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« Ami, entends-tu le vol des corbeaux sur nos plaines ? » L’horizon semblait bel et bien bouché. Le vent mauvais avait tourné vinaigre. De toutes parts les esprits les plus retors s’échauffaient. Mauvais conseillère la colère avait fait sortir les loups du bois. Accélérateur de particules, la dissolution vint à bousculer les lignes de fracture. Plus aucun tabou, le diable et ses anges déchus en col blanc. La Nation toute entière semblait devoir basculer dans le KO, de l’autre bord des forces de l’obscur. Ciel de traîne et jours à la peine. Atmosphère délétère. L’Affront National. Symptôme de déchéance.
Prédicateurs de mauvais augures, les sondages prévoyaient le pire, un raz de marée électoral qui emporterait la démocratie par-dessus bord. Aucune échappatoire à la vague brune. L’âme confuse du peuple en déroute. Et pourtant, au cœur de la nuit épaisse, une trouée d‘azur, infime lueur d’espoir.
Au sortir d’une longue léthargie il prit son destin en main, jetant son désespoir dans une ultime bataille. L’échéance approchait à vue d’œil et les médias montaient en épingle cette grossière imposture de législatives aux allures présidentielles. D’une conscience aiguë de sa propre identité il se devait d’agir. Pour celles et ceux de sa propre famille qui par le passé avaient fui sans se retourner, le cœur à la peine. Reprendre le flambeau, faire Front.

Au jour J il s’empressa d’accomplir son devoir citoyen. Solitude de l’isoloir, juste une enveloppe dans l’urne et une signature en face son patronyme. « A voté ! » Immense sentiment de délivrance. Pour l’occasion beaucoup s’étaient déplacés, il ne put s’empêcher de songer qu’un électeur sur deux soutenait sans vergogne les fâcheux. Lui procurant un sentiment de malaise et d’inconfort, un haut le cœur le révulsa.
À l’écart de la foule il traversa le parc arboré où quelques grands arbres centenaires, peu enclins à la turpitude des hommes, lui apportaient la sagesse qu’il recherchait. Sur la plus haute branche un pinson au plumage bariolé récitait ses gammes. Il s’arrêta un instant, la vie était donc si simple. À quoi bon se prendre la tête. La journée s’écoula sans plus d’encombres. Juste cette interminable attente à tuer le temps.
Tandis que s’égrenaient les heures, l’instant fatidique approchait à grands pas, s’accélérant à la dernière minute. Puis le décompte tant attendu, les yeux rivés sur l’écran pour ne pas en perdre une miette. Intolérable suspense. Retenant son souffle, son cœur cognait à perdre haleine. Questions et suppositions fusaient à tue tête sans qu’il puisse reprendre le contrôle de son esprit. Cinq…Quatre… Trois…Deux…Un… Vingt heures sonnantes. « Au vu des toutes premières estimations le Nouveau Front Populaire arrive en tête de ces élections législatives…. »
Une onde de choc traversa le ciel d’été. Quelques pétards, quelques fusées et autres étoiles filantes. De toutes parts une immense clameur de joie et d’enthousiasme brisait le silence de cathédrale. Lui et ses compagnons d’infortune attendaient ça depuis si longtemps qu’il avait peine à y croire. Dehors les gens chantaient, s’embrassaient, se félicitaient en franches accolades.
Cette même liesse collective qu’au soir du 10 mai 1981. Que d’années passées à espérer un monde meilleur. Certes ses cheveux avaient grisé avec le temps mais il gardait intacte la fougue de sa jeunesse. Il ne put s’empêcher d’avoir une pensée émue pour l’humaniste à la plume poétique qui lui avait insufflé cet élan d’espérance. Pour une société de tolérance et de partage où l’humain occupe la toute première place. Le meilleur était à venir. Ne jamais désespérer.

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