Billet de blog 30 mars 2022

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Adieu à la photographie, le Jeu de Paume fait son festival !

Une guerre, des élections, et les affaires continuent. Pas de photographie dans le festival du Jeu de Paume !

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Illustration 1
affiche du festival du Jeu de Paume

Une guerre, des élections, et les affaires continuent. Depuis quelques années de gouvernements successifs la Culture et son ministère sont devenus sujets de raillerie ou d'affliction. Alors pourquoi aujourd'hui parler du Jeu de Paume, bâtiment historique sis place de la Concorde au numéro 1 ? L'exposition qui vient de débuter sous le titre Fata morgana, sous-titre première édition du festival du Jeu de Paume, rassemble une multitude d'œuvres d'Art contemporain, ainsi qu'il est convenu de nommer ce qui plait à un monde en bande bien organisée. Pas de photographie dans ce festival !

En octobre 2002 le Ministre d'alors JJ Aillagon annonçait dédier le Jeu de Paume à la Photographie. Rien dans cette annonce, bien reçue dans le “milieu“ photographique, ne laissait transparaître ce qui avait motivé cette décision. Ce n'est que bien plus tard au cours d'un CA et à une lecture attentive des comptes qu'apparaissait le remboursement (apurement d'un passif) au fil du temps d'une dette laissée par la précédente direction de l'association qui gérait le JDP dédié alors à l'Art moderne.

Il a fallu attendre le printemps 2004 pour que s'ouvre le Jeu de Paume dédié à la Photographie et à l'Image. Son nouveau statut était provisoire, association de préfiguration d'un établissement public. L'association était constituée de la fusion de trois associations para-ministérielles, le Jeu de Paume (Art moderne), le CNP (Centre National de la Photographie) et Patrimoine Photographique. La fusion avait été votée par les AG de chaque association sous la très forte pression du ministère de tutelle de R Donnedieu de Vabres. C'est ce dernier qui désigna le président du Jeu de Paume, Alain Dominique Perrin connu comme déjà président de la Fondation Cartier et impliqué dans le mécénat, à la tête du groupe de luxe Richemont. L'image, terme fourre-tout, avait été ajoutée au cahier des charges. L'air du temps ne pouvait accepter la Photographie pour elle-même.

Si je me permets cet article, c'est que j'étais depuis 2000 président de Patrimoine Photographique, association créée par le Ministère de la Culture en 1981-82 pour gérer et acquérir des “donations“ de photographes à l'Etat – en échange d'une co-gestion des droits des donateurs-. Comme chacun des présidents des trois associations fondatrices, je devenais vice-président du Jeu de Paume. Posons d'emblée que dès le début mes relations avec le président furent tendues: il m'avait notamment écrit une lettre m'interdisant de m'exprimer dans la presse après que j'ai publié une interview dans BeauxArts magazine dans laquelle j'exprimais mon inquiétude sur la poursuite des missions de Patrimoine Photographique (qui organisait aussi des expositions à l'Hôtel de Sully).

Après le décès du Vice Président de l'ancien Jeu de Paume et la démission (retraite) de celui du CNP, je restais seul Vice-Président. Alain Dominique Perrin m'écrivit une lettre ainsi qu'à un autre administrateur pour nous signifier que nous n'étions plus membre de son Conseil d'Administration. Pourtant les premiers statuts donnait aux vice-présidents le titre de membre fondateur... Le motif invoqué était le nombre de chaises insuffisant dans la salle du conseil. Au CA suivant il fit “élire“ deux administrateurs de ses amis. Le Conseil était tout entier à sa main.
Depuis cette date, plusieurs modifications des statuts de l'Association Jeu de Paume sont intervenues. La dernière imposée par le Ministère pour parer au risque d'être accusé de « gestion de fait » par la Cour des Comptes, notamment. En effet le JDP occupe un bâtiment prestigieux à titre gratuit (pas de loyer), reste une association subventionnée par l'Etat et reçoit du mécénat en plus de ses recettes propres pour compléter son budget ; ceci déroge à toutes les règles de l'État.

Juste avant le confinement un nouveau directeur avait été nommé par le Conseil. Quentin Bajac avait été conservateur de la photographie au Musée d'Orsay puis au Centre Pompidou avant d'être pendant trois ans conservateur au MOMA de NY. Maintenant que ne Jeu de Paume est sorti des travaux et des confinements Quentin Bajac va pouvoir mettre sa patte sur la programmation du Jeu de Paume.

Le Festival du Jeu de Paume s'ouvre avec deux manifestations qui méritent d'être signalées. L'association des amis du JDP organise son “dîner annuel “ destiné à ses “bienfaiteurs “ . Pour y participer, pas de problème son tarif d'entrée est de 400€ par personne et un chef cuisinier étoilé habitué des médias officiera ce soir là. Le soir du vernissage de Fata Morgana se tenait en face du Jeu de Paume, à l'Hôtel de Talleyrand (bâtiment classé appartenant à l'Ambassade des USA), un cocktail organisé par le Jeu de Paume sponsorisé comme le Festival par le groupe Hermès.

Si le Jeu de Paume s'autorise un festival notoirement consacré exclusivement à l'Art contemporain sans aucune apparition d'œuvres de photographes c'est qu'il est devenu un acteur de premier plan de la marchandisation de la Culture. Alain Dominique Perrin ne s'en est jamais caché , il est un commerçant et un homme d'argent. Il exerce un pouvoir sans partage sur une fiction d'association dans laquelle les membres sont nommés par lui ou le Ministère et le Conseil d'administration est totalement à sa main. Les Assemblées générales obligatoires de part la loi de 1901 sont des simulacres dans lesquelles ADP cumule tous les pouvoirs sans limitations ; elles sont des caisses d'enregistrement des comptes auxquelles on daigne présenter une programmation déjà bouclée pour les années à venir.

Posons la question simplement : je m'indigne que le Jeu de Paume ait abandonné la Photographie pour se consacrer au produits du marché de l'Art. Depuis quelques années et particulièrement depuis 2017 les ministres de la Culture brillent par leur incurie, une transparence qui n'est que leur invisible existence. Le Jeu de Paume n'est qu'une institution livrée à la privatisation de la Culture. Il n'est pas dit que ce soit le vœux du public qui se pressait aux expositions de Photographie et oubliait de fréquenter l'étage réservé aux installations chères au Président et chères à monter -à l'étage. Depuis longtemps interdit de l'Hôtel de Sully, le Jeu de Paume peut exposer au château de Tours. Les directeurs peuvent ainsi y exposer ce qu'ils ne souhaitent pas montrer à Paris, prestige oblige..

À sa fondation, Patrimoine Photographique avait été annoncée comme garante de la pérennité de l'État assurant la sécurité dans un temps sans limite aux œuvres conservées et gérées. Le Jeu de Paume a rompu ce pacte et n'est plus que l'outil de la politique d'abandon au marché de la Culture.

Culture et néo-libéralisme ne font pas bon ménage, la Photographie que le Monde entier célèbre et chérie est méprisée par les institutions publiques de ce pays préférant mettre à la tête des lieux et évènements des hommes de main de cette politique. Devant la passivité complice des fonctionnaires du Ministère qui se réfugient dans un fatalisme « There is no alternative » il semble qu'une élection et une guerre ne suffit pas à les faire résister.

Post-scriptum : précision de dernière heure, c’est le groupe Kering (Pinault) qui sponsorise le festival…

Précision nécessaire : Si en 2004 l'administration du Ministère de la Culture avait fait pression sur les 3 associations pour qu'elles acceptent la fusion dans le Jeu de Paume, c'est avec l'argument que le statut d'association ne pouvait perdurer alors que ces associations vivaient uniquement de subventions. Le Jeu de Paume devait devenir un Établissement Public. Nous sommes en 2022 et le Jeu de Paume est resté association largement subventionnée (au moins 4,5 M€ pour un budget de 8M€). Il n'est plus question d'Établissement Public et l'association est  aux mains d'un lobby privé avec la complicité d'un Ministère aux ordres. GW le 1 avril 2022

Gilles Walusinski

dernier président de Patrimoine Photographique

et ex vice-président du Jeu de Paume

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