Pourquoi ne m'interroge-t-on que sur l'islam, les cités ou l'immigration, et pas sur l'affaire Clearstream ni sur les retraites? C'est la question que posée par Youssef Jebri, écrivain qui a décidé un jour de «devenir citoyen du pays qui (l)'a accueilli», la France.
-----------------

Après quelques années de résidence en France, j'ai sollicité et obtenu la nationalité française. De manière réfléchie, libre et volontaire, j'ai décidé de devenir citoyen du pays qui m'a accueilli et où j'ai toujours voulu vivre.
Je me suis installé en France en raison des valeurs que ce pays représente, affiche et revendique. Liberté, égalité, fraternité mais aussi parité, laïcité et démocratie ne sont pas, à mes yeux, de simples ou de vains mots ; ce sont mes idéaux. C'est donc avec un engouement non feint et une joie nullement dissimulée que j'ai échangé ma carte de séjour contre une pièce d'identité française qui me donne désormais le droit de voter et de participer au débat national.
Cependant, de nombreuses questions ont fait leur apparition. M'est-il effectivement permis d'avoir mon opinion sur la façon dont sont gérées les affaires de la nation ? Ai-je le droit de m'exprimer sur tous les sujets qui touchent au pays dont je suis un citoyen ?
Étant donné mon âge, trente-six ans, et mes origines maghrébines, je suis, aux yeux de la majorité des citoyens de ce pays, forcément né en France, de parents immigrés ; j'ai obligatoirement grandi dans une cité et, bien évidemment, je suis un musulman. Aussi bien, un évènement, un nouvel embrassement dans les quartiers, un attentat islamiste quelque part dans le monde ou une nouvelle controverse au sujet du Prophète ou des versets du Coran et l'on se jette sur moi pour connaître mon opinion.
En revanche, concernant les autres sujets, je n'existe pas. Nul ne sollicite mon avis à propos de l'affaire Clearstream, par exemple, ou le régime des retraites, la protection sociale, l'organisation des services publics, la réforme de l'université, la décentralisation, la politique économique du pays, la fiscalité, etc. Bien que je sois un membre de la communauté, je n'ai pas mon mot à dire au sujet de l'identité nationale.
Dès qu'il s'agit du dossier de l'improbable adhésion de la Turquie à l'Union européenne, de l'interminable conflit au Proche-Orient, de l'attitude à adopter vis-à-vis de l'Iran ou de la présence militaire française en Afghanistan, tout le monde s'écarte ; personne ne me prête attention. Ayant décrété, sans me consulter, que j'étais un musulman, certainement qu'ils doutent de mon objectivité et redoutent le parti pris. Si seulement ils savaient.
Au cours des discussions, mes interlocuteurs m'écoutent dès lors que nous échangeons des points de vue sur des sujets relatifs aux sans-papiers, à l'islam, aux banlieues et surtout que je condamne l'immigration clandestine, les djihadistes, le port de la burqa et la violence dans les cités. Dans ces moments là, je peux lire dans leurs yeux, un sincère : « Bel exemple d'intégration ! »
Toutefois, viscéralement attaché aux valeurs de la République, je refuse d'être un citoyen français effacé, condamné - pour ne point déranger - à me taire et à ne prendre la parole que lorsque, enfin, on daigne m'octroyer le droit de faire entendre ma voix.