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Politique Fiction

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Billet de blog 12 mars 2021

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Comédien, metteur en scène

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Que mai soit sans suite (texte entendu depuis l'Odéon occupé)

Il y a un homme qui parle, tous les jours depuis l'Odéon occupé. Il nous lit un poème qu'il vient de composer. Seul, sans micro, tout au bord du balcon, comme s'il allait tomber. C'est un comédien, il s'appelle Thibault Lacroix. Je suis entré en contact avec lui, et il m'a transmis son texte pour que je vous le transmette à mon tour. Le voici donc, avec son aimable autorisation.

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Comédien, metteur en scène

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce texte a été écrit par le comédien Thibault Lacroix en 2008 en réaction à la décision de Nicolas Sarkozy, alors Président de la République, d'empêcher toute célébration de Mai 68 dans les Universités.

Il l'a relu au "Paradis" de l'Odéon, aux premiers jours de l'occupation du théâtre.

Ci-dessous, les photos du texte original.

Et juste après, les retranscriptions de certains de ces textes.

Illustration 1
Que mai soit sans suite - recto © Thibault Lacroix
Illustration 2
© Thibault Lacroix

Que mai soit sans suite

Texte de Thibault Lacroix

(Texte recto)

Un mot pour commencer que je circonstancie

En m’adressant d’abord à d’où vient l’instruction

Qui voudrait évincer cette péripétie

Au sein d’une éminente et forte institution.

Et la date historique atteint sa péremption ?!

Qui donc est aux fonctions de la bureaucratie ?

A-t-on senti l’odeur d’une putréfaction

Qui gagne l’hexagone en sa superficie ?

Qu’on subodore ainsi quelque machination ?

Est-ce aux soixantuitards atteints de calvitie

Qu’on veut administrer cette punition ?

Nous a-t-on vraiment tous crus frappés d’idiotie ?

Je n’aurais jamais fait cette protestation

Ni fêté ce printemps si mon âme, saisie,

N’avait pas déscelé dans cette interdiction

Toute une mise en scène assez bien réussie :

La manipulation, monopolisation

Du printemps 2008 par Monsieur Sarkozy

Dans quel but affligeant de récupération !

air de rien, flotte un air lourd de revenez-y

Car nous ayant fait part de sa démonstration

Notre jeunesse active argue Neuilly-Passy

Est passé dans son camp (quelle intoxication !).

Pardon de ne pas voir tout à fait ça cozy :

Et puis, coup de théâtre en la confisquation

Des affiches-slogans que chacun apprécie

Où sont-elles passées depuis la proscription ?

À combien croyez-vous qu’on se les négocie

À Douai pour leur vente et leur liquidation ?

Oui tous ces trophées d’encre à la lettre noircie,

Qui virent ès Beaux Arts leur élaboration

(D’où leur propagation…) comme on les remercie

D’avoir un jour servi la cause et la Nation !

Archives de Mémoire, âmes qu’on disgracie

En vous déstituant pour une estimation !

Ô République écrue. Ô société rancie.

Ô plus qu’un seul mot d’ordre : Insubordination

Face au prosélytisme honteux qu’on initie

Qui ne révèle en fait que sa compromission

Et l’exemplarité de son hypocrisie !

Sans la peur qui professe une post-émersion,

Nous aurions pu passer outre ta fantaisie,

Mais le sinistre effet que fait la répression

Sur les nerfs affûtés de notre frénésie

Force presqu’au devoir d’humaine compassion.

Comment vous rassurer ? C’est de quoi me soucie

Partant commémorer (sans votre permission)

De ce mai 68 la pré-voyoucratie,

Veuillez être assurés qu’aucune subversion

Ne troublera le cours de sa nécromancie.

Car quoi ! doit-on parler de révolution

(Si ce n’est sexuelle) ou de catalepsie ?

Soixante neuf pointait. Ce fut l’excitation

Qui plongea soixante huit en profonde autopsie.

A peine eut-on senti la manifestation

Du spectre chamarré de la monocratie

Qu’à contempler l’étrange et sourde éructation

De leurs afflux de sang dans leur gangue endurcie,

Ils ont perdu l’idée dans l’émancipation

Dans le cercle vicieux leur graine d’hérésie.

Comme un serpent se mord la queue la rotation

Fait que tu te rends compte après de l’inéptie !

Quand ça tourna vinaigre avec l’insurrection

Holà, tu rassemblas tes forces d’inertie

Pour aux urnes courir à sa réélection !

Je vois tout ton parcours jusqu’à l’apoplexie

Ô perle avant coudière et ta brève érection

A la face du monde et de la bourgeoisie

Pour tout abandonner, l’espoir et l’ambition,

Avant le copulage et sa grande aphasie.

Et dans l’avortement sentant la frustration,

Opter pour la pilule, hostie de pharmacie.

N’avais-tu pas une autre et plus haute intuition ?

Ta foi dans la nature en totale autarcie

Ta prise de parole en une incantation

Tout ce que me fait dire en pure autocratie

La muse qui me parle avec déréliction

De eux qu’aura tansé l’âpre ploutocratie.

Il ne vous a manqué que la divination

En le Mythe éternel de la Démocratie

Pour la sauver du mal et de la corruption,

Lui épargner le joug de la technocratie ;

En démagnétiser l’inviolable notion :

Porter chacun son chef à la suprématie.

Et du bonnet phrygien la signification

Qu’Attis eut de Cybèle en notre Galatie

Au bord du Mont Didyme à la résurrection

Du printemps; ce bonnet haut de géomancie

Que le grand Zoroastre avait par adoption

Vers le soleil levant d’Iran, d’Inde et d’Asie,

Symbole et couvre-chef de la Libération,

Ce bonnet citoyen géant de minutie,

Ne l’auras-tu porté qu’à la fornication ?

Pour chapeauter l’effort de la phallocratie ?

Ou bien jugules-tu dans ta masturbation

Ce retour de printemps, la conscience éclaircie,

Quel suppôt de quel rêve en quelle involution

Remonte par degrés dans ton âme obscurcie ?

As-tu peur aujourd’hui qu’il refasse irruption ?

Toi que voilà surpris flagrant d’impéritie.

L’envie m’en viendrait presque à voir ta componction.

Pour nous, comme tout suit ce courant d’asphyxie,

Que la Terre elle-même entre en suffocation

Nous n’aurons pas besoin d’une autre facétie:

L’élément déchaîné de la terre en action

Se trouve être garrant de notre ataraxie.

Comprenne qui pourra ! Toi, ma génération,

Prête ici ton serment devant la Galaxie

Restitue chaque atome à ta constellation

Et jusqu’au grand Chaos, clame ta prophétie

***

(Texte verso)

Aux soixantuitars

quarante ans plus tard

C’est vrai qu’ils ont soixante huit ans, alors du coup

De se revoir comme aux temps des révolutions…

Ça pourrait même en compromettre assez beaucoup !

A-t-on vraiment besoin de commémorations

Quand on s’est droit jetés dans la gueule du loup,

Qu’on s’est fait ravaler par les Institutions ?

Le devoir de mémoire alors, dur contrecoup;

Digne peut-être plus de commisérations !

Car à l’acte manqué échappe aussi la foi,

La foi d’aller tuer la peur au fond de soi,

Et la peur reprend donc lors du compte rendu

D’un monde où non-sens règne et où Chaos s’apprête…

Ceux pour qui sonne ainsi doublement la retraite

(Qu’on y pense à deux fois) n’auront pas tout perdu.

*****

Car ils se sont faits peur homme de peu de foi

Trop peur d’aller tuer la peur au fond de soi

D’oser réactiver les Mythes de la Loi

Tant qu’à renverser l’ordre, adorer Jupiter !

Oser fêter Mithra, Cybèle ou Déméter

Au troisième décan du solciste d’hiver

Pour ranimer la flamme en le sacre étouffée

D’être comme un païen qui retrouve une fée

La Vestale par qui Marianne est coiffée

Et ne pas la confier à 1 syndicaliste

Et ne pas la livrer au patent arriviste

Qui profita du jeune et du moyen gréviste

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