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Politique Fiction

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Billet de blog 2 septembre 2019

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Un Cri pour l'Amazonie

Pourquoi ressent-on moins d'empathie pour l'Amazonie que pour Notre-Dame de Paris ? Nous réveillerons-nous un jour ? Pour agir enfin ? Une courte fiction sur l'indifférence ordinaire et les dissonances cognitives.

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Quand Sébastien s’est réveillé ce matin là, les yeux encore mi-clos, il a allumé son écran de smartphone.

Il a scrollé, machinalement, sur ses différents réseaux sociaux. Sur Instagram il s’était abonné aux actualités de jolies filles, des mannequins qui racontaient leur vie. Sur Facebook, il lisait les posts de ses amis, et il voyait passer un peu de tout, des messsages engagés, des comptes-rendus de week-end, des photos sympas de vieux copains qu’il ne voyait plus jamais en vrai. Sur son fil, il a vu vu un appel d’une amie. Aujourd’hui à 14h, rassemblement devant l’ambassade du Brésil. Au dessus de l’événement, son amie avait écrit « GO GO GO ». Comme il n’avait rien à faire aujourd’hui, alors il a décidé de s'y rendre.

Sébastien a vécu sa vie de chaque matin. Après s’être levé et avoir pris un long petit-déjeuner, il a rangé des mails, lu, écrit, un peu commenté sur les réseaux sociaux, un peu liké. Beaucoup de gens parlaient de l’Amazonie. Et puis il est parti à la manif. Un peu en retard. Tant pis.

Dans le métro, toujours un peu rêveur, un peu somnolent, il songeait. Il y en a des sujets en ce moment. Il y a tant de combats à mener, tant de catastrophes, petites et grandes dans ce monde. Les hôpitaux en ruine, la privatisation d’ADP, les migrants qui se noient, l’Algérie révoltée, le réchauffement climatique.
Sébastien a regardé autour de lui dans le métro. Les gens étaient indifférents, ou peut-être vaguement inquiets, mais qui sait. Peut-être n’était-ce que simple effet de sa propre projection. Il a ri un peu, en lui-même. C’est curieux, se disait-il, il y a moins d’émotion que lorsque Notre-Dame a brûlé, et moi-même, je ne ressens pas grand chose, sinon une vague frayeur. C’est peut-être cela dont nous mourrons finalement. Peut-être ne sommes nous tout simplement pas capables d’empathie avec la nature.

Devant l’ambassade du Brésil, les manifestants étaient peu nombreux. Beaucoup de très jeunes, beaucoup d’activistes, des pancartes appelant à consommer mieux, ou à ne pas nourrir l’agro-industrie brésilienne en mangeant de la viande de bœuf. Un peu en marge du rassemblement, une indienne a crié sa douleur et sa haine des Américains et du FBI. Toutes les caméras de télévision se sont tournées vers elle. Et à la fin de son discours, souvent incohérent, tout le monde a applaudi.
Les panneaux étaient joyeux, colorés, inventifs, comme à chaque manifestation. Il y avait des slogans amusants comme « Brûle Amazon, pas l’Amazonie » ou « Plus chaud, plus chaud, Bolsonaro ! ». Régulièrement, quelqu’un lançait un slogan que tout le monde reprenait jusqu’à ce que ce que ça s’essouffle. Puis après, tout le monde reprenait. Il y avait quelques drapeaux d’Extinction Rebellion. Ceux-là étaient très présents, et regroupés. Derrière, sur le grand boulevard, des voitures klaxonnaient en soutien. Certaines étaient très belles, très luxueuses.

Sébastien se demandait quel slogan il aurait pu inventer pour participer. Mais les slogans, il y en avait suffisamment, pas la peine d’en rajouter. En réfléchissant il se disait qu’il aurait aimé peindre quelque chose plutôt. Une image forte, originale, qui traduirait cet état de stupeur un peu rêveuse, cette impossibilité à dire. Mais malheureusement il avait toujours été maladroit en dessin. Qu’importe, il l’inventerait là, dans sa tête.

Sébastien a commencé a composer son tableau, avec en fond sonore les bruits de la manifestation et la ronde des voitures. Ce serait une reprise du tableau de Munch, « Le Cri ». Il y aurait ce même visage, ce même cri au premier plan, mais à l’arrière, en lieu et place du ciel rougeoyant, il y aurait un ciel noir, comme celui de Sao Paulo en ce moment. Et en dessous du ciel noir, une forêt noire, avec des départs de feu. Beaucoup de petits points rouges, comme sur la carte du Brésil. Chaque départ de feu aurait le visage du Cri. Chaque petit point rouge comme autant d’yeux, comme autant de cris, démultipliant ainsi l’horreur du moment. C’est le tableau lui-même qui donnerait l’illusion de brûler.
Oui, songeait Sébastien, avec un petit sourire. Ce serait bien cette image, ce serait fort. Sans pour autant amener à changer les choses, ce serait au moins ça.

Sébastien était maintenant de retour dans le réel, dans cette manifestation à laquelle il voulait faire acte de présence. S’acheter à lui-même une indulgence, en quelque sorte.
Autour de lui, cependant, quelque chose avait changé. Il ne l’a pas vu tout d’abord, embué encore de sa vision.
Puis il s’est mis à regarder les gens. L’effroi a commencé à le gagner, ainsi qu’un vertige. Tous oui, tous, il le voyait bien maintenant. Tous criaient comme dans le tableau de Munch, tous portaient ce terrible visage.

PS : Y’a-t-il parmi les lecteurs de cet article un dessinateur qui pourrait reproduire la vision de Sébastien ? Si oui, envoyez moi vos propositions à l’adresse politiquesfictions@gmail.com

Contribution de Thomamadou

Illustration 1
Un Cri pour l'Amazonie © Thomamadou

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