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Djamchid, le père est un maître percussionniste iranien qui après une carrière exemplaire de concertiste et de pédagogue souhaite arrêter de jouer, du moins dans la sphère professionnelle. Mais avant de le laisser repartir dans son cercle intime, les Suds à Arles ont souhaité lui rendre un vivant hommage. Maryam, Keyvan, Mardjane et Bijan racontent Djamchid, son art virtuose, sa philosophie généreuse, sa subtile pédagogie.
Djamchid Chemirani laisse derrière lui une véritable avancée de la connaissance de la culture iranienne à travers le monde, des souvenirs de concerts inoubliables, des enregistrements historiques et un héritage vibrant incarné par ses enfants. Il les a formé, guidé, émancipé et il ont enchanté ensemble le monde avec le Trio Chemirani. Trio qu’il a crée avec ses deux fils, parfois augmenté du chant de ses filles.
Tout commence par la percussion zarb ou tombak. Le premier nom vient vraisemblablement de l’arabe darb, (la frappe), le second réunit les onomatopées associées aux deux principales frappes de l’instrument tom pour la basse et bak pour l’aigu. Aujourd’hui en Iran le mot tombak, a supplanté le mot zarb.
Dans la tradition iranienne les rythmes complexes du jeu de cette percussion, de bois de murier recouverte d’une peau de chèvre, proviennent de la prosodie de la riche poésie persane, en particulier celles des poètes mystiques du 12ème et 13ème siècle, comme Hafez et Rumi, tout aussi présente que la musique chez les Chemirani.
Bijan, le benjamin, en atteste : « Aujourd'hui, j'ai mangé chez mes parents, Djamchid marchait en récitant des poèmes. Il en connaît plein. Tu écoutes ce qu'il raconte tu entends le rythme et il se passe quelque chose. » Maryam l’ainée aussi « La poésie , je l'ai toujours entendu dans sa bouche , comme si elle était tapie derrière et qu'a chaque occasion propice de moments de vie particuliers, elle s'exprimait en résonance. »
Le parcours de Djamchid
Djamchid Chemirani est né à Téhéran en 1942. Il a suivi l’enseignement oral et traditionnel de son maître Hossein Tehrani, premier musicien à sortir le tombak de son seul rôle d’instrument d’accompagnement.
En 1963, la mère de Djamchid l’envoie à Paris pour étudier les mathématiques et rejoindre son frère ainé étudiant en sciences, qui lui avait offert un zarb pour ses 9 ans.
Maryam raconte : « Au départ, il n'avait pas envie de partir d'Iran. A 20 ans il avait déjà joué avec les plus grands maîtres et vivait une vie de musicien. A Paris il fait une année de math et découvre la Sorbonne. Il y donne des cours de zarb et fait une thèse en ethnomusicologie dont il perd le manuscrit dans le métro.
Ensuite ça s’est emballé. De nombreux musiciens du jazz, de musique médiévale ou du contemporain s’intéressent à ce qu’il peut apporter rythmiquement à leur musique. Les concerts s’enchaînent et il rencontre Elisabeth dite Zabou, sa future femme et mère de ses enfants.
Maryam nait en 67 et Keyvan l’année suivante. Les plus anciens souvenirs du cadet sont liés à la musique : « Lorsqu'on habitait à Ris-Orangis, j'étais vraiment tout petit, je me souviens que Madjid Kiâni, maître, de santour iranien venait travailler avec papa. J'étais très impressionné. » Des décennies plus tard Keyvan, alors musicien et compositeur confirmé, se lancera dans l’apprentissage et la pratique de cette cithare sur table au son cristallin obtenu par la résonnance d’une centaine de cordes frappées par deux petits maillets.
A travers les années Djamchid accompagne d’immenses chanteurs du répertoire savant iranien radif, tels Mohammad Reza Shadjarian ou Parissa, joue avec de nombreux instrumentistes dont les joueurs de luths târ et setar Dariush Talai son ami et complice ou Hossein Alizadeh. Il rejoint la prestigieuse distribution du Mahâbhârata de Peter Brook (1985…), collabore avec la compagnie de danse de Maurice Béjart ou celle de Carolyn Carson. Il traverse les ailleurs musicaux avec une écoute attentive et une virtuosité humble et généreuse.
Mardjane
En 1973, naît Mardjane. En riant elle se qualifie de “vilain petit canard“ : « Je veux dire par là que je suis celle qui n'est pas allée vers la musique persane même si forcément, ça a dû imprégné mon parcours artistique qui est un peu ailleurs. Même si la musique y a une place particulière… » Dans les années 2000, avec Maryam et Catherine Catella, elle fonde le trio Delizioso, hommage au Trio féminin Lescano qui enflamma l’Italie après la seconde guerre mondiale. Mardjane a aussi enregistré et présenté sur scène un album de ses chansons et un autre de reprises de Georges Brassens. « …Je suis aussi comédienne et j'écris, (son premier roman Cendre est sorti en janvier 2023 ndlr). Je n'oublie pas l'immense beauté de la langue et de la poésie iranienne que j'ai plaisir à lire, mais j'ai plongé dans la langue française. »
De Paris à La Provence
En 1973 la famille déménage à Saint-Maime, petit village des Alpes de Haut de Provence entre Forcalquier et Saint Michel l’Observatoire. Bijan naît en 1978. Jusque là les parents avaient toujours plus en moins en tête de retourner un jour en Iran, la maman y avait vécu avant même de rencontrer Djamchid, mais la révolution de Khomeny en Iran en 1978 met un point définitif au projet.
En Provence, les enfants grandissent dans un environnement idéal. La région bruisse des musiques du renouveau folk d’alors. Djamchid y trouve une base sereine pour sa carrière, reçoit ses amis et ses voisins musiciens. Il donne des cours de tombak à des instrumentistes de tout horizon comme Jean-Pierre Drouet ou Pablo Cueco.
Elisabeth écoute et partage de la musique classique, baroque ou de la chanson française. Mardjane : « Ma mère nous achetait des vinyles de chansons pour enfants, Anne Sylvestre, Steve Waring et plus grande, j'ai des souvenirs dans la cuisine à la maison, où on écoutait et chantait en famille du Brassens, Malicorne, Reggiani. Djamchid chantait avec nous, c'était des chouettes moments. »
L’univers persan est bien sûr très présent. Bijan : « Djamchid, a toujours gardé son côté iranien. On mangeait par terre sur le tapis à écouter de la musique iranienne.» Mais il ne force personne à suivre sa voie : « Djamchid il faut aller le chercher, il ne va pas dire :“ Viens ! Maintenant on va travailler le zarb !“ C'était une autre stratégie. C'était plutôt gai de le voir jouer, d'entendre cette ambiance de musique. Et il y avait des petits “pièges“ dans la maison, ses instruments étaient disponibles. Ce n’était pas un truc sacré où il ne fallait pas les toucher, ça donnait envie de les essayer. Ca a très bien marché. Par contre, une fois qu'on a eu envie d'essayer il était là pour nous soutenir
Keyvan confirme : « À aucun moment il nous a poussé pour qu'on travaille la musique. Mais à partir du moment où on a été en demande, il a été d'une générosité extrême. J'ai un souvenir assez émouvant. Quand il faisait le Mahâbhârata au Théâtre des Bouffes du Nord à Paris, j'étais en vacances et j'étais venu le voir. Il dormait dans le studio d'une tante à Nanterre. Il me donnait des cours et je n'avais pas pris d'instrument. Il avait trouvé un seau chez la tante et me donnait son cours sur le seau et moi, je jouais avec le zarb avec lequel il faisait ses concerts le soir. »
Bijan aussi témoigne de sa générosité et de son ouverture : « Djamchid a une profonde humilité que l'on rencontre rarement. Quand on est musicien que tu fais de la scène, il y a des moments où t'as envie de briller, de faire un solo ou que les gens t’admirent. Mais il y a aussi le partage avec les gens et pour ça, Djamchid est un exemple incroyable. N'importe qui appelait Djamchid et il les rencontrait. Il y avait des maîtres de la musique iranienne et j'étais content quand je jouais avec eux, mais quand c'était des gens moins connus ou moins forts, je ne comprenais pas. Je lui demandais pourquoi il voulait jouer avec eux et il me répondait : “Parce que ce sont des musiciens“. »
Keyvan se souvient : « Un cirque était venu sur la place de notre village et il y avait des cuivres qui jouaient. Ils n’étaient pas très sérieux, mais très sympa. Mes parents les avaient invité à la maison et papa avait jammé au zarb avec eux. »