Père, dis-moi
est-il vrai que tous les hommes, en tous lieux
ont du pain, des espoirs
et un hymne national ?
Pourquoi donc avons-nous si faim
et chantons-nous, tout bas, des poèmes tristes ?
Père ! nous allons bien, nous sommes en sécurité
dans le giron de la Croix Rouge
Lorsque les sacs de farine sont vidés
la lune devient un pain dans mes yeux
Pourquoi, père, as-tu troqué mes cris d'allégresse
contre des miettes, du fromage jaune
dans les boutiques de la Croix Rouge ?
O père, l'oliveraie nous protègera-t-elle s'il vient à pleuvoir
les arbres pourront-ils remplacer pour nous le feu
la clarté de la lune fera-t-elle fondre la glace
ou brûler les fantômes de la nuit ?
Je te pose mille questions
er dans tes yeux, j'observe un silence de pierre
réponds-moi père, es-tu mon père
ou suis-je devenu un enfant de la Croix Rouge ?
O mon père, les fleurs peuvent-elles pousser à l'ombre de la Croix
le rossignol peut-il chanter ?
pourquoi donc ont-ils dynamité ma petite maison
et pourquoi, Ô père, commences-tu à rêver de soleil
chaque fois que le crépuscule descend
et m'appelles-tu, m'appelles-tu souvent
alors que je rêve de gâteaux et de raisins
dans les boutiques de la Croix Rouge ?
Ils m'ont privé de mes balançoires
ils ont pétri mon pain dans la boue
traîné mes cils dans la poussière
ils m'ont pris mon cheval de bois
ils m'ont forcé à porter les fardeaux de mon père
et ceux des nuits interminables
Ah qui m'a fait brusquement éclater en rigoles de feu
qui m'a fait perdre la douceur des colombes
sous les drapeaux de la Croix Rouge ?
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in,
Rien qu'une autre année, Mahmoud Darwich - traduit de l'arabe par Abdellatif Laâbi - Minuit, juin 1984.
Textes originaux arabes, Mahmoud Darwich, 1966/1982.
Traduction française : Unesco 1983.
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Choix d'El'Mehdi Chaïbeddera