Au cours d'une passe d'armes avec des membres de la communauté juive américaine organisée, le romancier A.B. Yeoshua a prétendu que l'identité juive laïque n'aurait aucun sens en dehors d'Israël.
Mettant mal à l'aise son public de Washington, il a avancé que la judéité n'était pas pertinente dans la diaspora:
"Si la Chine devait devenir un jour la plus puissance superpuissance mondiale, les Juifs y émigrer afin de si assimiler, de préférence aux Etats-Unis...
En ce qui me concerne, il n'y a pas d'alternative...
Je ne peux pas, moi, conserver mon identité en dehors d'Israël.
Ce qu'il y a d'Israélien chez moi, c'est ma peau - ce n'est pas mes chemises"
a-t-il au Comité Juif américain
Certains délégués ont qualifié ses remarques de "d'impertinentes", de "folledingues", de "mauvais goût" ou encore "d'impolies."
Cependqnt cette algarade faisait bien plus sens encore que l'un et l'autre camp n'étaient vraisemblablement enclins à l'admettre...
Bien qu'étant enracinée dans une interprétation de l'identité juive qui n'a cours que depuis moins d'un siècle,
la conviction de Yehoshua est aujourd'hui la conviction dominante:
c'est la vision d'une identité juive qui est sous-jacente,
et c'est la seule qui doit en mesure d'expliquer l'existence d'un nationalisme juif.
C'est celle qui est partagée par pratiquement tous les Israéliens,
et admise tacitement par une majorité de Juifs de la diaspora,
même s'ils se rengorgent devant les conclusions abruptes de Yehoshua.
Le malaise que les Juifs de la diaspora manifeste devant cette conception typiquement israélienne de l'identité juive
découle pour partie
du fait que Yehoshua dévoile allègrement
le deux poids-deux mesures inhérent au sionisme:
Les sionistes revendiquent le droit,
pour les Juifs,
à réinventer leur identité
à l'ère de l'État nation,
tout en déniant le même droit à leurs voisins Palestiniens.
Les sioniste, à l'instar de Yehoshua, voudraient conserver entier le gâteau tout en y mordant à belles dents.
Jusqu'à l'avènement du sionisme, au début du vingtième siècle,
les Juifs, pour qui leur judaïté avait quelque importance
pensaient soit que leur identité était de nature strictement religieuse,
soit, s'ils étaient laïcs,
quelle était un indicateur signifiant de leur appartenance ethnique.
Autrement dit, les Juifs qui voulaient s'identifier en tant que tels étaient soit des Juifs pratiquant une religion appelée judaïsme,
soit des Juifs dans le sens qu'ils étaient convaincus d'appartenir à un groupe éthnique déterminé.
Mais voilà que le sionisme est venu ajouter une troisième catégorie d'identité juive aux deux précédentes.
Un Juif n'avait
désormais
plus de droit d'envisager le choix simplement en termes de soit - soit.
À savoir:
juif en tant que croyant à un Dieu juif
ou juif en tant que membre d'un groupe
ayant en commun un même héritage biologique.
En lieu et place,
un Juif pouvait désormais
s'identifier
en tant que membre d'une "nation"
dont ses droits découlaient
sans pouvoir pour autant être entièrement satisfaits
ni au niveau purement biologique,
ni au niveau purement métaphysique.
Pour les sionistes
(ou tout au moins pour la quasi totalité de ceux qui s'affirment tels de nos jours),
la judéité,
en tant qu'identité nationale,
devait aussi [surtout!] trouver sa réalisation au niveau territorial:
au minimum,
les juifs avaient besoin d'un État
où leur souveraineté serait susceptible de s'exercer.
Bien entendu,
aujourd'hui,
tous les sionistes
ne pensent pas qu'ils doivent vivre
personnellement
dans un État tel que celui-là
pour que la nation juive puisse exister.
À leurs yeux,
la nation juive
peut exister
indépendamment
de l'État juif.
Un grand nombre d'entre eux,
se contentant
de soutenir l'État juif
de loin,
choisissent de vivre
en Europe ou en Amérique...
À leurs yeux,
la nation juive
peut exister
indépendamment de
l'État juif.
Mais,
pour la plupart d'entre eux,
il ne s'agirait que d'une nation théorique
- d'un peuple.
s'ils n'existait un foyer national concret
où les droits nationaux juifs soient incarnés,
où les intérêts juifs puissent être affirmés
sur la scène mondiale
et où les juifs puissent
éventuellement
se réfugier,
en cas de pétard.
Telle est pour l'essentiel, l'opinion développée par Yehoshua.
Dès le début, la nouvelle variante de l'identité juive a toujours été un hybride quelque peu étrange.
Les sionistes pensaient nécessaire qu'un État juif existât pour que les Juifs fussent en mesure de s'identifier eux-mêmes en tant que nation.
Mais en même temps, les seuls critères à l'aune desquels juger de l'appartenance à cet État, étaient de nature religieuse ou éthnique, voire les deux en même temps.
(...)
Ainsi, afin de revendiquer son caractère de citoyen de l'Etat juif - afin, donc, de devenir israélien -
un juif (1) doit prouver
soit qu'il est un juif pratiquant,
soit qu'il a hérité de gènes juifs. (2)
Telle est la base légale
- la loi du Retour - adoptée en 1950 (3)
qui permet de déterminer
qui est éligible,
ou non,
à la nationalité israélienne...
Personne ne saurait dénier aux juifs leur droit à réinventer leur identité et à s'y complaire,
pour peu que la réalisation de cette identité revisitée soit légale et morale.
L'identité, par nature, est quelque chose de fluide.
Pour chacun d'entre nous, elle change, au fil du temps, sur les plans personnel, politique, social et culturel.
Mais, en même temps, dans l'intérêt de la cohérence et de la justice, les juifs ne devraient pas dénier à d'autres les droits qu'ils revendiquent pour eux-mêmes.
Ainsi, dans la pratique,quelle fut l'attitude des sionistes -
-Ces partisans d'un État juif destiné à une nation juive
- vis-à-vis d'autres groupes ethniques et religieux, distincts, qui réclament, eux aussi, un État pour eux.
Plus important encore:
quelle a été l'attitude des sionistes
vis-à-vis des revendications nationales
des habitants autochtones de la Palestine,
dont la plupart ont été chassés,
soit par la terreur,
soit par la force armée,
durant la guerre de 1848,
qui aboutit à la création de l'Etat juif ?
Aujourd'hui,
ces réfugiés et leurs descendants
- ainsi que ceux qui sont restés sur leur terre
et qui sont actuellement soumis à la loi israélienne,
tant à l'intérieur d'Israël,
que dans les territoires occupés de Cisjordanie
et de Gaza
sont plus de Huit millions.
L'immense majorité d'entre eux s'identifier en tant que Palestiniens,
c'est-à-dire en tant que membres d'une nation
dont le foyer national
était jadis connu
sous le nom de Palestine.
Tout au long de l'histoire d'Israël, les sionistes ont tenu à assigner une double identité ethnique et religieuse aux Palestiniens;
mais surtout pas (!)
une identité nationale.
c'est la raison pour laquelle
les Israéliens
font constamment référence
aux Palestiniens
en parlant d'"Arabes",
et non en tant que membres d'une nation.
Une des rebuffades les plus courantes
des Israéliens
voulant envoyer paître
les Palestiniens
affirmant leurs droits nationaux,
c'est :
"Mais pourquoi auriez-vous besoin
d'un énième pays?
Vous avez déjà vingt-deux pays arabes,
choisissez-en un,
et allez y vivre."
C'est tout particulièrement le cas
en ce qui concerne la minorité
des Un million de citoyens palestiniens d'Israël.
Ils ne sont pas autorisés à s'identifier en tant que Palestiniens,
contrairement au Italo-Américains qui, eux, sont autorisés,
- et même,
de fait,
encouragés,
- à s'identifier en tant que membres d'une communauté italienne vivant aux États-Unis.
Non.
Loin de là,
ils sont des "Arabes israéliens"
qu'ils le veuillent ou non,
[et l'immense majorité ne le veut pas! ndt].
Pour les juifs israéliens,
un Palestinien citoyen d'Israël
qui exige que son identité palestinienne
soit reconnue
soulève automatiquement
des suspicions quant à sa loyauté,
le présupposé étant
qu'on ne peut pas être à la fois
être Palestinien
et fidèle à Israël.
Bien sûr,
aucun juif n'accepterait
qu'on le soupçonne de loyauté duplice,
en ce qui le concerne personnellement.
Un juif américain,
fût-il sioniste,
dénoncerait comme antisémite,
toute suggestion
qu'il ne serait pas toujours
un citoyen américain loyal.
Par ailleurs,
les sionistes
ne sont que trop heureux
de concéder
aux Palestiniens
leur(s) identité(s) religieuse(s)
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Voici de quelle manière le tribalisme juif a pu devenir politiquement correct, Jonathan Cook, 4 juillet 2006, etc.
Voir Blood and Religion (déjà cité en bibliographie) Jonathan Cook.
(1) Pourquoi j'ai cessé d'être juif ? Shlomo Sand
Commuerait-on le "Pourquoi" en "Comment"?
(2) Les mots et la terre, Shlomo Sand (en lecture croisée,
et, en note E'M.C. convergence-s et divergence-s sur la loi-du retour,
(3) Ibid,
Point d'opposition de l'historien au "retour des réfugiés"
notamment la prégnante situation-notion de "tribu", Cook, E'M.C. (1991), commuée en "club" chez Shlomo.
Et autre-s points d'orgue différemment appréhendés.
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Choix, découpage, bibliographie indicative, notes, chapô, E'M.C.