Ç'aura été une année relativement calme : seulement 477 Palestiniens tués et 10 israéliens - selon l'organisation Betselem - y compris ceux qui ont été tués par des roquettes Qassam.
Moins de morts que la plupart des années précédentes, mais une année terrible : 92 enfants palestiniens tués ( ...).
Un cinquième des victimes palestiniennes sont des enfants oû des adolescents - une proportion inouïe.
L'année 5767.
Près d'une centaine d'enfants qui jouaient encore à l'époque du nouvel an juif de l'annèe dernière n'auront pas atteint celui-ci.
Une année, presque 8000 kilomètres parcourus dans la petite Rover blindée du journal, sans compter les centaines de kilomètres parcourus dans une vieille Mercedes jaune, le taxi de Mounir et Saïd, nos dévoués chauffeurs de Gaza.
Nous avons vu comment l'occupation fêtait sans bruit des quarante ans d'existence.
Plus personne ne pourra prétendre qu'il s'agit d'un phénomène temporaire, réversible.
Israël, l'occupation, l'occupation, c'est Israël.
Nous sommes allés sur les traces des combattants, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, semaine après semaine, afin de rendre compte des agissements des soldats de Tsahal, des policiers gardes-frontières, des agents de Shabak qui procèdent aux interrogatoires et du personnel de l'Administration civile, cette grande et nombreuse armée d'occupation qui sème derrière elle mort et dévastation sans nom, cette année, comme toutes les autres, depuis quarante ans.
L'ANNÉE DES ENFANTS TUÉS
Cette année aura été l'année des enfants tués.
Nous n'avons pas pu rendre visite à toutes les familles, seulement à certaines.
Maisons endeuillées de parents qui pleurent leur enfant qui avait grimpé dans le figuier de la cour de sa maison, qui s'était assis sur un banc public, qui révisait son examen de fin d'études dans sa chambre, qui rentrait de l'école, ou qui croyait dormir en sécurité dans les bras de ses parents.
Une minorité d'entre eux a aussi jeté des pierres sur des jeeps blindées, ou touché une clôture interdite.
Sur chacun d'eux, on a ouvert le feu.
Des tirs parfois intentionnels et bien ajustés les ont fauchés à l'aube de leur vie.
De Mohamad (A-Zakh) à Mahmoud (Al-Krinawi), de l'enfant enterré deux fois à Gaza à l'enfant enterré en Israël dont nous avons parlé la semaine dernière, voilà les histoires des enfants de l'an 5767.
MOUHAMAD A-ZAKH L'ENFANT ENTERRÉ DEUX FOIS
Le premier d'entre eux a été enterré en deux fois.
Abdallah A-Zakh a identifié une moitié du corps son fils Mouhamad à la morgue de l'hôpital Shifa à Gaza, d'après la ceinture et les chaussettes qu'il portait.
Ça s'est passé un peu avant le nouvel an de l'année dernière.
Le lendemain, après que Tsahal a achevé "avec succès" l'opération" Jardin d'enfants fermé" - laissant derrière elle 22 morts et tout un quartier en ruines - et quitté Saajiyeh, un quartier de Gaza, le père endeuillé a trouvé le reste du corps de son fils et l'a emporté pour l'inhumer à son tour.
L'enfant avait 14 ans lorsqu'il est mort coupé en deux.
Il a été tué trois jours avant la rentrée des classes.
Voilà comment nous avons commencé l'année 5767.
À l'hôpital Shifa de Gaza, nous avons vu des enfants amputés des jambes, paralysés, sous respiration artificielle.
Des familles ont été tuées dans leur sommeil, alors qu'elles se déplaçaient à dos d'âne, pendant les travaux des champs.
" Jardin d'enfants fermé " et " Pluies d'été ", ça vous dit quelque chose ?
Cinq enfants ont été tués lors de cette opération dèmoniaque.
Il n'a jamais été aussi "triste de voir un jardin d'enfants fermé".
Pendant une semaine, les habitants de Saajiyeh ont vécu dans une terreur dont les habitants de Sdérot n'ont pas idée - avec tout le respect que j'ai pour leur angoisse.
L'ENFANT DAM EL AZ-HAMAD
Le lendemain du nouvel an, nous sommes allés à Rafah.
Dam El Az-Hamad, une jeune fille de 14 ans, avait été tuée dans son sommeil, alors qu'elle dormait auprès de sa mère, par un tir de roquette israélien qui a fait tomber une poutre de béton sur sa tête.
Elle était la fille unique de sa mère paralysée, son seul bien au monde.
Dans une maison d'une pauvreté inimaginable du quartier Brazil, à la lisière de Rafah, au bout du monde, couchée sur son lit.
Elle avait perdu ce qu'elle avait de plus cher au monde.
L'ESCAMOTAGE DE TF1
Sur le seuil de la maison, j'ai dit au journaliste de TF1 qui m'accompagnait que c'était l'un de ces moments où j'avais honte d'être Israélien.
Le lendemain, il m'a dit au téléphone : "On n'a pas diffusé ce que tu as dit par crainte des réactions des téléspectateurs juifs de France."
2 POISSONS POUR 13 L'AÏD
Peu de temps après, nous avons rendu visite, lors de la fêtre musulmane de l'Aïd Al-Fitr, à la famille Razal, du quartier Draj, au centre de Gaza, à une heure et demie de route de Tel-Avi.
Leur dénuement est total.
La grand-mère avait acheté deux poissons salés pour 10 shekels.
Son cadeau pour la fête.
Amani, la mère de famille, s'est fait prendre en photo avec son butin : deux malheureux poissons pour 13 personnes.
Il y avait un accompagnement : tomates et oignon frit.
Les enfants ont supplié en chœur pour avoir une boisson au sirop.
Bonnes fêtes.
MARIA AMAN
À Jérusalem, nous avons rendu visite à Maria Aman, la petite miraculée de Gaza dont presque toute la famille a été anéantie par un missile criminel qui visait peut-être "un homme recherché", mais qui a atteint toute une famille innocente qui roulait en voiture.
Hamdi, son père, passe son temps à son chevet.
Elle est soignée depuis un an et demi à l'extraordinaire hôpital Alyn de Jérusalem où elle a appris à nourrir un perroquet avec sa bouche et à actionner son fauteuil roulant avec son menton.
Le reste de son corps est paralysée.
Elle est reliée jour et nuit à un respirateur.
Bien qu'elle ait perdu sa mère et presque tous les membres de sa famille, c'est une fillette souriante et dorlotée dont le père redoute le jour où ils seront, à Dieu ne plaise, renvoyés à Gaza.
Pour l'instant, ils sont en Israël.
Un bon nombre d'Israélliens consacrent du temps à Maria et lui rendent visite régulièrement.
Voici quelques semaines, la présentatrice de la télévision Leah Lior l'a emmenée en voiture voir la mer à Tel-Aviv.
C'était un samedi soir, toute la ville ètait de sortie, mais la fillette en roulant a attiré l'attention.
Plusieurs personnes l'ont reconnue et se sont arrêtées pour lui dire un mot gentil.
Peut-être même que le pilote qui a tiré le missile fatal est passé par là, lui aussi.
Tout le monde n'a pas la chance d´être aussi Bien soigné que Maria.
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Au milieu du mois de novembre quelques jours après le bombardement de Beit Hanoun, ça vous dit quelque chose ? - nous nous sommes rendus dans cette bourgade martyrisée.
22 morts d'un coup, 11 bombes dévastatrices sur une bourgade surpeuplée.
Nous avons trouvé là Islam, une adolescente de 14 ans en état de choc, vêtue de noir, pleurant huit membres de sa famille, dont sa mère et sa grand-mère, tués impitoyablement.
Les victimes gravement mutilées de ce bombardement n'ont pas été conduites à l'hôpital Alyn.
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NAJWA KHALIF LA MAÎTRESSE D'ÉCOLE
Deux jours avant le bombardement de Beit Hanoun, nos forces avaient lancé un missile sur minibus qui transportait les enfants de l'école maternelle Indira Gandhi à Beit Lehiya.
Deux enfants qui passaient par là avaient été tués sur le coup.
Najwa Khalif, la maîtresse d'école, est morte quelques jours plus tard.
Elle avait été blessée sous les yeux des 20 bambins, les enfants de sa classe, qui étaient dans le minibus.
Après sa mort, les enfants ont dessiné leur maîtresse : un rang d'enfants ensanglantés étendus par terre, leur maîtresse en tête, et au-dessus, un avion israélien en train de les bombarder.
C'est à l'école maternelle Indira Gandhi, une maîtresse d'école de 35 ans à qui ses parents ont donné le nom de la dirigeante indienne, que nous avons dit au revoir à Gaza.
Nous n'avons pas réussi à retourner depuis.
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AYMAN AL-MAHDI
Mais les enfants sont arrivés chez nous.
En novembre, 31 enfants ont été tués dans la bande de ee Gaza.
L'un d'eux, Ayman Al-Mahdi, est mort à l'hopital Shiva de Tel-Hashomer où il avait été transporté dans un état critique.
Seul un de ses oncle avait été autorisé de rester auprès de lui les derniers jours.
Cet élève de CM2 était assis avec un copain sur un banc public dans une rue de Jabalyia, à coté de son école.
Une balle de mitraillette tirée depuis un char l'a atteint.
Mort à l'âge de 10 ans.
JAMIL JABAJI
Les soldats israéliens ont aussi tué des enfants en Cisjordanie.
Jamil Jabaji, jeune palefrenier du nouveau camp de réfugiés d'Askar, près de Naplouse, lui ont tiré une balle dans la tête.
Il est mort à l'âge de 14 ans en décembre dernier.
Avec ses amis il avait lancé des pierres sur la Jeep blindée qui passait près du camp.
Le chauffeur a provoqué les jeunes en ralentissant et accélérant tour à tour.
Finalement, un soldat est descendu du véhicule, a visé la tête et a tiré.
(...)
AVIR ARAMIN
Avir Aramin, 11 ans.
Elle était la fille d'un militant de l'Organisation des militants pour la paix.
En janvier dernier, elle était sortie de l'école d'Anata pour acheter des bonbons à l'épicerie.
Des gardes-frontières qui passaient en Jeep ont sorti une arme et l'ont tuée sur le coup.
les yeux rougis, Bassam, le père d'Avir, nous avait dit alors, d'une voix brisée :
"je me suis dit que je n'allais pas me venger.
La véritable vengeance sera que ce "héros" que ma fille a "mis en danger", qui lui a tiré dessus et l'a tuée, comparaisse en justice."
Justice ?
Dans tes rêves !
Il y a quelques jours, les autorités ont annoncé la clôture du dossier.
Les gardes-frontières ont respecté la procédure.
" Je ne vais pas me servir du sang de ma fille à des fins politiques.
Je veux rester un homme.
Je ne perdrai pas la tête parce que j'ai perdu mon coeur." nous a encore dit ce père en deuil qui a de nombreux amis israéliens.
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BOUCHRA BARJIS
Bouchra Barjis n'est même pas sortie de chez elle.
Fin avril, en début de soirée, elle révisait un examen de langue, son cahier à la main, en faisant les cent pas dans sa chambre, dans le camp de réfugiés de Jénine, quand le tireur d'élite a tiré sur elle, de loin, une balle au milieu du front.
Lettres de sang, des cahiers tachés sont l'ultime souvenir d'elle.
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Gaza -articles pour Haaretz, Gideon Levy.
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Choix, découpage, intertitres, Chapô, E'M.C.