Il faut savoir que l'immense majorité veut aujourd'hui bannir toute critique, toute façon de penser différente, toute interprétation différente, toute contestation des raisons de cette guerre que je suis déjà fatigué de maudire.
Avec la guerre, avec toutes les guerres l'esprit du mal envahit le pays.
Un éditorialiste présumé civilisé qualifie la terrible fumée qui recouvre Gaza de " spectacle extraordinaire".
Le vice-ministre de la Défense voit dans les enterrements qui se succèdent à Gaza la preuve du "succès" israélien".
Le titre en gros caractères "blessés à Gaza" ne fait référence qu'à une poignée de soldats israéliens, ignorant honteusement les milliers de Palestiniens que les hôpitaux submergés ont peine à soulager.
Les commentateurs endoctrinés se gargarisent du succès imaginaire de notre incursion.
Les soldats endoctrinés vont allègrement au combat, détruire et tuer des milliers de leurs semblables, et peut-être, Dieu nous en garde, aussi les leurs.
Ils fauchent des femmes et des enfants, des familles entières.
Des images effroyables d'enfants qui agonisent à même le sol nous parviennent de l'hôpital Shifa.
Mais l'heure est au patriotisme.
Nous crions : Bravo ! Hourra !
Félicitations au pays qui fait ça.
Pleure, mon pays bien aimé.
Ce n'est pas mon patriotisme, même si, ici, c'est considéré comme le patriotisme suprême.
Face à la violence des réactions à la moindre critique, on peut se demander si les Israéliens ne sauraient pas, au fond, dans le secret de leur coeur insensible, que quelque chose de terrible couve sous leurs pieds.
La chape épaisse sous laquelle on les maintient, engourdis, abrutis, incapables de voir et de réfléchir, risque de se soulever.
Nous ne sommes peut-être pas autant dans notre bon droit qu'on nous le serine matin et soir.
Si les Israéliens étaient si sûrs d'être dans leur bon droit, pourquoi devraient-ils se montrer aussi intolérants et en colère dès que quelqu'un essaie de présenter les choses autrement ?
C'est le moment de faire des critiques.
Il n'en est pas de meilleur.
C'est le moment de poser les grandes questions, les questions vitales et essentielles, et non de se demander si telle ou telle initiative du gouvernement est bonne, ou si elle correspond bien au "programme".
Bon sang !
Il faut aussi se demander si tous ces programmes ont quoi que ce soit de bon, se demander si avoir engagé cette guerre est bon pour les Juifs, et bon pour Israël, est mérité de l'autre côté.
Il faut se rappeler que "les enfants du Sud" ne sont pas seulement les enfants de Sdérot.
Ce sont aussi ceux de Beit Hanon dont le sort, là-bas, est sans comparaison avec celui des nôtres.
Frémir de honte et de culpabilité à la vue des enfants de l'hôpital Shifa n'est pas trahir son pays, c'est de la simple humanité.
On peut s'intéresser à leur sort, se demander si leurs souffrances étaient inévitables, méritées, justes, morales et légitimes.
On peut se demander si on aurait pu faire autrement; s'il n'aurait pas été préférable d'employer un autre langage que celui de la violence et de la force démesurée, le seul que nous employons, le seul auquel nous excellons et dont nous sommes persuadés qu'il n'y en a pas d'autre.
C'est aussi le moment de s'interroger sur l'utilité et la logique de cette guerre, de s'inquiéter de la souffrance et du sang qui coule de l'autre côté de la frontière, de l'autre côté de toutes les frontières de l'humanité.
L'heure n'est pas au militarisme, aux uniformes et aux cris de guerres, c'est aussi le moment de faire preuve d'humanité et de compassion.
C'est le moment pour les médias de diffuser l'ensemble de la vérité, pas seulement la vérité unilatérale et orientée de notre propagande.
Aussi difficile que ce soit, c'est le moment de montrer au public une image complète des deux côtés de la frontière, sans rien atténuer, sans dissimuler l'horreur.
Les lecteurs, les spectateurs et les auditeurs feront ce qu'ils veulent de cette information.
Ils pourront se réjouir ou s'affliger, mais ils doivent savoir ce que l'on fait en leur nom.
Savoir est une obligation pour quiconque a des yeux, un cerveau et un coeur.
Celui qui fait appel à tous ses sens et toutes ses facultés à l'heure de l'épreuve n'est pas moins patriote que celui qui oublie sa conscience, anesthésie ses sens et se laisse endoctriner.
Pour un patriote, c'est aussi le moment de dire :
ça suffit !
•
Gaza - articles pour Haaretz, Gideon Levy.
•
Choix, découpage, chapô, parenthèse du premier syntagme du titre, E'M.C.