At-Tuwani. Pour voyager en Cisjordanie, celui qui utiliserait une carte routière ordinaire s'exposerait à ee sérieux déboires.
Sur une telle carte (Israël/Sinaï au 1/400 000), le village d'at-Tuwani est a une dizaine de kilomètres au sud/est de Hébron.
"Normalement", on descendrait vers le sud par la grand-route menant vers Israël - vers Beersheva dans le Néguev - puis, par une transversale vers l'est, on arriverait à at-Tuwani, le tout en moins d'une demi-heure.
LA TANTALISATION ORDINAIRE
Mais les difficultés surgissent dès le départ : comme la grand-route est coupée dès la sortie d'Hébron, il faut partir plein ouest jusqu'au bourg de Dura, puis revenir à l'est pour parvenir à la grande agglomération de Yatta.
Ce long détour en S sur des routes défoncées permet d'admirer au paysage le camp de réfugiés d'Al Fawwar, terrible bidonville de tôle et de béton (...).
À Yatta on doit abandonner la voiture et prendre un taxi, pour continuer vers le sud, vers la frontière avec Israël, il faut un permis spécial que nous n'avons pas.
Petit à petit, la route se transforme en chemin terre où le taxi doit contourner ou franchir d'énormes bosses, restes de barrages établis par l'armée.
Après une demi-heure de cahots, nous butons sur une route militaire qui barre transversalement le paysage et nous sépare de la colline d'At-Tuwani.
D'une jeep en patrouille, des soldats nous ont vu arriver : ils quittent leur asphalte et viennent vers nous sur le chemin de terre.
Penfant un long moment, sous le soleil, ils fouillent le taxi de fond en comble et vérifient les papiers de mes compagnons (lesquels me disent que si je n'étais pas là, ces soldats se feraient probablement un plaisir de leur faire perdre la journée ou pire).
Finalement, le taxi peut rebrousser chemin vers Yatta et nous traversons la route militaire à pied en passant par une brèche dans un mur de béton haut de 80 cm, qui la borde à perte de vue.
Avant de nous engager sur le chemin de la colline, une apparition stupéfiante : un colon en short maillot fait son jogging sur le bas-côté avec une jeep de l'armée qui le suit pour assurer sa protection.
AT-TUWANI
At-Tiwani est un village de 150 habitants, très ancien (mille ans, nous dit-on).
Les maisons sont belles, ce qui est rare dans cette région : des cubes de grosses pierres à toit légèrement bombée, sorte de dômes aplatis comme on en voit au-dessus de bains turcs.
Certaines sont à demitroglodytes, enfouies dans la pente de la colline.
Dans l'une de ces maisons vit un petit groupe de filles d'une ONG nord-américaine, le Christian Peacemakers Teams - trois Américaines et une Canadienne qui racontent les difficultés du village.
Il n'est pas relié au réseau électrique, il a son propre générateur qui fonctionne quatre heures par jour.
Comme il n'a presque pas plu cette année, le point d'eau est à sec et il faut faire venir l'eau par camion-citerne.
L'hôpital le plus proche est à Yatta, mais quand route c'est coupée par l'armée, il faut s'y rendre à dos d'âne ou en tracteur à travers champs.
Le village a donc construit un dispensaire où un médecin de CARE assure une consultation par semaine.
Mais le bâtiment a été bâti sans permis de construire (que l'on n'obtient jamais de toute façon) et l'armée plusieurs fois menacé de le détruire.
Toutes ces misères ne seraient rien sans la présence toute proche de colonies israéliennes.
Sur la colline d'en face, on aperçoit à moins d'un kilomètre les toits de tuiles rouges de la colonie de Ma'on.
Plus près, dans un bouquet d'arbres, le poste avancé (outpost) de Havot Ma'on.
HYBRIS JUDAÏSTE
Les colons qui ont essaimé ici depuis la vieille ville de Hébron sont parmi les plus agressifs.
Ils attaquent les enfants sur le chemin de l'école et les bergers qui gardent les moutons, ils empoisonnent les bêtes, ils mettent le feu aux récoltes ou les confisquent, jettent des animaux morts dans les puits, s'attaquent aux maisons, détruisent les tracteurs.
Les filles du CPT sont souvent attaquées quand elles accompagnent les enfants à l'école et les bergers dans les champs.
Un groupe de députés de la Knesset, le comité de défense des droits des enfants, s'est ému en apprenant que des écoliers venant du village voisin de Tuba avaient été molestés par des colons.
En conséquence, les soldats ont reçu l'ordre d'escorter eux-mêmes les enfants, ce qu'ils font plus ou moins sérieusement -il faut les surveiller.
Plusieurs fois d'ailleurs les colons s'en sont pris aux soldats qui accompagnaient les enfants.
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Notes sur l'occupation, Éric Hazan.
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Choix, découpage, titres, E'M.C.