Billet de blog 11 déc. 2009

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Le retour de l'ethnie française

La recherche d'une identité nationale et la volonté de mesurer la diversité sont les deux faces d'une même médaille, estiment Maryse Tripier et Véronique De Rudder, sociologues: celle qui vise à dessiner « les contours de l'ethnie majoritaire, celle des "Français" ».

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La recherche d'une identité nationale et la volonté de mesurer la diversité sont les deux faces d'une même médaille, estiment Maryse Tripier et Véronique De Rudder, sociologues: celle qui vise à dessiner « les contours de l'ethnie majoritaire, celle des "Français" ».

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Durant de nombreuses années, Yazid Sabeg a milité au sein de divers organismes de type lobby ou think tank (1) en faveur de la « diversité », se déclarant favorable à l'établissement de statistiques ethniques (2). La lettre d'envoi de son rapport de mai 2009 (3) précise : « je crois que la mesure de la diversité peut devenir l'un des indicateurs des avancées de l'égalité réelle ». Globalement, ce rapport préconise de faire signer par les entreprises une « charte de la diversité » par laquelle elles s'engagent... à respecter la loi ; de promouvoir une sélection plus « variée » des élites (grandes écoles et écoles d'ingénieurs, médias, partis politiques,...) ; de créer des instances et comités divers et de favoriser l'intervention d'entreprises privées aux côtés des services publics, ou en parallèle avec eux, notamment dans la formation et
l'éducation. Il a chargé le directeur de l'Institut d'études démographiques (Ined) de constituer un comité afin « de définir les modalités scientifiques et techniques, en particulier pour tout ce qui touche à la question ethnique », de la mesure de la diversité (4). La notion de diversité, dotée d'un charme ineffable, a déjà fait l'objet de nombreuses critiques aux États-Unis où elle a été promue « objectif légitime » par la Cour suprême. Plus profondément, elle est frappée de défiance pour la diversion qu'elle autorise face aux multiples facteurs
d'inégalité socio-économique (5).

Aujourd'hui, un « débat » est ouvert sur l'identité nationale par Eric Besson à la tête d'un ministère inédit en France, celui de l'Immigration et de l'Identité nationale (6), qui, à première vue, n'a rien à voir avec ce qui précède, et paraît même contradictoire : d'un côté la promotion de la diversité, de l'autre, la célébration nationaliste. En effet, les préfets chargés d'organiser des débats locaux sont censés interroger les « forces vives de la nation » sur « les éléments de l'identité nationale », ses « symboles » et ses « valeurs », mais aussi « l'accueil des ressortissants étrangers dans notre République et dans notre communauté nationale » (7). Cet agenda déconcertant est le plus souvent analysé comme opportuniste, lié aux échéances électorales. Ce n'est pas faux. Après les émeutes de 2005 et les mesures sécuritaires qui leur ont immédiatement répondu, les promesses de projets et de budgets effectifs ont pu susciter des espoirs. Elles sont restées lettres mortes. A la veille des élections régionales, ramener vers nos gouvernants la fraction la plus conservatrice de l'électorat tout en essayant de faire croire aux plus démunis et aux plus dominés que l'on traite de leurs problèmes, est une attitude « classique ».


Selon nous, cependant, ces deux « fers au feu » ont une logique commune. Ce qui les relie, c'est une vision essentialiste, figée, des populations, et souvent déterministe s'agissant des individus (rappelons-nous les déclarations du président de la République sur le caractère génétique de la délinquance, décelable dès l'âge de trois ans, ou ses propos sur l'existence de la prédisposition génétique des « pédophiles » et des jeunes « suicidaires »).

Dans l'un et l'autre cas, la question de l'origine est considérée comme déterminante. A propos de la diversité, on catégorise des personnes selon leur origine « ethnique » pour mieux leur assurer l'« égalité des chances ». Dans le « débat », les étrangers ou leurs descendants sont soupçonnés de développer un « communautarisme » collectif incompatible avec « les valeurs de l'identité nationale ». Qu'on les désigne comme victimes de discriminations ou coupables de mettre en cause l'identité nationale, ils forment une catégorie durablement
exclue du « modèle français » d'intégration républicaine.


Ainsi, la circulaire adressée aux préfets accorde de longs paragraphes aux conditions auxquelles les nouveaux entrants ou les candidats à la naturalisation pourraient être désormais soumis, et formule trois « propositions d'action » : « un nouveau contrat avec la République pour les ressortissants étrangers souhaitant séjourner sur notre territoire », « avec la nation » pour ceux qui désirent « accéder à la nationalité française » et la nécessité pour tous de « réaffirmer la fierté d'être français ».


C'est ainsi qu'(à peine) insidieusement, on fait valoir qu'à côté des étrangers, ou ex étrangers, chargés a priori d'une « identité » particulière (« religieuse, régionale, ethnique ») se dessinent les contours de l'ethnie majoritaire, celle des « Français ». On était dans l'ethnique, on y reste.


Les propositions de recommandations laissent entrevoir un nouveau durcissement des naturalisations et des mariages mixtes, voire un remaniement de la double nationalité et encouragent la stigmatisation de ceux qui manifestent à l'égard de « l'identité nationale » une certaine circonspection, voire une inquiétude quant au sort qu'elle leur réserve. Les populations issues de l'immigration, en particulier post-coloniale, au vu de la faiblesse des politiques publiques de la ville et de la mollesse de la lutte contre les discriminations ont,
comme les autres citoyens de ce pays, de quoi s'inquiéter d'un tel retour de l' « ethnique » dans la vie publique.


Si des scientifiques ont été sollicités pour proposer des « méthodes incontestables de la mesure de la diversité et des discriminations », ils sont soigneusement mis à l'écart du débat sur l'identité nationale - qui génèrerait chez eux « un malaise » - au profit des « forces vives » de la nation, voire du café du commerce.

En tant qu'universitaires et chercheurs, nous ne sommes ni des auxiliaires chargés de cautionner une politique publique, ni des personnes embarrassées pour exprimer leurs compétences. Face à ce populisme dangereux, nous continuerons notre travail.

Maryse Tripier, sociologue, professeure émérite, Université Paris Diderot-Paris 7
Véronique De Rudder,
sociologue, chercheure au CNRS

Se sont associés à ce texte :
Annie Benveniste, sociologue, enseignante-chercheure à l'Université Pais 8-Vincennes-Saint Denis ;
Jean-Luc Bonniol, professeur d'anthropologie à l'Univeesité Paul Cézanne, Aix-Marseille 3 ;
Paul Cuturello, sociologue, ingénieur d'étude au CNRS ;
Michel Giraud, chercheur au CNRS et à l'université des Antilles-Guyane ;
France Guérin-Pace, géographe et statisticienne, directeure de recherche à l'INED ;
Martine Hovanessian, anthropologue, chercheure au CNRS ;
Christian Poiret, sociologue, enseignant-chercheur, Université Paris Diderot-Paris 7 ;
Aude Rabaud, sociologue, enseignante-chercheure, Université Paris Diderot-Paris 7. ;

(1) L'Institut Montaigne
(2) Yacine et Yazid Sabeg, La Discrimination positive. Pourquoi la France ne peut y échapper ?, Calmann-Lévy, 2004
(3) Programme d'action et recommandations pour la diversité et l'égalité des chances, Rapport remis au Président de la République le 7 mai 2009
(4) Le COMEDD : comité pour la mesure et l'évaluation des discriminations et de la diversité.
(5) Collectif, Le retour de la race. d. de l'Aube, octobre 2009
(6) Ministère de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire.
(7) Circulaire du 2 novembre 2009 adressée aux préfets par Eric Besson, ministre de l'immigration

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