Romain Blanchard
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Politique Fiction

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Billet de blog 26 janv. 2023

Romain Blanchard
Comédien, metteur en scène
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Saint-Nazaire Supérieur - chapitre 4/4

« Saint-Nazaire Supérieur » est une nouvelle qui se passe dans la France de la fin des années 2000. C’est l’histoire d’un homme rongé par la solitude. Il ne sait que faire, il ne sait pas écouter, il ne sait pas aimer. Il est marqué par la crise économique, la quête de sens et le racisme ordinaire. Mais à la fin… eh bien justement, enfin la voici la fin ! Bonne lecture.

Romain Blanchard
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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

4

« Monsieur Ronchard ! »

Trois coups frappés à la porte. Pas de réponse.

 « Monsieur Ronchard, si vous êtes là, ouvrez s’il vous plaît. »

La voix est forte, pleine d’assurance, posée, professionnelle. Le couloir de l’étage est rempli de pompiers et de flics. Il y a un bruit de fond, mais il est tendu par l’attente. Par les portes des appartements passent les têtes de voisins curieux.

 « Messieurs dames, s’il vous plait, il n’y a rien à voir, rentrez chez vous. »

Quelques protestations et des questions auxquelles les flics répondent très vite. Puis les appartements se referment.

 « François, ouvre s’il te plaît, c’est Sabine ! »

Sa voix est suppliante, elle frappe à son tour à la porte, des petits coups très secs, très insistants. Toujours rien. Elle recommence, beaucoup plus longtemps, ses coups s’amplifient et s’espacent jusqu’à devenir violents.

 « François ! Ouvre bordel !

- Mademoiselle, s’il vous plaît »

Le pompier pose sur son épaule une main rassurante. Sabine s’écarte et s’appuie contre un mur. Elle va peut-être pleurer.

 « Monsieur Ronchard, si vous n’ouvrez pas par vous-même, nous allons être obligés de forcer la porte. »

Toujours pas de réponse. Maintenant le silence se fait parmi les pompiers et les agents de police. De l’autre côté de la porte, ils peuvent percevoir un léger son, comme des paroles échangées et lointaines.

 « Les frais seront évidemment à votre charge »

Le son continue, diffus. Une musique légère, avec un rythme marqué, et quelques paroles. Le pompier fait signe à un de ses acolytes qui lui tend un passe-partout. Un policier note l’heure du début de l’intervention. Le pompier s’affaire, une minute s’écoule avant qu’il ne dise finalement.

 « Ce connard a laissé ses clés dans la serrure »

Puis

 « D’accord monsieur Ronchard, vous l’aurez voulu »

Le pompier saisit une hache qui lui est tendue et demande à ses collègues de s’écarter. Il fait des gestes larges pour que ses coups soient efficaces, mais il les retient pour ne pas les rendre dangereux pour les autres. Si bien que l’ouverture demande encore une minute.

Il frappe encore et encore, les coups claquent et résonnent dans le couloir, mais la porte résiste. Enfin, après un dernier effort et un coup de pied, elle finit par céder.

Un policier s’engouffre d’abord dans l’appartement, suivi par le pompier à la hache.

Les lumières de la chambre sont allumées, et dans le salon, la télévision est ouverte. Le policier et le pompier s’avancent prudemment, leurs collègues leur emboîte le pas.

 « Mademoiselle, surtout vous restez à l’extérieur »

Sabine reste appuyée sur le mur, elle respire fort, les yeux écarquillés. Un brigadier qui passe devant elle lui demande si elle se sent bien. Elle ne répond pas. Le brigadier rentre à son tour dans l’appartement.

 « Cindy ! Est-ce que tu as un message à faire passer ?

- Ouais je voudrais dire à mon copain que je le kiffe trop, même si c’est trop dur de lui avouer quoi, c’est l’homme de ma vie, je veux qu’on fasse des enfants ensemble.

- Okay, Cindy, le message est passé si ton copain bien sûr a le bon réflexe de regarder le Sunday live. »

Les deux animateurs, un jeune homme et une jeune femme écoutent la voix de celle qui s’appelle Cindy comme s’ils essayaient de deviner d’où elle vient. Ils évoluent au milieu d’un décor très coloré, qui s’efforce d’être vif et attirant. Ils ont la tête baissée, les yeux dirigés vers la table, mais ils n’oublient pas de sourire.

Un policier va pour pénétrer dans la chambre, le pistolet au poing, les deux mains sur la crosse. Il pousse la porte de l’épaule. Et passe la tête par l’ouverture.

 « Oh putain »

 « Cindy je te rappelle que tu es en direct. Est-ce qu’il y a un morceau que tu veux dédicacer à ton chéri ? »

 « Venez voir ça les mecs ! »

Aussitôt quelques policiers et des pompiers accourent pour regarder. Dans la précipitation, le vêtement d’un agent accroche un tableau, qui tombe au sol. Un brigadier derrière lui, grogne.

 « Faites donc un peu attention »

Tous se penchent à la porte pour observer. Sur le lit, les draps sont tachés de rouge. Il y a des stries rouges sur le mur. Toute la chambre est souillée.

 « Allô Cindy ? »

Il n’y a plus de réponse. L’animatrice prend la parole à son tour, son sourire est éclatant, sa voix très haut perchée, elle regarde vers le ciel.

 « Cindy, est-ce que tu es toujours avec nous ? »

Un agent pose le doigt sur un drap et le porte à son nez.

 « Je crois que nous avons perdu Cindy. »

L’image et le son disparaissent, un pompier a appuyé sur le sélecteur. Puis le remet sur le canapé du salon. L’agent murmure.

 « Ce n’est pas du sang »

Puis plus fort

 « Eh les mecs, c’est pas du sang.

- Je sais »

Une voix lui a répondu de la cuisine.

 « Je viens de retrouver la bouteille »

Un pompier apporte une bouteille au bout de son bras, il a l’air heureux de sa découverte.

 « Elle était dans la poubelle »

Son chef lui prend des mains et l’examine, la retourne, la palpe, elle est vide, il la fait même tinter. Puis il lit l’étiquette, qui porte une écriture élégante noir sur jaune un peu passé, et une sérigraphie de plants de vigne avec la Soucoupe en arrière plan.

 « Grand-mère Ronchard

Vin de Saint-Nazaire

Cuvée 2009 »

Et un petit peu plus bas, avec une écriture carrée :

 « Appellation Saint-Nazaire Supérieur Contrôlée »

Les policiers commencent à faire leur travail de relevé tandis que les pompiers remballent. Les paroles sortent des talkies, des rapports et des compte-rendus sont dictés, des formulaires remplis, des rires fusent parfois. Sabine est finalement rentrée dans l’appartement.

 « Il n’est plus là, Mademoiselle »

Sabine a fait quelques pas, elle croise des policiers qui remarquent à peine sa présence. Elle se dirige vers le fond du salon, contourne la table et le meuble où est posée la télévision, sans rien déranger. Elle approche de la fenêtre qui donne sur la rue et l’ouvre. Un courant d’air frais envahit l’appartement, un petit vent s’est levé, les nuages s’amoncellent au-dessus de la ville, il va bientôt pleuvoir. Elle se penche un peu. En bas les voitures de police stationnent en désordre, tandis que les camions de pompiers démarrent.

Les lumières des gyrophares projettent leurs éclats bleus sur les murs des immeubles. Le visage de Sabine ne montre aucune émotion.

Un policier lui tapote sur l’épaule. Sabine se retourne. Il sourit, elle répond à son sourire.

 « Mademoiselle, pourriez-vous fermer la fenêtre s’il vous plaît ? Nous allons partir. »

Epilogue

Pendant le repas, Jésus prit du pain et,

après avoir prononcé la bénédiction,

il le rompit ;

puis, le donnant aux disciples, il dit :

 « Prenez, mangez, ceci est mon corps. »

Puis il prit une coupe et,

après avoir rendu grâce,

il la leur donna en disant :

 « Buvez en tous, car ceci est mon sang,

le sang de l’Alliance,

versé pour la multitude,

pour le pardon des péchés.

Je vous le déclare :

je ne boirai plus désormais de ce fruit de la vigne

jusqu’au jour où je le boirai, nouveau,

avec vous

dans le Royaume de mon Père »

Le dernier repas

Evangile selon Saint Matthieu

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