La quête de l’harmonie, photographie et (re)cosmisation du monde.
La photographie peut et doit être conçue comme une quête de l’harmonie, et de communion et de communication avec le Ciel et la Terre, avec l’ensemble du Cosmos.
La photographie n’est pas un art du futile et de l’évanescent, ni une technique vaine et à l’utilité immédiate, uniquement propre aux selfies et aux photos aussitôt prises et postées sur les réseaux sociaux aussitôt oubliées. Bien au contraire, l’art photographique nous ramène constamment aux origines de notre vie et de notre conscience[1] et est une quête constante de l’harmonie et de recosmisation du monde[2].
En effet, notre monde occidental a depuis un certain temps perdu le lien avec la nature et le cosmos en général, j’entends par là que la recherche effrénée du profit et de l’utilité à court terme nous a fait perdre le sens de l’humain, de relations humaines fraternelles et véritables, fondée sur la solidarité et la collaboration d’égal à égal. L’homme s’est cru maître et possesseur de la nature et ne cesse de dégrader son environnement et d’attenter à la sauvegarde de la biodiversité, de même qu’il attente sans arrêt aux droits humains les plus fondamentaux.
Face à ce désastre annoncé, il importe de trouver des voies alternatives pour retrouver un dialogue avec le cosmos et l’humain en nous, et la pratique de la photographie peut être une de ces voies de traverse.
Ainsi, la photographie, et particulièrement la photographie de nature peut être un moyen de renouer le contact avec le monde qui nous entoure, un contact non toxique ou dégradant, un contact véritablement humain, empathique et fraternel.
Maître Morihei Ueshiba, le fondateur de l’Aïkido nous montre le chemin à suivre :
Il décrit en ces termes sa première expérience de satori, au printemps 1925, alors qu’il avait 41 ans
« Soudain, il me sembla que le ciel descendait. De la terre, surgit comme une fontaine une énergie dorée. Cette chaude énergie m’encercla et mon corps et mon esprit devinrent très légers et très clairs. Je pouvais même comprendre le chant des petits oiseaux autour de moi. A cet instant, je pouvais comprendre que le travail de toute ma vie dans le budo était réellement fondé sur l’amour divin et sur les lois de création. Je ne pus retenir mes larmes et pleurai sans retenue. Depuis ce jour, j’ai su que cette grande terre elle- même est ma maison et mon foyer. Le soleil, la lune et les étoiles m’appartiennent. Depuis ce jour, je n’ai plus jamais ressenti aucun attachement envers la propriété et les possessions. »
William Gleason, A la source spirituelle de l’aïkido, le kototama, Paris, Guy Trédaniel éditeur, p. 25.
En effet, c’est de ces sortes d’expériences, plus ou moins intenses suivant les personnes, que peut venir une prise de conscience de la nécessité d’une recosmisation du monde, d’une reprise de contact et d’échange, d’égal à égal avec l’ensemble du vivant, où l’homme ne se pense plus supérieur et maître de ce qui l’entoure, mais au contraire élément dans une longue chaîne de la vie. La photographie peut alors être conçue comme une école de modestie et d’humilité, en se mettant pleinement à l’écoute du vivant, de la plus petite herbe ou fourmi, jusqu’au plus profond des galaxies. Etre photographe, c’est être pleinement humain, ressentir de son cœur et dans son corps le miracle de la vie et le célébrer à chaque instant.
On pourrait dire de la photographie ce que dit William Gleason de l’aïkido :
« L’aïkido est l’expression par le corps de la fonction d’harmonie universelle. »
William Gleason, A la source spirituelle de l’aïkido, le kototama, Paris, Guy Trédaniel éditeur, p.28.
De fait, la photographie, comme je l’ai montré dans de précédents billets[3], partage certains points communs avec les arts martiaux et particulièrement avec l’aïkido, dans cette volonté de communication avec le cosmos et de quête d’harmonie :
« On traduit généralement le mot aïkido par « voie de l’harmonie ». « Do » signifie Tao- Voie ; « Ki » se traduit par « énergie spirituelle » et le sens le plus complet de « Aï » est « harmonie ». Connaître l’harmonie veut dire se fondre avec l’environnement, en transformant les difficultés en joie et les conflits en paix. Cette harmonie ne doit pas être simplement une belle idée ; elle peut et doit, par le développement d’un vrai pouvoir, devenir une réalité concrète. Au niveau de son accomplissement, « Aï » prend aussi la signification « d’amour » ou de « compassion ».
Morihei Ueshiba enseignait que l’amour et l’harmonie sont synonymes et qu’ils font partie du sens de l’aïkido. L’harmonie de la nature est source d’un pouvoir illimité, origine de toutes les énergies et de tous les pouvoirs. Il n’y pas d’amour sans pouvoir seulement le besoin d’accomplissement. La pratique de l’aïkido a pour but de permettre l’émergence de notre vraie nature en développant le pouvoir spirituel qui est notre héritage inné ».
William Gleason, A la source spirituelle de l’aïkido, le kototama, Paris, Guy Trédaniel éditeur, p.31.
La photographie, particulièrement de nature c’est aussi se fondre avec l’environnement, c’est une recherche spirituelle constante de liens avec le vivant, une quête d’harmonie et de paix de l’esprit, de communion avec le Grand Tout. Loin d’être une débauche de technologies ou d’effets de manche, loin de toute recherche du spectaculaire ou de sensations à tout prix, elle est avant tout, comme l’aïkido, une recherche et une aventure intérieure, une connexion avec le centre de soi- même et le cœur du monde :
« Celui qui pense que s’entraîner simplement de nombreuses heures lui apportera nécessairement une grande réussite, pense comme un enfant ; et cette idée le conduit à un problème insoluble. Car en aïkido, le progrès est proportionnel au niveau de découverte de notre pouvoir naturel, qui est un centre dynamique organique en soi- même. Ceci permet en effet au corps de fonctionner en harmonie comme un tout.
L’aïkido est un chemin où l’on rencontre son vrai soi, avec joie et émerveillement. Ce soi étrange, inconnu et caché, et son inépuisable potentiel reste non découvert pour beaucoup de personnes qui meurent sans même savoir qu’il existe. Notre corps et un produit de notre conscience ; découvrir ce qu’est ce produit demande un profond examen de soi. Ceci ne consiste pas à ajouter information sur information, détails sur détail, pouvoir sur pouvoir, etc. , de l’extérieur et sans fin, au trop qui est déjà là. »
William Gleason, A la source spirituelle de l’aïkido, le kototama, Paris, Guy Trédaniel éditeur, p.40.
En fin de compte, la photographie, comme les arts martiaux bien compris, est une école de sagesse, au bout de laquelle peut surgir, de temps en temps, l’illumination, bref moment de grâce qui aide à se sentir partie intégrante du cosmos et de l’humain :
« (…) l’aïkido possède des points communs avec le développement du « samadhi » dans le Zen. Chacune de ces disciplines demande au pratiquant de dépasser la pensée dualiste pour atteindre les fondements du « heijoshin » ou esprit du quotidien. Dans le cas du zen « le but initial de la méditation zen (zazen) est d’atteindre le samadhi, l’état de tranquillité totale, dans lequel le corps et le mental se relâchent ; la pensée non agitée, l’esprit est vide, mais en état de vigilance extrême. On appelle cet état samadhi absolu ou pure existence. Il contient le kensho ( le satori). Travailler le samadhi est un état de cessation d’activité habituelle de la conscience, l’esprit restant cependant actif et capable de se concentrer ».
L’aïkido nous aide à nous souvenir de notre état naturel. C’est une forme de samadhi dans lequel la recherche intuitive continue de fonctionner. Le pouvoir spirituel du hara manifeste spontanément les techniques, tout en harmonisant parfaitement le mouvement avec le partenaire. Il demande une grande foi ou une grande confiance en soi ».
William Gleason, A la source spirituelle de l’aïkido, le kototama, Paris, Guy Trédaniel éditeur, p.32-33.
Ainsi, on voit, par ce parallèle avec les arts martiaux, que la photographie peut bien être conçue comme une quête et une pratique de l’harmonie, qui aide à se reconnecter à l’ensemble du vivant et à l’humain en nous. La photographie est donc bien une alternative possible pour une recosmisation du monde.
[1] Cf notamment l’article suivant https://imagesetimageurs.com/2016/01/30/le-vide-et-le-blanc-contributions-a-une-theorie-generale-de-la-photographie/
[2] J’emprunte l’expression aux travaux du géographe et philosophe Augustin Berque, qui développe cette notion dans ces récents ouvrages, notamment Poétique de la Terre : Histoire naturelle et histoire humaine, essai de mésologie , Paris, Belin, 2014.
[3] Cf notamment https://imagesetimageurs.com/2015/12/21/vers-lharmonie-photographie-et-voie-de-larc/
https://imagesetimageurs.com/2016/08/09/de-limportance-du-souffle-en-photographie/