessions qui n'étaient que mensonges, insanités, obscénités.

Entendre la vérité les rendaient encore plus féroces.

Ce n'est pas moi qui affirme ces choses, ce sont les survivants de chez vous, vos historiens, le sage du Goulag. 

Qui, dites-moi,fut le plus grand fléau exterminateur, celui dont la soif sanguinaire fut la plus implacable?Staline ou moi-même ?

Ribentrop m'avait bien parlé du mépris que cet homme avait pour nous. Parce qu'il nous jugeait des amateurs accessibles à la pitié. La terreur que nous répandions n'était que fêtes villageoises à côté de ce qu'il faisait.

Nos camps n'étaient que quelques arpents ridicules.

Lui, il avait déroulé des barbelés et creusé ses fosses autour d'un continent. 

Combien ont survécu de ceux qui ont combattu à ses côtés, qui l'ont amené au pouvoir et ont exécuté ses ordres ? Aucun d'entre eux. Il les a tous broyé jusqu'à la moëlle.

À l'heure de ma chute, mes compagnons étaient bien vivants, gros et gras, déguerpissant vers la sécurité ou la récompense, et venant vous jouer les marioles avec leurs remords et leurs souvenirs.?

Combien de Juifs Staline a-t-il tués ?

Votre sauveteur, notre allié Staline. 

Répondez à cela. S'il n'était pas mort à temps, pas un seul d'entre vous ne serait encore en vie entre Berlin et Vladivostok.

Pourtant Staline est mort dans son lit et le monde a fait silence devant le repos du tigre. Alors que vous me pourchassez comme un chien enragé, me passez en jugement (de quel droit ? Avec quel mandat ?), me traîner à travers les marais, et m'enchaîner toutes les nuits. Moi qui ne suis qu'un vieillard dont la mémoire chavire.

Petit gibier, messieurs, et guère digne de vos talents.

Dans un monde qui torture les prisonniers politiques et arrose au napalm des indigènes à moitié nus, qui dépouille la terre de sa flore et de sa faune, qui a fait tout cela et continue sans aucune aide de ma part, bien longtemps après que moi-même "surgi de l'enfer" - grotesque et théâtrale expression - soit passé pour mort. 

                            •           •            •

Le transport de A.H. Georges Steiner, L'Âge d'Homme, 1971, pages 246, 247, 248, 249. 

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