
Le décompte à rebours sonnait en fanfare le rappel des troupes. Mêmes figures, mêmes visages, des visages qui vous défigurent, des figures qui vous envisagent. Mêmes brulots de caricatures et de masques de déconfitures pour en découdre sous l’envers d’un décor d’apparatchik. Vision frelatée d’un casting de vieux tromblons de série B.
Un amas disgracieux de cumulonimbus pochés au beurre noir embouteillait l’horizon forclos. Marre de cette mascarade à plein temps, fini les fanfaronnades de troisième mi-temps! Assez de tourner en rond comme un impatient en cage et de devoir toujours attendre que quelque chose se passe, que quelque chose d’autre se fasse!
Au sortir d’un rond point embouteillé, une idée lumineuse, jaune comme un tournesol héliotrope, vint à lui traverser les deux neurones qui encombraient sa cervelle de piaf. Une illumination divine : « Election piège à con » et pourquoi pas lui !
Sa décision à l’emporte pièce fût prise sans appel et sans fanfare. Cette idée, au départ saugrenue, révulsa ses instincts primaires, puis à force de réflexion à voix haute et d’auto persuasion version méthode Coué, l’idée farfelue, vint à germer dans son cerveau étriqué, du côté de son opportunisme latent. Après tout, rien à perdre mais surtout tout à gagner !
La course à l’échalote avait aiguisé son appétit de grandeur. Il était fin prêt à être déraisonnable, à risquer le tout pour le tout. Lui qui ne s’était jamais pris au sérieux, lui qui n’aimait ni les institutions ni les implications, lui l’électron libre des bacs à sable, envisageait de décrocher la timbale à la prochaine loterie des municipales. Nul ne l’eût crû, pas même lui !
Changer le monde ? Certainement pas ! Juste s’en approcher, l’effleurer, s’en imprégner et l’apprivoiser à bon escient. Profiter un max, la main dans le pot de confiture, à plus grande échelle. Ne restait plus qu’à élaborer sa stratégie de looser des faubourgs, de la com’ endimanchée sauce French Connection ! Avant tout, soigner son image et peaufiner son allure décalée, passée de démodée. Un look compatible gueule de l’emploi à l’apparence trompeuse. Une figure pour paraitre, pour séduire et enchanter. Monopoliser l’attention, vendre du vent, de l’illusion, captiver les regards, hypnotiser les foules, séduire, subjuguer, encenser, émerveiller, éblouir, envouter, ensorceler, conquérir, de la poudre plein les yeux. Un grand courant d’air entre les deux oreilles !
Un programme fourre tout sans parti pris et bien entendu sans aucune étiquette. Une cour des miracles à ses pieds, un slogan qui claque comme un coup de matraque, des mots à la langue de bois, des mots pour le dire, croix de bois, croix de fer, si je meurs tu vas en Enfer ! Afficher des promesses que l’on ne tiendra surtout pas. Faire l’interminable tournée des popotes, ratisser large, le plus large possible, toutes couches de populations confondues. Razzia sur la schnouffe. Avanti !
En premier lieux, les indispensables p’tits vieux, papis mamies confondues et Yvette à l’accordéon ! Puis les loupiots, collégiens et lycéens, profs et instits, et surtout les inévitables parents d’élèves… Allez, zou, tout ce beau monde dans le même panier ! Ah bien sur, les irréductibles Gaulois à la moustache de travers : chasseurs de gibier à plume et à poil, dragueurs de fond et pêcheurs devant l’éternel, motards d’un jour moutards toujours et gros bikers tatoués, anges de l’enfer avec chaines de petit vélo. Ajoutez les indispensables sportifs du dimanche, les footeux, les pétanqueurs et ces indispensables et chers cyclistes échappés du Tour de France qui viennent chercher leur baguette de pain en collant rose fuchsia, un nénuphar jaune fluo planté sur la tête, des chaussures en peau de grenouille qui jouent des claquettes ! Puis le tour d’honneur des incontournables : fumeurs, buveurs, alcooliques anonymes et tous les braillards de service, piliers de bistrot et adeptes de la troisième mi-temps que l’on connait si bien et que l’on côtoie à l’heure fatidique de l’apéro, keufs et gens d’armes compris, bien entendu ! Et aussi les commerçants, les artisans, les entrepreneurs, les décideurs, les fonctionnaires, les préleveurs d’impôts, les postiers, les cheminots, les électriciens, les gaziers en tout genre, les bouseux, les tordus, les bossus, les déçus, les cocus, les tondus, les grincheux, les taiseux …
Que de louches à serrer, que de belles promesses à servir, autant de revendications invraisemblables que de populations plurielles. A chacun une belle annonce enjolivée, carrossée une voiture de course, furtive comme un avion de chasse. Rien de plus que des mots pour flatter, chouchouter, dorloter, endormir les foules et les mettre dans la nasse. Du rêve, du vent, de la poudre de Perlimpinpin. Tout bulletin compte pour le décompte à venir. De là à bourrer les urnes….
Si tous les autres candidats s’en étaient allés battre le pavé, lui préférait s’avachir dans son canapé, les yeux globuleux scotchés son clavier connecté à l’accro monde des geeks. A coups de clics, à coups de tweets et à coups de followers, voilà une campagne 2.0 rondement menée. Je te like, tu me suis ! Si le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt, pour lui rester couché était devenu sa principale stratégie de leader assiégé. Dans le contexte actuel de guerre des clans annoncée, c’était la meilleure solution possible. Pas question de s’embrouiller avec quelconque idée politique, arrêtons les conneries…
Le premier tour, le seul d’ailleurs, fût d’une formalité déconcertante à faire pâlir tous les oiseaux de mauvais augure. En coulisses, les traitres se dépeçaient la besace, s’écharpant le museau sur des quolibets d’insultes de mégères en rut. Première salve, première torpeur, premier choc des clichés, premiers tombés au champ d’honneur. Une sombritude de gueules de bois de lendemain qui désenchante.
Sur le tas de fumier, le chant du coq résonnant par trois fois à la pointe du jour. Les Judas s’empressaient de retourner leur veste d’opportunistes de bas étage, au kazoo ! Dans l’ahurissante confusion de cet invraisemblable tour de bonneteau, le benêt de service, maître du jeu, promu au jour de gloire, l’écharpe tricolore en bandoulière, venait de rafler la mise, avec en prime le pompon. Et, hop, un lapin sorti du chapeau. Mince alors, il n’y a que les oreilles… La presse locale s’empara du fait du jour, en gros titres, gras et pompeux, ainsi les urnes ont parlé d’une voie unanime et sans faille. « Ben mon couillon, les bras m’en tombent !!! »